Jours tranquilles en Palestine.

Cet ouvrage rassemble sous un titre provocateur trois chroniques écrites il y a plus de dix ans, déjà publiées séparément à l’époque, et pourtant tellement actuelles, témoignant du quotidien vécu par trois observateurs en trois lieux, Ramallah en Cisjordanie, Gaza et enfin Jérusalem. Il s’agit pour chacun des auteurs d’une sorte de journal relatant des événements et réflexions à partir de scènes vécues. Le tout est préfacé par Domique Vidal¹ qui explique à juste titre la pertinence criante de ces témoignages à l’heure de la destruction de Gaza par l’armée israélienne après les massacres du 7 octobre 2023.

La première chronique (p.17 à 171) de Gilles Kraemer² s’étale de novembre 2004 à février 2008, lorsqu’il était directeur du centre culturel franco-allemand à Ramallah, point d’observation considérable de la situation en Cisjordanie dirigée par l’Autorité Palestinienne sous le contrôle et la pression d’Israël. Il expose en termes non diplomatiques et avec humour des scènes de vie quotidienne dont on est bien obligé de constater l’absurdité et le caractère oppressant lié au contrôle sécuritaire israélien, mais aussi au pouvoir en place et à sa bureaucratie, au conservatisme religieux…

Il en est de même pour la seconde chronique (pp 173-321) de Karim Lebhour³, journaliste travaillant notamment pour La Croix, qui couvrait les événements à Gaza en y faisant de nombreux séjours et dont le journal s’étale sur la période de mai 2007 à novembre 2010, soit avant et après l’opération Plomb durci fin 2008 début 2009. Là encore on trouve des témoignages quotidiens de la coercition israélienne faisant de Gaza une prison à ciel ouvert, mais aussi de l’emprise grandissante du Hamas et du conservatisme religieux qui sortent renforcés par ces mesures alors que leur objectif déclaré est plutôt l’inverse.

La troisième chronique est celle d’un metteur en scène de théâtre (dramaturge), Mohamed Kacimi⁴, qui nous donne deux témoignages plus courts d’expériences à Gaza (montage pédagogique en 2014 de la pièce On ne badine pas avec l’amour au centre culturel français, havre de tolérance dans un milieu hostile) et surtout à Jérusalem (montage en 2015 de la pièce Des roses et du jasmin de Adel Hakim au Théâtre National Palestinien ) : on y voit les tribulations d’une équipe confrontée à l’adversité liée à la situation sécuritaire mais aussi aux blocages culturels palestiniens (difficile de vouloir entendre la douleur des juifs aussi), mais la pièce aura finalement un succès inespéré auprès du public.

Cet ouvrage est remarquable et recommandé à qui s’intéresse à la situation en Palestine. Les témoignages sont très bien écrits, la lecture est aisée et on y trouve la complexité désespérante de ce conflit (tous les ingrédients de l’impasse actuelle sont présents, l’aveuglement récurrent des soutiens occidentaux d’Israël ne peut que questionner), mais aussi sans autocensure sur les conflits internes et dérives qui frappent la société palestinienne. C’est d’ailleurs peut-être cela le plus intéressant même si c’est plus difficile à intégrer par ceux qui se polarisent sur la dénonciation de la colonisation israélienne (avec raison bien sûr) sans pouvoir de critique des responsables palestiniens alors que c’est aussi nécessaire si l’on se soucie de l’avenir : le message final pourrait bien être que les Palestiniens veulent vivre, tout simplement, et que malgré tout ce qui est relaté “il est interdit de désespérer”…

Xavier Godard

Membre de CDM

Notes de la rédaction

Retour à l’accueil