Titre
L’historiographe du royaumeSous titre
romanAuteur
Maël RenouardType
livreEditeur
Paris : Grasset, 2020Nombre de pages
329 p.Prix
22 €Date de publication
24 juillet 2021L’historiographe du royaume.
Voici un roman qui flotte talentueusement entre la fiction et la réalité historique et qu’on lit d’une traite, tant il est composé de main de maître1 et écrit avec une élégance dans le propos qui doit beaucoup à la fréquentation des Mémoires de Saint Simon.
La fiction tire le fil de l’intrigue. Un certain Abderrahmane Eljarib a été le condisciple du jeune prince Moulay Hassan au Collège impérial de Rabat à la fin du protectorat français sur le Maroc. Affranchi de la tutelle envahissante de la France coloniale, le prince, devenu roi, fait d’Eljarib un homme lige, tantôt éloigné dans le grand sud au début de son règne en qualité de “gouverneur académique de Tarfaya et des territoires légitimes” (le Sahara encore espagnol), tantôt associé de près à l’exercice du pouvoir en tant qu’historiographe du royaume (et non du roi ou bien du Maroc). A ce titre, il est chargé de préparer le trois-centième anniversaire de l’avènement du sultan Moulay Ismaël, ce qui nous vaut d’évocateurs rapprochements entre le système de cour de Versailles et le harem du sultan, l’exercice du pouvoir par les deux souverains et la fantasia et le carrousel, deux sommets de l’art équestre.
Le récit est traversé par des personnages imaginaires qui se meuvent dans le vraisemblable : Philippe Delhaye, l’ancien normalien ami de Pompidou et Senghor qui enseigna au Collège impérial ; Morgiane el Meghisti, une jeune femme qui associe l’idéalisme éthéré du philosophe Al-Fârâbî au réalisme social tranchant à la Karl Marx ; Mourad Guessous, un journaliste au quotidien francophone L’Opinion, déclarant qu’au début des années 1970 tout le monde a un pied de chaque côté (au Palais et dans l’armée qui conspire) ; et Delphine Clerc, l’étudiante normalienne qui rencontre Eljarib exilé à Paris. Il a été congédié fin 1999 par Mohammed VI. Elle sera dépositaire des mémoires de notre historiographe du royaume et son exécutrice testamentaire.
Le recours à l’histoire telle qu’elle s’est vraiment passée remplit ce roman de son fracas : un récit circonstancié de l’assaut du palais d’été de Skhirat, le 10 juillet 1971, par les cadets mutins d’Ahermoumou et du coup du Boeing, le 16 août 1972, se clôturant par le “suicide de trahison” du général Oufkir. Mais l’historicité transparaît au détour de chaque page tant l’auteur, bien documenté, s’ingénie à faire vrai en prenant appui sur des personnages qui ont réellement existé : l’ancien étudiant révolutionnaire Anis Balafrej et l’orientaliste Louis Gardet par exemple. Maël Renouard ne se limite pas à glisser des noms contemporains pour faire vrai. Il se livre à une étude savante du Maroc sous le long règne de Moulay Ismaël et, pour l’étayer, multiplie les références aux chroniqueurs des deux royaumes, dont l’ambassadeur du sultan à Versailles, Si Témin.
Par-delà l’exercice de style convenu, le romancier se livre à une réflexion en profondeur sur ce qu’est ou n’est pas une monarchie de droit divin (p. 217-219), sur ce qui tient le courtisan en état d’alerte permanent vis-à-vis du prince et sur la fabrication de la dévotion à sa personne qui ne tient pas que du registre de la peur. Par conséquent, on est en présence d’un roman qui non seulement se pique d’être écrit dans la langue du Grand Siècle, mais examine de près la nature du pouvoir monarchique au XVIIe comme au XXe siècle et la courtisanerie qui en est l’ingrédient obligé.
Daniel Rivet2
Notes de la rédaction
1 Né en 1979, écrivain, essayiste et traducteur, Maël Renouard a reçu, le 9 avril 2021, le Prix des Lecteurs des Ecrivains du Sud 2021 pour son roman L’historiographe du royaume paru en septembre 2020. En 2013, il a reçu le Prix Décembre pour La Réforme de l’opéra de Pékin. Son essai sur Internet, Fragments d’une mémoire infinie, a été traduit en allemand et est en cours de publication aux États-Unis (cf. site des éditions Grasset).
2 Daniel Rivet contribue régulièrement aux Regards et aux recensions de livres de notre site.
Il est l’auteur, notamment, de : Histoire du Maroc.- Fayard, 2012 ; Le général Édouard Méric (1901-1973) : un acteur incompris de la décolonisation.- Bouchène, 2015 et de Henry de Castries (1850-1927) : du faubourg Saint-Germain au Maroc, un aristocrate islamophile en République.- Karthala, juin 2021