Titre

Les lettres d’Alep

Auteur

Nabil Antaki et Georges Sabé

Type

livre

Editeur

Paris : L’Harmattan, 2018

Nombre de pages

271 p.

Prix

28 €

Date de publication

13 novembre 2019

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Les lettres d’Alep

Ces lettres évoquent  la vie quotidienne d’une  grande métropole soumise  à une guerre civile impitoyable alors qu’elle était jusqu’en 2011 connue du monde entier, accueillant des centaines de milliers  de touristes qui voulaient voir ses richesses archéologiques, ses souks orientaux entièrement couverts, son immense citadelle, ses mosquées, mausolées, hammams médiévaux, ses églises du XVIIe siècle.

Les coauteurs sont  un authentique Alépin, médecin, d’une famille consacrée  à la médecine et  un religieux mariste syrien, appartenant à une congrégation venue de France en 1904, à la demande de l’évêque arménien catholique de la ville. Tous deux avec Madame Leïla Antaki  ont été confrontés à la misère soudaine de leurs concitoyens  « menacés, attaqués, pris au piège, assassinés, enlevés » (p.81) par un groupe de sauvages qui ont pris possession de l’Est de la Syrie et du Nord de l’Irak » (p.116) et « se livrent à des actes de sauvagerie, de barbarie, pillant le patrimoine et volant les richesses» (p.109). « Ce livre, compilation de lettres, se veut être un témoignage de solidarité » (p.9). Un article de La Croix du 26 janvier 2014 de Jean-Christophe Ploquin, complété par des informations publiées dans le Bulletin de l’Œuvre d’Orient montrent qu’une partie du public français n’était pas indifférent à ce qui se passait réellement en Syrie.

A part La Croix[1], qui soulignait la souffrance de la société civile en mai 2015 (« Alep se meurt. Alep vit et les enfants vont à l’école même si les locaux sont endommagés »), la presse occidentale ne parle « que des souffrances de  quelques civils dans quelques quartiers de l’Est contrôlés par les rebelles … Les souffrances du million et demi d’Alépins de l’Ouest sont passées sous silence » (p.206) … Comment faire pour que les médias reflètent la réalité? (p.226). « Le matraquage médiatique occidental est très partial. On oublie les 90 000 djihadistes étrangers « qui ont envahi les quartiers Est d’Alep en 2012, Mossoul en 2014, commis les attentats à Paris en 2015 » (p.231).  Même les amis occidentaux du Dr Antaki « tombent dans le piège du politiquement correct demandant la levée de l’encerclement des rebelles pour raisons humanitaires » (p.231).

Pendant ce temps, les réfugiés chrétiens et musulmans des quartiers pauvres de la ville ont été pris en charge par Caritas ; ils étaient kurdes, kourbates (roms), turkmènes, arabes (p. 25). Il fallait aussi soigner les blessés des bombardements, les amputer parfois. Les églises étaient bombardées au moment des messes dominicales comme l’Église latine, le 1er mars 2015 (p.138) ; de même que les établissements scolaires comme l’École Furqan, le 20 novembre 2016, au moment des cours faisant dix morts (p.222). Pendant des semaines, les quartiers centraux et occidentaux d’Alep recevront des obus de mortier et des bonbonnes de gaz remplies de clous (p. 220).  La presse occidentale ne semble pas avoir signalé ces faits, la presse russe l’avait fait.

Les familles alépines n’ayant plus de revenus, les activités humanitaires durent couvrir la nourriture, l’habillement, la scolarisation, les soins médicaux. Beaucoup de  médecins avaient fui  la ville ; les deux hôpitaux publics restés ouverts manquaient de médicaments (p.77). Les Maristes Bleus, ex-L’Oreille de Dieu, l’Association caritative du Dr Antaki (avec cinquante  personnes chrétiennes et musulmanes) transportaient les blessés les plus graves à l’Hôpital Saint-Louis des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, qui fut bombardé à plusieurs reprises. Les enfants accueillis des autres quartiers tenus par les rebelles étaient presque tous dans une situation précaire, souffrant du froid, de la faim, des maladies diverses ; parfois leurs parents étaient décédés (p.176).

