Titre

L'Église face au fanatisme.

Sous titre

L'exemple des premiers chrétiens

Auteur

Philippe Henne

Type

livre

Editeur

Paris : Salvator, 2021

Nombre de pages

200 p.

Prix

20 €

Date de publication

28 novembre 2022

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L’Église face au fanatisme.

L’auteur, spécialiste des Pères de l’église, se saisit d’une question brûlante : les religions engendrent-elles inévitablement le fanatisme ? Il étudie la question à partir du christianisme ancien, dans le style clair et percutant auquel il a habitué ses lecteurs.

Il aborde d’abord la question sous un angle un peu inattendu : le rapport au corps et à la vie. C’est seulement dans un second temps qu’il étudie certaines figures antiques parfois présentées comme fanatiques. Il y a, du coup, deux thèmes dans le livre : le rapport au corps, et le rapport à l’intolérance.

Dans la première partie Philippe Henne commence par interroger le martyre chrétien, souvent vu comme du fanatisme, habité par le mépris de soi et de la vie. Il montre que le martyr chrétien subit la mort sans l’avoir cherchée, et surtout ne la donne à personne. Même le désir du martyre (Ignace d’Antioche, v.35-110) n’est pas suicide ni dégoût de la vie. Seules certaines déviances (montanisme, marcionisme, donatisme) ont pu donner prise à ces critiques en allant parfois exprès au-devant de la mort, attitude toujours désapprouvée par l’église.

Il interroge ensuite les pratiques parfois extrêmes du monachisme antique, en particulier la violence faite au corps par la privation de nourriture ou de sommeil et la continence sexuelle. L’auteur rappelle que les excès ascétiques de certains moines, en particulier les stylites, étaient des initiatives privées, et que les évêques, et aussi le peuple de Dieu, étaient souvent plus prudents et savaient faire le tri entre les saints authentiques et les excités. Il montre aussi que la pratique de l’ascèse pour maîtriser son corps et ses pulsions n’était nullement l’apanage du christianisme, et que l’Eglise ne propageait pas le mépris du corps dans sa doctrine. On aimerait pourtant que l’auteur développe davantage le sens des pratiques ascétiques qu’il décrit, afin de ne pas en rester à un catalogue des curiosités (ce sera esquissé, trop vite, dans la conclusion de la première partie).

Le troisième chapitre est consacré à la sexualité. L’impression d’ensemble est plutôt négative, le christianisme ayant dès l’origine, ou presque, eu tendance à valoriser la virginité. Mais on redécouvre que le corps, le lien conjugal et la sexualité n’étaient nullement dépréciés, sauf dans des mouvements extrêmes, encratites (*) et autres, vite marginalisés par la grande Eglise. Cependant, la vision du mariage, dans la ligne de Paul : “Il vaut mieux se marier que de brûler(1 Co 7, 9), n’est pas toujours aussi positive qu’on le souhaiterait ; la femme est placée à un rang subordonné à l’homme, selon une lecture courante de Gn 2, 18 (la femme “aide” de l’homme). Quant à la sexualité, elle n’est admise que strictement ordonnée à la procréation. Quelques pages plus lumineuses, chez Tertullien ou Paulin de Nole, laissent entrevoir la possibilité d’une pensée plus riche du lien conjugal.

La seconde partie convoque “devant la cour de l’histoire” trois personnages traditionnellement jugés coupables d’actes fanatiques : Tertullien (v.160-v.220) pour avoir prêché la violence, Origène (v.185-253) pour s’être fait violence en se castrant, Augustin (354-430) pour avoir fait appel au pouvoir civil afin de contraindre les donatistes à revenir dans l’Église. L’auteur rappelle que Tertullien, dans ses invectives contre les ennemis de l’église, suit l’usage rhétorique de son époque… et son tempérament personnel, ce qui ne permet pas de nourrir un procès global d’intolérance contre le christianisme. Le cas de la castration d’Origène est plus difficile : il est suggéré qu’Eusèbe (v.265-v.338) a probablement inventé cette histoire pour enjoliver la figure de son héros ; mais on n’est pas forcément convaincu : l’auteur note lui-même qu’Eusèbe est embarrassé par l’épisode ; si c’est le cas, pourquoi l’avoir inventé ? Et peut-on dire que la chose est invraisemblable parce que la castration était sévèrement punie par la loi, et, quelques pages après, reconnaître que “le fait est que certains chrétiens exaltés avaient pratiqué cette amputation particulière”, et en donner un certain nombre d’exemples ? Eusèbe tord parfois la chronologie dans ses récits historiques, mais n’invente rien. La troisième enquête, sur l’appel d’Augustin au “bras séculier” contre les donatistes, s’efforce de résumer de façon claire une histoire passablement embrouillée, pour montrer ensuite qu’Augustin ne s’est résolu qu’à contrecœur à recourir au pouvoir civil, et avant tout pour éviter les nombreuses violences déjà engendrées par la situation, du fait des donatistes eux-mêmes.

Le rapport de l’Église catholique au fanatisme sort considérablement éclairé de cette étude, même si son écriture un peu rapide1 ne permet guère d’approfondir les problèmes. On pourrait élargir la question : au-delà d’Augustin, l’église s’est-elle servie du pouvoir pour en obtenir les lois qu’on trouve dans le Code théodosien2 contre les hérésies ou le paganisme ? On pourrait aussi se poser la question du rapport au judaïsme, et de la violence avec laquelle le peuple juif a été pratiquement exclu de l’histoire du salut quand l’Église a prétendu être le nouveau peuple de Dieu : violence des insultes, des accusations d’aveuglement et de déicide… Philippe Henne3 a néanmoins eu le courage de poser franchement une question difficile et de la traiter avec une grande liberté et une vivacité de plume qui ne décevra pas ses lecteurs.

Bernard Meunier

1 Sur le dossier de l’intolérance dogmatique, on regrette que l’auteur n’ait pas dialogué avec le livre de Polymnia Athanassiadi, Vers la pensée unique : la montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive, Les Belles Lettres 2018. Sur celui de l’amour et de la sexualité, on suggère aussi de se référer au dernier tome posthume de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, Les aveux de la chair, Gallimard 2018, qui fait la part belle au Stromate 3 de Clément d’Alexandrie (v.150-v.215) souvent cité dans ce livre.

Notes de la rédaction :

(*) Sur l’encratisme, voir l’article de l’Encyclopaedia Universalis : https://www.universalis.fr/encyclopedie/encratites/. Le principal représentant de ce courant rigoriste et gnostique, caractérisé par le refus du mariage comme mauvais en soi, est un disciple de Justin de Rome, Tatien, fondateur d’une secte à Edesse vers 170.

3 sur Philippe Henne

A lire aussi : Du fanatisme : quand la religion est malade / Andrien Candiard.-Cerf, 2020

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