Titre

Diplomate dans l’Orient en crise

Sous titre

Jérusalem et Kaboul, 2002-2008

Auteur

Koetschet, Régis ; préface de Bertrand Badie

Type

livre

Editeur

Paris : Hémisphères éditions : Maisonneuve & Larose nouvelles éditions, août 2021

Nombre de pages

207 p.

Prix

18 €

Date de publication

15 juillet 2022

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Diplomate dans l’Orient en crise : Jérusalem et Kaboul, 2002-2008.

Les ouvrages écrits par des diplomates à la retraite ne manquent pas. Certains, comme Le soleil ne se lève plus à l’Est : mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate.- Plon, 2018.- 458 p., de Bernard Bajolet sont d’un intérêt majeur en raison des postes occupés et des situations traversées. Pour mémoire, B. Bajolet a été ambassadeur à Sarajevo, Bagdad, Kaboul et Alger, au moment de crises majeures. D’autres ouvrages donnent parfois l’impression que l’auteur cherche d’abord à se mettre un peu en scène au cœur de la grande Histoire.

L’ouvrage de Régis Koetschet, comme celui de B. Bajolet, nous replace au cœur de quelques grands dossiers géopolitiques contemporains, en particulier la Palestine et l’Afghanistan, mais il y ajoute une approche extrêmement séduisante, tant il a su habiter les multiples dimensions de la diplomatie, en particulier ce que peut apporter la culture et un sens aigu des lieux et des gens. De plus, comme il l’a montré dans un autre ouvrage récent – A Kaboul rêvait mon père : Malraux en Afghanistan. Nevicata, 2021.- 96 p.-, l’auteur a su, au gré de ses postes successifs, assimiler toute une littérature historique, poétique, qui lui permet d’entrer dans la complexité des sociétés et des hommes, le dispensant ainsi de clichés réducteurs.

Jérusalem et Kaboul n’ont pas été les seuls postes occupés par Régis Koetschet. Il y a eu Tripoli, Bagdad, Islamabad, La Haye, Mascate, Lomé et diverses responsabilités au Quai d’Orsay, propres à lui donner une large vision du métier de diplomate, mais Jérusalem et Kaboul, où il a été en poste en 2002-2005 puis 2005-2008, font partie des postes les plus sensibles, les plus complexes, peut-être aussi les plus intéressants qu’il ait occupés. Dans ces deux situations, on est en présence d’apparentes impasses politiques, mais il y a aussi, dans les deux cas, une composante religieuse importante, une place privilégiée du culturel et de l’humanitaire, de quoi intéresser quelqu’un qui aime la complexité. Encadrés par un chapitre sur le premier jour et un autre sur le dernier jour dans le poste, une dizaine de courts chapitres déclinent les entrées qui permettent d’entrevoir avec nuance les situations : aux avant-postes de l’après 11 septembre ; le choc de la violence ; du ciel et de la terre ; une ambition culturelle pour la paix ; gammes, images et pages : échange culturel en temps de crise ; deux berceaux de l’action humanitaire ; les voyageurs de minuit ; le diplomate par la peau.

Le poste de consul général de France à Jérusalem a la particularité d’être une quasi ambassade pour ce qui devrait devenir un État palestinien, mais n’y parvient pas pour diverses raisons externes et internes. Les années de R. Koetschet à Jérusalem correspondent à peu de chose près à celles de la seconde Intifada (2000-2005), déclenchée par la visite provocatrice d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées. Ce contexte vaudra à l’auteur d’aller souvent visiter Yasser Arafat à Ramallah dans son bunker assiégé de la Moqata’a, d’accueillir la dépouille du défunt leader palestinien à son retour d’un hôpital parisien, et surtout d’être mêlé aux diverses initiatives politiques visant à dénouer cette crise. Parcours souvent désespérant où l’on risque de s’enfermer dans des postures ou des clichés réducteurs, à moins de s’en tenir à de secs télégrammes diplomatiques désabusés. Il n’en est rien avec Régis Koetschet, aussi soucieux d’aller à Gaza et de visiter les camps de réfugiés que de rencontrer des Israéliens comme André Chouraqui, Benny Levy ou David Grossman, qui l’aident à entrer dans l’univers mental de beaucoup d’Israéliens. Ne pas se protéger de la violence ambiante, ni même d’un certain désespoir, tout en continuant à travailler, patiemment, pour bâtir des liens, réconcilier les mémoires blessées, construire des ponts. La culture étant à ses yeux, sans naïveté aucune, un des chemins privilégiés : “À Jérusalem, à Gaza, les tensions affleuraient. Mais avec des équipes culturelles de grande qualité, nous avons tenu bon et échappé à la violence”. “Notre action autour de la culture tendait à dénouer avec patience des nœuds que la violence et l’obscurantisme avaient serrés fort, à libérer à leur rythme des énergies créatrices, à rouvrir avec confiance des chemins de la pensée”. “Qui dit que dans les nuits de la misère et de la guerre, la lumière de l’échange culturel ne touchera pas sa cible ?” Vingt ans après le départ de Palestine de l’auteur de ces propos, l’urgence et le chemin restent les mêmes et son approche pertinente : ne pas désespérer, croire dans le rôle de la culture, vouloir bâtir des liens humains avec intelligence et générosité, sans jamais accepter l’humiliation.

