Recension

Titre

L’Émir Abdelkader, apôtre de la fraternité

Auteur

Mustapha Cherif

Type

livre

Editeur

Paris : Odile Jacob, 2016

Nombre de pages

176

Prix

21,90 €

Date de publication

23 novembre 2016

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L’Émir Abdelkader, apôtre de la fraternité

Sujets : Abdelkader, 1808-1883
Algérie, colonisation, 19e siècle
Islam, soufisme

L’introduction de cet ouvrage est remarquable, elle donne vraiment envie de plonger dans le récit à la rencontre de l’émir Abdelkader. Mais une fois dans les divers chapitres du livre, la lecture est un peu plus difficile pour un lecteur, une lectrice qui n’est pas féru-e de l’histoire coloniale de l’Algérie en lien avec la France. Il a fallu que je fasse un effort et que je m’accroche, parce que l’environnement historique d’Abdelkader ne m’était pas familier. C’est un livre dense, profond dont l’écriture est agréable voire facile. Au fur et à mesure de la lecture, j’ai découvert la très riche personnalité de l’émir Abdelkader, personnalité universelle. Il a eu une vie mouvementée, liée à l’histoire compliquée de l’Algérie et de la France, de l’Orient et de l’Occident qui a influencé sa pensée tant politique, philosophique que religieuse.

Abdelkader est nommé très jeune « Émir », puis « Commandeur des croyants », ce qui lui confère  un pouvoir temporel et une autorité spirituelle. C’est à partir de ce moment, qu’il devient combattant contre l’occupant français.

« Conformément au Coran et à la tradition du Prophète, le petit combat, le petit djihad n’a de validité qu’en cas de légitime défense et doit être mené par l’Etat, selon des conditions strictes et comme dernier recours pour établir la paix. » (p. 55). Difficile pour cet homme épris de paix de vivre la guerre inhumaine, violente, atroce du général Bugeaud nommé gouverneur de l’Algérie en 1836, mais pour l’émir, la « guerre juste » existe pour que l’Algérie soit un Etat autonome et libre, ce qui implique des actes de violence !  Mais quand cette guerre coloniale, inégale est devenue facteur de génocide, l’émir Abdelkader a déclaré : « Je n’abandonnerai pas mon peuple »  et a dû se résigner à voir la fin de la guerre.   « Il se projetait dans une nouvelle mission universelle : contribuer au renouveau de la civilisation musulmane en privilégiant la fraternité humaine et le vivre ensemble. » (p. 73). Il demande à être exilé en Orient, ce que la France accepte dans un premier temps ; mais elle ne tient pas parole, et l’emprisonne d’abord à Toulon, puis à Pau, puis il est transféré au château d’Amboise en novembre 1848. Il est libéré en 1852 et reçu à Paris par Louis-Napoléon, le futur Napoléon III.

Sa grandeur d’âme, son charisme et son autorité spirituelle fascinaient les Français et là où il passait, il était acclamé avec ferveur. « Les Américains en hommage à son combat pour la liberté ont décidé en 1846 de baptiser une ville située dans l’Etat de l’Iowa, canton de Clayton, El Kader. » (p. 83).

Après son combat contre la colonisation, l’émir Abdelkader s’installe à Damas en Syrie en 1855, et c’est là qu’il finira sa vie en 1883. Il consacre sa vie à la méditation, à la lecture, à l’enseignement spirituel qu’il donne tous les jours.

En juillet 1860, éclatent à Damas de violentes émeutes interconfessionnelles entre Anglais, Français et Turcs ; « il a sauvé des milliers de chrétiens du massacre, fait reculer les émeutiers avec foi et conviction » et son engagement et son action pendant ces actes de violence ont renforcé son image de « personnage de légende » (p.88).

C’était un homme de  justice, de paix, de tolérance et de respect qui a mis le dialogue au centre de ses préoccupations. Conscient des diversités culturelles, religieuses, politiques il estime fondamental que les civilisations de l’Orient et de l’Occident se rencontrent, se confrontent, s’interpellent pour atteindre une certaine harmonie.

N’est-ce pas une utopie ?

Non, pas dans son esprit, car l’émir Abdelkader est un homme profondément religieux. Pour lui, le Coran « invite à la connaissance du spirituel et du profane, de l’au-delà et du temporel.  Il est aussi une condition que les croyants et les humanistes soient des hommes exemplaires, ce qui exige de chacun d’eux d’être responsables devant Dieu et devant les hommes. » (p.47).

Il défend un islam responsable, exigeant, vertueux, fraternel qui appelle à l’excellence. Une foi mystique et raisonnée qui s’enracine en Dieu et s’élève vers Dieu, dans la tolérance et le respect des autres. « L’idole de tout homme, c’est son ego » (p.143), il importe de combattre l’égoïsme, l’ignorance, l’agressivité, seules la connaissance, la générosité, la solidarité qui sont des actes raisonnables permettent d’approcher la vérité[2].

Martine Millet

[1] Philosophe et islamologue, spécialiste du dialogue des cultu­res, des religions et des civilisations, Mustapha Cherif est professeur des universités et a été professeur invité au Collège de France. Lauréat du prix Unesco pour la culture arabe et le dialogue des cultures, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont L’Islam, tolérant ou intolérant ? .- éd. Odile Jacob, 2006.

[2] On pourra :

Lire aussi la recension, par Christian Lochon, du livre d’Ahmed Bouyerdene : Abd el-Kader : l’harmonie des contraires.– Seuil, 2008, parue sur le site de CDM, le 09/08/2010 et l’entretien entre Mustapha Cherif et Frédéric Mounier, paru dans La Croix du 26/ 02/ 2016 et publié sur le site de CDM, le 28/02/2016 :

Ecouter Mustapha Cherif reçu par RCF, le 11 avril 2016, dans l’émission de Christophe Henning, En toutes lettres (durée : 25 mn)