Jean-Louis Tauran. Le courage et la liberté

Un petit livre (193 pages) hommage à un grand homme, le Cardinal Tauran (1943- 2018).

Hommage composé d’articles de personnes dont on sent qu’elles ont été ses amis – un ambassadeur, Pierre Morel ; un évêque, Jean Marc Aveline ; un dominicain spécialiste du Moyen-Orient, Jean-Jacques Pérennès ; le Cardinal secrétaire d’Etat, Pietro Parolin et le président de l’Académie catholique, Philippe Capelle-Dumont. Les hommages son présentés par Xavier Manzano, directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée, et complétés par sept textes (dont une prière) du Cardinal Tauran.

Un trop petit livre pour ceux qui ont aimé – admiré – le Cardinal. Il ne dit rien sur ses silences, son sourire quelquefois énigmatique, son amour pour sa famille, son enracinement bordelais, sa simplicité, sa joie d’être prêtre, oui trop petit livre mais qui dit l’essentiel sur ce qui, dans l’action du Cardinal, a marqué le siècle.

Diplomate – le diplomate de Jean-Paul II – le cardinal a été l’âme de bien des débats notamment sur le projet de traité constitutionnel européen (2002-2003), la première guerre d’Irak (1991), la deuxième guerre d’Irak (2003-2011) et l’institutionnalisation des rapports entre l’Etat Français et le Vatican. Son « métier » comme diplomate n’a pas toujours convaincu totalement ses partenaires, mais il est toujours arrivé à faire bouger les lignes au service de la paix.          .

Tout simplement, sans doute, parce qu’il avait un sens de l’humain lié à une véritable vision géopolitique. Il est difficile ici de ne pas citer son regard sur la Méditerranée : « La Méditerranée c’est l’altérité, la Méditerranée c’est l’appel à connaître, la Méditerranée c’est se souvenir ! » (p.149-158)[1].

Mais c’est évidemment comme président du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux (2007-2018) qu’il a laissé une trace indélébile[2].

En fait il a eu à gérer l’héritage de la rencontre d’Assise (27 oct. 1986)[3]. Cet évènement qui fut une catéchèse vivante sur la déclaration du Concile, Nostra Aetate[4], sur le rapport avec les autres religions. Mais lorsqu’il est chargé de faire fructifier Assise, les relations islamo-chrétiennes traversent une grave crise due à une interprétation particulière du discours de Benoît XVI à l’université de Ratisbonne (09/2006). Dans ce qui est sans aucun doute le meilleur de l’ouvrage, Mgr Aveline raconte comment Mgr Tauran a su se servir de l’obstacle que semblait être le discours de Ratisbonne au dialogue islamo-chrétien pour en faire un tremplin et approfondir le dialogue. Il est vrai que le discours intitulé « Foi, raison et université » n’avait pas pour objet de traiter de ce dialogue mais voulait dénoncer la violence religieuse en rappelant que la religion ne peut pas aller contre la raison[5].

Des musulmans ont pensé que ce discours dénonçait l’Islam comme violent alors que le Pape voulait tendre la main aux musulmans pour pouvoir, avec eux, faire entendre à la raison l’importance des questions posées par la religion.

Le Cardinal Tauran a su relancer le dialogue grâce à sa capacité de voir le positif dans les réactions musulmanes : la croyance en un seul Dieu créateur bienveillant et juge universel, bâtir la paix et la volonté de bâtir la paix. Le dialogue, il le mène avec trois orientations fondamentales : le sens de l’identité, le courage de l’altérité, la sincérité des intentions.

En avril 2017, à l’Université Al Azhar, le Pape reprendra mot pour mot ce triptyque à son compte. En 2019, le Pape François a effectué deux voyages importants, l’un à Abu Dhabi[6]   l’autre à Marrakech. Certes le style des discours de ces voyages est clairement celui du Pape mais l’on ne peut comprendre le fond de ce qui a été fait et dit sans se référer à la pensée et à l’action du Cardinal Jean-Louis Tauran. C’est le mérite de ce livre de le faire comprendre[7].

† Michel Dubost
Évêque émérite d’Évry – Corbeil-Essonnes
Directeur National des Œuvres Pontificales Missionnaires
Administrateur apostolique du diocèse de Lyon

Notes de la rédaction :

[1] Conférence de J.L. Tauran sur L’avenir de la paix en Méditerranée, prononcée lors du séminaire AIDOP (Agence internationale diplomatie et opinion publique), le 11/02/2011, à Paris.

[2] Au sein de la Curie à Rome, Mgr Michel Dubost a été nommé par Benoît XVI, en 2012, membre du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux.

[3] À propos de la 1ère rencontre d’Assise, journée mondiale pour la paix, lire art. de La Croix, 19/09/2016

[4] À lire : Nostra Aetate, la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, du Concile Vatican II (28/10/1965). 

[5] Cf. Discours de Benoît XVI à l’Université de Ratisbonne : Foi, Raison et Université : souvenirs et réflexions (12/09/2006)

[6] On pourra lire, sur notre site, le texte intégral de la déclaration d’Abou Dhabi, sur La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune et les 2 analyses qu’en font Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran (Algérie) ; et celle du P. Henri de la Hougue, professeur de théologie à l’Institut de science et théologie des religions (ISTR) de l’Institut catholique de Paris (ICP), et coprésident du Groupe de recherche  islamo-chrétien (GRIC).

[7]Jean-Louis Tauran (1943-2018) est, en effet, l’une des grandes figures de la diplomatie pontificale des dernières décennies. Collaborateur de 3 papes successifs, il fut, notamment, secrétaire pour les relations avec les États (1990-2003) et, comme souligné plus haut, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (2007-2018). A lire, sur notre site, ses nombreuses interventions dont sa proposition de 4 règles de vie pour la paix au Moyen-Orient ; sa préface au livre : Le prêtre et l’imam / Christophe Roucou, Tareq Oubrou.- Bayard, 2013 ; son livre Je crois en l’homme /Jean-Louis Tauran.- Bayard, 2016.