Titre

Réécrire la Déclaration des droits de l’homme

Auteur

Joseph Yacoub

Type

livre

Editeur

Paris : Desclée de Brouwer, 1998 rééd. 2008

Nombre de pages

86 p.

Prix

9 €

Date de publication

25 juillet 2019

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Réécrire la Déclaration des droits de l’homme

Le soixante-dixième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion de maints discours, cérémonies et évènements commémoratifs qui, paradoxalement, ne constituaient pas le cadre approprié pour une réflexion en profondeur sur une des avancées les plus emblématiques de la démocratie moderne.

Or les droits de l’homme qui ont pris, depuis 1948, une importance considérable dans la vie concrète des démocraties et de leurs citoyens, ne sont pas une déclaration figée. Ils vivent, évoluent et nourrissent ainsi de profondes réflexions sur leur fonction, leur intégration dans les États, leur contenu.

Il y a vingt ans, Joseph Yacoub[1] s’interrogeait déjà sur leur portée et, déplorant les limites d’un texte pourtant à vocation universelle, proposait de le réécrire.

Beaucoup d’évolutions se sont produites au cours de ces vingt dernières années dans l’approche des droits de l’homme[2]. On est passé pendant cette période de l’illusion d’une « fin de l’histoire »[3] à la dure réalité des démocraties « illibérales » et partant à une certaine remise en cause, sans le dire, d’une pensée idéalisée des droits de l’homme qu’accentue l’angoisse d’insécurité suscitée au sein des démocraties par le terrorisme.

Dans ce contexte, il est intéressant de lire ou relire ce petit livre (86 pages) qui montrait très clairement les limites d’une proclamation qui constitue cependant l’une des références fondamentales de la pensée politique occidentale.

Joseph Yacoub aborde tout d’abord de manière critique le discours tenu à propos de l’universalisme proclamé des droits de l’homme. Il montre à cet égard le relativisme du discours humanitaire, rappelant que celui-ci est fondamentalement tributaire du contexte politique, historique et culturel dans lequel il s’inscrit.

« Il n’est de vérité que relative, fût-elle celle des droits de l’homme » estime-t-il et il expose pourquoi la Déclaration universelle des droits de l’homme est, selon lui, un « texte de situation », archétype d’une certaine pensée occidentale de la politique qui ne traite que des libertés individuelles et ignore l’homme dans sa dimension collective, délaissant en particulier les droits des minorités nationales[4] ce qui le conduit à dénoncer sévèrement cette nouvelle idéologie, comme il la nomme, « une parmi d’autres que l’Occident ne cesse de produire à intervalles réguliers ». Pour lui, l’universalisme des droits de l’homme n’est en fait qu’un avatar de la propension qu’a l’Occident à universaliser sa culture et il s’élève contre l’idée « d’un code sociétal et universel » reconnu par tous[5].

Parce qu’il estime que les droits de l’homme reposent sur des valeurs essentielles que toutes les cultures partagent, il plaide, au nom de l’altérité, pour que ces valeurs soient déclinées précisément en tenant compte de la diversité des civilisations et des conceptions que celles-ci se font du monde. Il en prend pour preuve la multiplication des déclarations et des chartes régionales qui sont précisément l’expression du désir des peuples de s’approprier ces valeurs en les adaptant.

Il étudie, dans le même sens, comment, dans la pratique, à rebours de leur universalisme proclamé, la Déclaration des droits de l’homme et les droits qu’elle proclame sont mis en œuvre de manière plus que circonstanciée et relative. Se référant à une série de conflits, en Irak, en Somalie, au Kosovo il décrit comment les actions engagées au nom de ce même droit humanitaire, entrent parfois en contradiction avec ses propres valeurs ou celles expressément énoncées dans la Charte des Nations Unies[6]. Ainsi dans telle circonstance, décidera-t-on d’une intervention militaire au nom « d’un droit d’ingérence humanitaire » alors que dans d’autres situations, on soutiendra que les États ont, en vertu de la Charte des Nations Unies, une compétence exclusive pour régler leurs affaires intérieures.

