Titre

Histoire d’Israël

Auteur

Michel Abitbol

Type

livre

Editeur

Paris : Perrin, avril 2018

Nombre de pages

868 p.

Prix

30 €

Date de publication

19 novembre 2018

En savoir plus

Histoire d’Israël

L’épaisseur de l’ouvrage rebutera sans doute quelques lecteurs adeptes du « temps court ». Pourtant, ils seraient en phase avec le contenu. Soixante-dix ans, de 1948 à 2018, ce n’est qu’un bref moment dans l’histoire millénaire de l’humanité. Mais l’importance de ces années est inversement proportionnelle à leur durée. Michel Abitbol, universitaire, historien orientaliste de renommée internationale, spécialiste des relations entre juifs et arabes et auteur de nombreux ouvrages[1], a su prendre le temps d’explorer longuement cette singulière et complexe histoire.

S’il adopte naturellement une structure chronologique, l’auteur n’hésite pas à s’attarder sur des chapitres d’analyses de type sociologique, politique, démographique ou économique. Tant il est vrai qu’on ne peut comprendre le déroulement des faits qu’en croisant les différentes interactions qui constituent leur complexité. C’est ainsi qu’il décrypte la naissance du nationalisme sioniste et juif dans ces années 1840 en Europe, dans la mouvance des aspirations des peuples à se gouverner eux-mêmes, « presque improbable rencontre » d’une idéologie moderne laïque et nationaliste, et de l’idée messianique du « retour à Sion », en Palestine. Heurté par l’antisémitisme européen, Théodore Herzl, dans les années 1890,  va donner corps à ce rêve de procurer « un toit » aux Juifs, c’est-à-dire une nation comme les autres. C’est dans le contexte géopolitique de la fin des deux guerres mondiales qu’aboutiront d’abord le « foyer juif » de la déclaration Balfour en 1917, et en 1947 à l’ONU, la division de la Palestine entre un État juif et un  État arabe.

Au long des années qui précèdent le partage, et plus encore après la déclaration d’indépendance de 1948, l’auteur étudie les sources des conflits entre les deux peuples et leurs évolutions. Nulle part, il ne se prononce sur le fond des légitimités ou des identités qui opposent Juifs et Arabes. En historien, observateur des faits et fin analyste des situations, il suit les transformations des mentalités. Ainsi, le nationalisme laïque et socialiste des ashkénazes européens va-t-il donner naissance au mythe du « nouveau Juif », fort, jeune, entreprenant, parlant l’hébreu moderne, à la différence de ceux de la « diaspora ». Cette frange de la population se verra confortée par la réussite des implantations agricoles, les kibboutz, et par les victoires de 1948 et de 1967. Mais l’afflux des migrants (rescapés de la Shoah, séfarades orientaux chassés des pays arabes,) va faire émerger une société pluriculturelle et diversifiée, ce qui entraînera des problèmes sociaux et économiques et de nouvelles options politiques. Ce sera concomitant avec une renaissance très forte du sentiment religieux, sioniste et messianique, bien éloignée du socialisme initial.

La société israélienne va donc être confrontée à des clivages internes, tandis que l’histoire sera jalonnée de guerres ouvertes meurtrières (1948, 1956 Suez, 1967 les Six Jours, 1973 Kippour…) ou larvées (intifadas, attentats, représailles au Liban 1982 ou à Gaza 2008). L’auteur s’y attarde, davantage sur les causes et les conséquences que sur le récit des faits eux-mêmes. De même qu’il détaille les circonstances qui mèneront, en 1993, aux Accords d’Oslo[2], un espoir de paix vite retombé dans un contexte mondial de montée des extrémismes qui ruine pour longtemps les conditions d’une paix durable dans la région. Le dernier chapitre, sur les années Netanyahou, est d’ailleurs un amer constat : « La paix en miettes ».

Pour écrire son Histoire d’Israël, Michel Abitbol s’appuie abondamment (plus de 50 pages de notes et glossaire), sur des sources fiables et officielles, de toutes les langues (anglais, français, arabe, hébreu). Poètes, écrivains, économistes, chroniqueurs, mémorialistes : tous sont largement mis à contribution. Au-delà de l’événementiel qui s’égrène chaque jour dans les médias, il présente de manière synthétique, une étude approfondie de la société israélienne, son évolution et ses contradictions[3]. Ce peuple, parti de presque rien au début du XXe siècle, qu’on a malmené de toutes parts (expulsions, extermination…), existe aujourd’hui comme une nation forte, avec son dynamisme agricole et industriel, grâce aux technologies les plus modernes[4]. Mais c’est aussi une nation fragile dans le contexte géopolitique d’un Proche-Orient qu’Israël, par sa présence même, a contribué à déstabiliser.

Quiconque s’intéresse, de près ou de loin, aux efforts de paix dans cette région du monde, devrait pouvoir parcourir ce gros livre. Si certains chapitres se contentent de narrer l’histoire, d’autres fourmillent d’analyses, de points de vue, d’anecdotes, de rapprochements et de révélations qui permettent de connaître et comprendre ce qui se vit à l’intérieur d’une société. On ne boudera pas non plus son plaisir aux portraits bien ciselés des différents protagonistes qui deviennent vite familiers (Ben Gourion, Arafat, Rabin, Begin, Pérès…). Mais surtout, on appréciera que cet ouvrage, écrit sans esprit partisan ni idéologie, batte en brèche un certain nombre d’idées reçues ou toutes faites. Ce n’est pas son moindre mérite, et c’est déjà une contribution à faire advenir la paix.

Claude Popin

 

[1] Publiés chez Perrin : Le Passé d’une discorde : Juifs et Arabes depuis le VIIe siècle (1999, coll. Tempus, 2003), couronné par le prix Thiers de l’Académie française ; Les Deux Terres promises : les Juifs de France et le sionisme (1897-1945), coll. Tempus, 2010 ; Histoire du Maroc (2009, coll. Tempus, 2014) ; Histoire des Juifs (2013, coll. Tempus, 2016).

[2] Cf. Dossier de La Croix, 28/09/2016, sur les Accords d’Oslo, 13/09/1993

[3] Deux livres recensés sur notre site mettent bien en lumière ces contradictions (cliquez sur chaque titre):

 [4] Cf. Métamorphoses d’Israël depuis 1948 / Mati Ben-Avraham.- HDAteliers Henry Dougier, avril 2018.- 134 pages