L’avenir de la ville était le but recherché des Maristes Bleus. Ils avaient créé sous les bombes un Centre de Formation à différents métiers et professions avec le label « Ne laissez pas les seigneurs de la guerre vous voler vos rêves » (p.195). La rescolarisation des enfants chassés avec leurs familles de l’Est, chrétiens et musulmans, fut entreprise avec des bénévoles. En 2016, ces enfants réussirent les tests de niveau du Ministère de l’Éducation Nationale syrien. Le Dr Antaki croit comme les Frères Maristes que « l’éducation reste le seul chemin vers la paix ». En même temps, la lutte contre l’illettrisme pour les adultes était entreprise. Des habits neufs pour les enfants étaient distribués pour les fêtes de Noël et de  l’Adha (fête majeure musulmane). Pour les jeunes mères de famille, l’association La goutte de Lait distribuait le lait nécessaire aux jeunes enfants.

Une partie des dons des familles syriennes et étrangères servait à rétribuer les « masbarji », transporteurs agréés  par les bandes armées qui bloquaient la ville et faisaient payer l’importation des vivres, quand ils ne procédaient pas au blocus complet condamnant toute la population alépine à la famine, à l’assoiffement (ils tenaient les sources d’eau), au manque de combustible par les grands froids et bien sûr aux coupures d’électricité durant parfois un mois (p.174). Les auteurs ont raison de dire qu’il s’agit là de « crimes contre l’humanité » (p.199).  A cela s’ajoute l’insécurité permanente, les enlèvements des notables,  des citoyens, des religieux  comme les deux évêques grec-orthodoxe et syriaque non-chalcédonien enlevés en mai 2013 et jamais revus.

Enfin, la libération d’Alep commencera le 28 juillet 2016 avec l’occupation du quartier Est, tenu par les terroristes de Jobhat Al Nosra (p.197). Le 23 novembre 2016, les terroristes seront exfiltrés de l’Est vers Idlib. 15 000 habitants seulement sur 200 000  demanderont de les suivre (p.235) ; ce qui fait une adhésion bien faible pour les rebelles soutenus par le Qatar !

« Les Syriens souffrent de voir le nom de leur pays associé au terrorisme international, de savoir que 30 000 personnes de 80 nationalités font le jihad en Syrie » (p.139), nous rappellent les auteurs de ce livre poignant[2]. Ils représentent  la société civile syrienne qui ne demande qu’à être écoutée. Les intérêts contradictoires – des grandes puissances, du Régime syrien post-Daech et post-Qaïda et des puissances régionales – ne semblent malheureusement pas prendre en considération la société syrienne. Cet ouvrage en tout cas est un appel à ne pas oublier les citoyens d’un pays auquel notre civilisation doit tant et qui a tant souffert.

Christian Lochon[3]

 

Note de la rédaction de CDM

[1] Lire aussi, dans La Croix du 09/10/2019, la critique du film à voir actuellement : Pour Sama, le massacre des innocents à Alep. Prix du meilleur documentaire – Œil d’or – au Festival de Cannes, vient de recevoir le grand prix et le prix du public au festival War on Screen.

[2] Depuis mars 2011, début de la guerre civile en Syrie, on pourra lire de nombreux articles sur le site de CDM et des recensions de livres, par ordre chronologique d’édition : La rage et la lumière : un prêtre dans la révolution Syrienne ; Ne nous laissez pas disparaître ; Le miroir de Damas : Syrie, notre histoire ; Le pianiste de Yarmouk ; Syrie : à chacun sa part ; Syrie. L’espoir vainqueur ; Dans la tête de Bachar Al-Assad ; Homs, l’espérance obstinée ; Histoire de la Syrie : XIXe-XXIe siècle.

[3] Cette recension, destinée d’abord à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (ASOM) dont Christian Lochon est Membre libre, est publiée ici avec l’aimable autorisation de l’ASOM et l’ajout de quelques notes.