Il s’interroge de même sur l’efficience de la myriade d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui a proliféré depuis le début du XXe siècle, composée de textes timides, répétitifs, imprécis, souvent sans sanction ou assortis de réserves les privant d’efficacité réelle.

Cette rude charge menée par un homme en réalité profondément convaincu du progrès que constituent les droits de l’homme, n’est pas exposée par désillusion, mais par le souhait ardent de ne pas voir s’engager cette arme indispensable pour la défense de la dignité humaine, dans une tragique impasse.

Pour lui, le seul moyen de l’en détourner consiste à réécrire radicalement cette déclaration, en prenant en considération les nouveaux défis que l’homme moderne devra relever collectivement, de la biodiversité à la sauvegarde de la terre et en se fondant sur la philosophie politique de la diversité culturelle de l’humanité.

Ainsi, il y a vingt ans, Joseph Yacoub tentait-il de secouer la rhétorique des formules stéréotypées et incantatoires qui n’empêchèrent ni les massacres des Aurès[7], ni ceux de Mÿ Laï[8] ou Srebrenica[9], pas plus que les tortures d’Abou Ghraib[10].

Si les droits de l’homme sont incontestablement entrés dans l’arsenal juridique des États occidentaux, au point parfois d’en devenir peu lisibles[11] ils sont désormais confrontés à des périls encore plus grands liés au mépris affiché et assumé de dirigeants d’États qui, jusqu’alors, s’en étaient proclamés les garants indéfectibles.

Bernard Ughetto

 

[1] Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon de 1975 à 2011, principalement à l’Institut des droits de l’homme (IDHL) dont il a été l’un des initiateurs, Joseph Yacoub est un spécialiste des droits de l’homme, des minorités ethniques et des chrétiens d’Orient. Parmi ses livres, cliquer sur les suivants (recensions par CDM) : Qui s’en souviendra ? : 1915, le génocide assyro-chaldéo-syriaque ; avec Claire Yacoub, Oubliés de tous : les Assyro-Chaldéens du Caucase ; Une diversité menacée : les chrétiens d’Orient face au nationalisme arabe et à l’islamisme 

[2] Voir en particulier l’analyse de Madame Mireille Delmas-Marty :

« À la fin des années 1990j’imaginais que les défis de la mondialisation seraient relevés à partir de deux processus. D’une part l’universalisation des valeurs éthiques par le nouveau « droit des droits de l’homme », d’autre part, la globalisation économique et financière, venue du droit du commerce et des investissements… Mais l’équilibre s’est brisé quand les pays démocratiques, à commencer par les États-Unis, ont adopté des mesures autorisant les traitements inhumains et dégradants (camp d’Abou Ghraib) et ont même légitimé la torture… ». (Télérama N°3621 du 8 au 14 juin 2019).

[3] Francis Fukuyama – La fin de l’histoire et le dernier homme – Flammarion, 1992, ouvrage dans lequel l’auteur consacrait la démocratie libérale comme système indépassable.

[4] Ce qui devait fournir un prétexte à l’URSS pour ne pas ratifier la Déclaration. Ce n’est qu’en 2007 que fut adoptée une Déclaration sur les peuples autochtones.

[5] À écouter : émission Talmudiques du 16/12/2018 sur La crise de l’universel (1) Les droits de l’homme en question (32 mn), cliquer ICI

[6] Pour en savoir plus, cliquer sur la Charte des Nations Unies

[7] À lire : Les Aurès, cœur de la Guerre d’Algérie, cliquer ICI

[8] Pour en savoir plus, cliquer sur Massacre de Mỹ Lai

[9] Sur le massacre de Srebrenica (7-13 juillet 1995), cliquer ICI

[10] Sur le scandale d’Abou Ghraib, cliquer ICI

[11] Ce qu’illustre la douloureuse affaire Vincent Lambert, et l’interminable parcours judiciaire à laquelle elle a conduit pour tenter de savoir ce qui, en l’occurrence, serait conforme aux droits de l’homme.