Titre
De notre correspondant à JérusalemSous titre
Le journalisme comme identitéAuteur
Charles Enderlin ; avant-propos de Michel WieviorkaType
livreEditeur
Paris : Seuil : Don Quichotte éditions, avril 2021Nombre de pages
342 p.Prix
20 €Date de publication
21 juin 2021De notre correspondant à Jérusalem
Le dernier livre du journaliste Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem pendant quarante ans, arrive à point nommé pour aider à comprendre le nouvel épisode de violence qui a eu lieu entre Israël et les Palestiniens, en ce printemps 2021.
De part et d’autre, le dossier est très complexe : l’impasse politique et le quasi blocage des institutions du côté israélien, mis en évidence récemment par l’incapacité à faire émerger un gouvernement stable malgré quatre élections législatives en deux ans ; du côté palestinien, un régime grippé avec la fracture Hamas/Fatah que personne ne parvient à résoudre et l’usure du régime de Ramallah incapable de se renouveler, soulignée par la récente annulation des élections palestiniennes, pourtant attendues depuis une douzaine d’années.
Il faut l’expérience d’un journaliste franco-Israélien, présent sur place depuis 1968, pour démêler un peu les tenants et aboutissants d’un tel imbroglio.
Le livre est une sorte d’autobiographie d’un journaliste de télévision qui a suivi jour après jour, pour un média français, les conflits, les avancées et les reculs de ce que l’on n’ose plus appeler “le processus de paix” entre Israël et la Palestine.
Arrivé en Israël en décembre 1968, Enderlin commence son métier de journaliste en 1971 à la veille d’attentats à l’aéroport de Lod1, de la prise d’otages aux Jeux olympiques de Munich et de la guerre de 1973 avec l’Égypte : le ton est donné. D’emblée, il comprend que son métier va être de prendre de la distance et d’être “immunisé contre l’information officielle”.
Pour s’y retrouver, il va s’efforcer de connaître personnellement les acteurs du conflit, ce qui nous vaut, au fil du livre, des portraits croqués sur le vif d’Yitzhak Rabin, Shimon Pérès, Yitzhak Shamir, Ehoud Olmert, Ehoud Barak, Ariel Sharon, Benjamin Netanyahou, Yasser Arafat, Fayçal el-Husseini, Yasser Abed Rabbo, Marouane Barghouti, Nabil Chaath, Saeb Erekat, le cheikh Ahmed Yassine, Cheikh Abdallah Chami, Salam Fayyad, sans parler d’acteurs de l’ombre comme Miguel Moratinos, les responsables des services de renseignements avec qui il va nouer des relations personnelles qui lui donnent accès au-dessous des cartes.
Vite repéré comme un des mieux informés sur le sujet, Enderlin sera présent à la plupart des grands moments et des négociations entre Israéliens et Palestiniens : la visite de Sadate à Jérusalem, le 18 novembre 1977, les accords de Camp David en 1978, la visite de Begin au Caire en mars 1979, la première Intifada de 1987, la Guerre du Golfe de 1990, les négociations de Madrid en 1991, les accords d’Oslo en 1993, l’assassinat de Rabin en novembre 1995, les attentats de Louxor en novembre 1997, le retrait de Tsahal du sud Liban en mai 2000, la seconde Intifada de 2000 à 2005, l’initiative de Genève en octobre 2003, l’opération “Plomb durci” à Gaza en décembre 2008, la chute de Moubarak en janvier 2011.
On est en présence d’un drame aux multiples rebondissements et Enderlin a été là à toutes les étapes, y compris lors de l’assassinat de Rabin, dont son équipe filme l’arrestation de l’assassin alors que tous les autres médias ont sous-estimé la gravité du moment et l’importance d’être sur place.
La première impression qui ressort de la lecture de ce parcours passionnant est le nombre d’occasions manquées de faire aboutir sinon une paix juste, du moins un compromis raisonnable. Le cas le plus flagrant est celui des Accords d’Oslo2 : “Les Israéliens, équipés d’ordinateurs portables dernier cri et accompagnés de conseillers juridiques, font face à la délégation de l’OLP venue de Tunis avec des… bloc-notes. Visiblement, ils ne savent rien de la situation sur le terrain et ne laissent pas les dirigeants de l’intérieur participer aux discussions”. C’est le cas du cartographe palestinien Khalil Tafakji, qui connaît le mieux les réalités du terrain et qui ne peut pénétrer dans la salle des négociations. On verra plus tard où cela conduit en découvrant le contrôle de l’eau et le réseau très sophistiqué de colonies qu’Israël va implanter progressivement en Cisjordanie dans la zone C.
L’ouvrage relate d’autres occasions manquées comme celle d’une paix avec la Syrie qu’Ehoud Barak était disposé et prêt à signer s’il n’avait pas été sous la pression d’éléments radicaux de sa coalition.
Une autre réalité frappe à la lecture de l’ouvrage : la place croissante des radicaux aussi bien juifs orthodoxes et colons que militants islamistes. La porte entrouverte à Oslo va en effet susciter une opposition violente de la droite israélienne qui lance, à la fin 1993, “un combat sans concession contre la politique de Rabin”. Le leader en est le Likoud de Netanyahou, alliance de la droite et du sionisme religieux. L’amplification de la politique de colonisation et la complaisance avec des groupes racistes vont conduire aux situations que nous connaissons aujourd’hui. De son côté, le cheikh Yassine et le Hamas n’ont aucune peine à mobiliser sur une ligne radicale les masses que les apparatchiks de Ramallah ont laissées de côté. L’attentat au tombeau des Patriarches à Hébron par un extrémiste juif qui tue vingt-neuf Palestiniens en prière ou les attaques suicides commis par le Hamas et les fatwas du chef du Jihad islamique autorisant les attentats contre des civils israéliens sont des dérives du même type, nées pour une part du manque de courage des dirigeants politiques des deux bords, le courage de vouloir la paix et d’en créer les conditions.
L’ouvrage donne enfin divers exemples du manque d’engagement de la communauté internationale qui aurait pu, à diverses reprises, imposer de conduire à son terme une négociation sérieuse, mais on découvre, là aussi, des politiques otages de leurs propres groupes d’influence. Enderlin en sait quelque chose pour avoir été pendant des années l’objet d’un procès féroce de la part de milieux juifs français l’accusant d’avoir mis en scène un “faux attentat”, celui de Mohamed al-Dura, un enfant de Gaza, tué dans les bras de son père par des militaires israéliens le 30 septembre 2000, que son équipe avait filmé3.
Manque de courage enfin des rédactions et directions de chaînes ou de journaux qui ne veulent pas prendre le temps d’entrer dans la complexité du dossier.
Le dossier israélo-palestinien est passionnel. On ne peut pas y voir clair sans une information sérieuse et cet ouvrage nous y aide. Au-delà de l’événementiel, Enderlin s’efforce aussi d’analyser les dynamiques profondes. On ne peut que conseiller la lecture d’un autre de ses livres, Au nom du temple : Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)4. Au prix de cet effort, on comprendra un peu mieux le pourrissement actuel de la situation, porteuse de grandes violences futures dont personne ne sortira indemne.
Jean Jacques Pérennès
Directeur de l’EBAF de Jérusalem
Notes de la rédaction
1 L’aéroport de Lod – Tel Aviv, désormais aéroport international David Ben Gourion.
2 Cf. Accords d’Oslo, Le Monde diplomatique
3 Cf. Un enfant est mort : Netzarim, 30 septembre 2000 / Charles Enderlin.- Don Quichotte, 2010