Titre

La peur des autres

Sous titre

Essai sur l’indésirabilité

Auteur

Michel Agier

Type

livre

Editeur

Payot & Rivages, 2022

Collection

Bibliothèque Rivages

Nombre de pages

108 p.

Prix

16 €

Date de publication

16 août 2023

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La peur des autres : essai sur l’indésirabilité.

Il a bien raison, le philosophe Fred Poché, de nous rappeler que : “La mondialisation ne produit pas seulement une nouvelle situation économique, elle laisse émerger une mutation anthropologique sans précédent qui engendre certes, des croisements féconds, mais aussi des inquiétudes, des crispations identitaires, voire des phénomènes de rejet particulièrement préoccupants”1. C’est un fait qu’à la rapidité, presque sans frontière, de la circulation globale des biens et des marchandises, s’oppose une réaction de plus en plus forte à la circulation des personnes, car l’autre nous fait peur !

C’est à partir de ce constat que l’anthropologue Michel Agier, structure son essai :

La peur des autres : essai sur l’indésirabilité et à partir de l’actualité extrême de deux événements qui ont caractérisé le plus ces trois dernières années : la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, où la peur supposée d’une agression aurait justifié l’hostilité destructrice des Russes.

Agier considère, à juste titre, qu’il faut enquêter sur les peurs et les imaginaires qui font des autres des indésirables, pour pouvoir ré-imaginer les conditions d’une possible vie commune, qui n’est pas la simple somme d’individus mais la rencontre de personnes, dont le statut en fait des porteurs d’une conscience, de désirs, de rêves et non seulement de peurs ! D’ailleurs, l’incertitude, le risque, l’insécurité, la précaution, la peur sont devenus des thèmes redondants dans la réflexion des penseurs du monde social contemporain qui constatent qu’il s’agit de logiques « d’en bas », sciemment instrumentalisées et manipulées par les pouvoirs forts, tout particulièrement par la collusion entre les sphères du politique et des médias.

L’auteur de La peur des autres, en scrutant la dialectique entre peur et indésirabilité, ne pouvait s’empêcher d’évoquer le drame des nouvelles frontières apparemment insurmontables qui se sont multipliées depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, et la fin de la guerre froide, en 1991. La peur réelle et éveillée entraîne un manque dereconnaissance de l’humanité de l’autre qui, au fond, porte à une négation ou, du moins, à la difficulté de redécouvrir sa propre humanité, l’humanité d’un homme occidental de plus en plus chosifiée dans une culture marchande… C’est la mort de Barzakh, terme qu’Agier emprunte à l’arabe et qui signifie “l’entre-monde” : l’espace frontière entre le monde matériel et le monde spirituel, mais aussi entre la vie et la mort, danslequel vivent des milliers de personnes, hommes et femmes à la recherche d’un futur et à la merci de l’inhumanité de ceux qui devraient reconnaître leur drame. L’auteur ne le dit pas explicitement, mais cet « entre-monde » devrait justement être le lieu de la reconnaissance, l’espace indispensable afin qu’un dialogue puisse s’instaurer et qu’une hospitalité puisse avoir lieu.

La disparition de cet espace intermédiaire est à l’origine de l’indésirable qui, souligne justement Michel Agier, n’existe pas en soi, mais est l’image produite d’un regard voilé sur les autres, le monde et, finalement, nous ajoutons, sur nous-mêmes, car la non-reconnaissance de l’autre exprime implicitement l’incapacité d’accepter “l’autre moi” (la face cachée de notre identité que la présence de l’autre nous renvoie à la figure) qu’on a parfois du mal à accepter et à accueillir, pour pouvoir, finalement, l’offrir en don à ceux que nous rencontrons.

L’anthropologue des mobilités (tel que se définit l’auteur du livre) dans les dix pages de conclusion de son essai, envisage la nécessité d’un autre horizon pour redonner à chacun le sens et le courage de la vie commune.

Les pistes qu’il offre restent pourtant dans l’horizon de l’anthropologie et, plus généralement, de la culture : d’un côté il propose de canaliser les peurs et les émotions quelles suscitent, dans la poésie et l’humour littéraire (il renvoie ainsi à la puissance des imaginaires esthétiques qui ont justement le pouvoir de transformer les peurs) et, d’un autre côté, il invite à réfléchir sur le statut de la subjectivité dont la socialité n’est pas un complément éventuel mais une condition essentielle : nous ne pouvons tout simplement pas vivre sans les autres au quotidien ! C’est une évidence : il n’y a pas un sujet préexistant à la relation à l’autre, et la découverte de son propre « je » passe par la perception de soi à travers l’autre. Pourtant, nous ne sommes pas sûrs que ces évidences suffisent à dépasser les déterminismes de la peur et de l’individualisme qui se veut autosuffisant.

Le défi pour les hommes et les femmes, au cœur de leurs parcours existentiels, est celui d’instituer une pensée à partir, et non malgré, l’existence de l’étranger, une pensée où la condition d’étrangeté ne représente pas une condamnation inéluctable ou une menace à contrer, mais plutôt une parole à accueillir qui puisse éclairer le double rapport avec soi-même et avec les autres. D’ailleurs, ce n’est que dans un monde où chacun a la possibilité d’être reconnu dans sa singularité exceptionnelle que peut naître la fraternité. Le munus (don) que se partagent les membres d’une communitas n’est pas une propriété ou un bien matériel, mais le témoignage mutuel de ne pas se suffire à soi-même et l’acceptation d’un lien de dépendance. C’est ici que se fonde la dimension théologale de l’hospitalité : celui qui accueille est élevé à la hauteur de la gratuité divine. Mais ce n’est pas la tâche d’un anthropologue2 de le reconnaître…

Fr. Claudio Monge3

1 F. Poché.- La culture de l’autre : une lecture postcoloniale d’Emmanuel Levinas.-Lyon : Chronique Sociale, 2015, p. 17.

Notes de la rédaction :

2 Anthropologue, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Michel Agier est directeur d’études à l’EHESS. On pourra écouter sa conférence en cliquant sur : Crise des réfugiés, crise de l’hospitalité (durée: 39 mn) lors du Colloque au Collège de France (12-14/10/2016) : Migrations, réfugiés, exil.

Il est l’auteur, notamment, de Gérer les indésirables.- Flammarion, 2008, La condition cosmopolite.- La Découverte, 2013, Les migrants et nous : comprendre Babel.– CNRS éditions, 2016, L’étranger qui vient : repenser l’hospitalité.- Seuil, 2018. Voir la liste de nos recensions sur les Migrants, réfugiés, et demandeurs d’asile

3 Dominicain, théologien des religions et directeur du Centre de recherches DOSt-I d’Istanbul, l’Institut d’Etudes Dominicain d’Istanbul. Claudio Monge est co-auteur des livres suivants : Les mots pour dire Dieu. Sept 2022 ; Oser l’hospitalité à l’école de Pierre Claverie et Christian de Chergé.– Bayard, 2019 et Pierre Claverie : la fécondité d’une vie donnée / sous la direction de Jean-Jacques Pérennès ; préface du cardinal Jean-Louis Tauran.- Paris : Cerf, 2018

 

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