Avec l’Afghanistan, second grand sujet de ce livre, on risque bien de franchir un seuil fatal : pays du “Grand jeu” (R. Kipling) ou “Royaume de l’insolence” (M. Barry) qui enflamme l’imaginaire, de Malraux à Kessel ; pays d’une sublime beauté, des sommets du Pamir “le toit du monde” aux eaux turquoise des lacs de Band-e-Amir mais aussi pays volontiers assimilé à la violence, de Gengis Khan aux seigneurs contemporains de la guerre. Risque absolu donc de s’en tenir à des clichés et de sombrer dans le désespoir ou le cynisme. Ici, l’auteur, qui a tout lu sur ce pays, son histoire, sa culture, ceux qui y ont voyagé, qui l’a aimé et l’a parcouru autant qu’il était possible dans un contexte d’insécurité, nous offre une magnifique leçon d’entrée dans la complexité et, à nouveau, de chemins d’avenir. La France joue un rôle exceptionnel en Afghanistan depuis la fondation en 1922 de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA). Avec des partenaires afghans, désireux de sauver des trésors artistiques menacés par le fanatisme et l’inculture, R. Koetschet aide à monter au Musée Guimet une superbe exposition Trésors retrouvés, qui ouvre l’esprit des Occidentaux à cet art si émouvant de la culture gréco-bactrienne, kouchane et hephtalite. Des œuvres d’une émouvante finesse, nées de la rencontre du bouddhisme et des descendants d’Alexandre-le-Grand qui invitent à ne pas assimiler pour toujours Afghanistan et talibans.

En Afghanistan aussi, l’humanitaire et le patient travail des ONG retiennent l’attention d’un ambassadeur de France qui va sur le terrain, aide à faire avancer les dossiers et s’impliquera lui-même plus tard dans des associations comme MADERA ou AFRANE. Miracles de l’installation d’écoles pour des filles en milieu rural, de l’organisation de concerts et de lecture de poésie, joie du compagnonnage avec des êtres d’exception comme Bahoudine Madjrouh et Séverin Blanchet qui “ont payé de leur vie cet engagement pour le rayonnement de la culture, de la liberté de penser, du bonheur de créer”. Émerveillement, au bout d’heures de route en véhicule blindé, de se trouver à Hérat, la “Florence timouride”, au tombeau d’Ansari, le grand poète mystique mort en 1089, dont les Cris du Cœur et les Étapes des itinérants vers Dieu enchantèrent le dominicain Serge de Beaurecueil : belle leçon de “diplomatie par la peau”. Oui, l’Afghanistan ce n’est pas seulement la violence du bozkachi1 ou celle faite aux femmes en burqa, même si cela existe aussi, bien sûr. Au début de l’ouvrage, R. Koetschet explique que dans le bozkachi, l’arbitre tranche selon la manière où la carcasse d’animal a été ramenée dans un cercle central appelé “cercle de justice”, une expression qui renvoie à l’âge d’or de la philosophie orientale qui codifie “le subtil équilibre requis entre l’usage de la force et le respect du droit”. “Dans la mêlée d’une diplomatie à hauteur d’homme, le cercle de justice est demeuré ma boussole […]. De l’écriture à l’engagement associatif, je continue à rechercher le cercle de justice des tchapendaz”.

Un glossaire et des repères bibliographiques soigneusement choisis complètent utilement ce livre, indispensable à ceux et celles qui aiment “Jérusalem et Kaboul” et n’ont pas encore complètement désespéré d’un “Orient en crise”. Il n’est pas donné à tout le monde de savoir y trouver les chemins de l’avenir. Ce livre nous y aide. Il est tout simplement superbe.

Jean Jacques Pérennès, op

Directeur de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem

1 Le bozkachi est un jeu traditionnel afghan dans lequel des cavaliers, appelés tchapendaz, doivent s’emparer d’une carcasse d’animal (chèvre ou veau) qu’il faut ramener au centre du terrain. Voir le livre célèbre de Joseph Kessel : Les cavaliers, Gallimard, 1967.

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