Titre

Chaos, Crossing

Auteur

Olivia Elias ; trad. du français par Kareem James Abu-Zeid ; préface Najwan Darwish

Type

livre

Editeur

World Poetry Books, 2022

Nombre de pages

192 p.

Prix

20 €

Date de publication

15 novembre 2023

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Chaos, Crossing.

Un beau soir, l’avenir s’appelle le passé.
C’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse” Aragon, Le Nouveau Crève-cœur

Cette jeunesse, elle affleure dans tous les poèmes d’Olivia Elias, née en 1944 à Haïfa, “venue au monde dans un pays/ pris par la peau du cou et jeté / au fond du puits”.

Comme la vie est toujours pleine de surprises, Olivia Elias est devenue dans sa maturité l’une des voix de la poésie palestinienne, décidant de publier en 2015 L’Espoir pour seule protection, recueil suivi de Ton nom de Palestine (2017) et de Chaos, Traversée (2019)1.

Après une enfance à Beyrouth où sa famille avait trouvé refuge, Olivia est partie suivre des études d’économie à Montréal, où elle a vécu et enseigné avant de s‘établir au début des années 1980 en France. Ses poèmes, traduits en plusieurs langues, ont été publiés par de nombreux sites et revues. Sans surprise, cette voix a attiré l’attention d’une maison d’édition américaine spécialisée en poésie. Le fruit en a été la parution en novembre 2022, aux éditions World Poetry Books, du recueil bilingue français-anglais traduit par Kareem James Abu-Zeid, Chaos, Crossing.

Expulsée du Carmel”*, Olivia devient une exilée aux “valises toujours prêtes”, vivant dans la lumière d’une “mémoire très ancienne”, les premiers souvenirs d’une terre aimée couleur de mer, tout en ouvrant partout où elle vit des yeux poétiques, ceux qui transfigurent la douleur. Ainsi le chante le dernier poème du recueil “Grâce de pluie”  à la fin d’un long parcours de solidarité avec les victimes de catastrophes de toutes sortes.

Catastrophe, désastre, tel est le sens du mot arabe Nakba qui désigne l’exode palestinien de 1948 et la perte pour tout un peuple du pays d’origine2.

Les poèmes évoquent cette explosion, ce tremblement de terre, ce tsunami qui arrache la peau de l’identité et voue les exilés à l’instabilité, au démembrement, aux miettes. “Je suis née en ce temps éruptif où mon pays changeait de nom”. Ou encore : “Exil/ est l’autre nom/de l’éclatement du temps/et du choc/des continents”. Et plus loin : “ici une tête là une jambe/le tronc quelque part/ & cheveux pris dans/les algues ou les chenilles/ des chars”.

Les poèmes rejoignent sans cesse d’autres exilés, d’autres victimes de la violence, de la colonisation, de la guerre ; et d’autres chants aussi. Entre autres, celui de James Baldwin et son cri I am not your negro, celui de Furukawa Hideo, écrivain né à Fukushima, absent lors du séisme de 2011 et qui, revenu sur les rives du désastre, écrit une ode aux chevaux rescapés du tsunami. Car les poèmes, avec entêtement, construisent une frêle et puissante digue pour “faire barrage” au malheur, tout simplement par les mots et les noms, ainsi que le font les prophètes.

Quels mots ? Baudelaire s’adressait ainsi à la ville moderne, cet entassement de misères : “Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or”. Telle est l’alchimie poétique. Tel est le choix d’un ciselage toujours renouvelé. Olivia Elias refuse les envolées lyriques et tient sans cesse sa rage en bride. Au plus près des ruptures qui la traversent, elle use de mots simples disposés dans l’espace blanc de la page de façon inattendue, jouant avec la présence ou l’absence de ponctuation, avec les majuscules, les minuscules, l’italique. Ainsi dans “Barca Nostra”, la voix a tant de mal à sortir de la gorge serrée que les vers hoquètent des jets de mots cernés de vide :

Leurs résultats scolaires épinglés sur la poitrine ne / les auront pas sauvés passeports dérisoires tout juste bons à faire des boulettes de papier”…

Au fil des pages, des vers libres, de toutes longueurs, inventifs, à voir comme à entendre, qui bousculent la langue tout en mettant le sens dans une clarté d’évidence. Parfois n’y figure que l’essentiel grammatical, la strophe comme prise dans l’urgence du dire  ou son impossible : “atmosphère couleur mélancolie/ quand je reviendrai / impossible / prononcer innocemment/ pompe l’air / me laisse sur le flanc /vidée vocabulaire rétrécit rétrécit  / par quoi remplacer mots / impossible prononcer”.

Comme l’écrit Abdellatif Laabi, dans l’introduction à L’anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui (Points, 2022)3, “fait rare dans l’histoire de la littérature, le nom d’un pays, la Palestine, est devenu en soi une poétique.” C’est qu’il s’agit du 

pays/autour duquel veillent/les poètes” comme il est dit dans “Autre nom”.

Comment ? Olivia Elias4 répond en ce court poème qui vient, en finale du recueil, faire résonner le désir à l’œuvre à travers l’espace et le temps, quoi qu’il advienne : “Il semble qu’il faille faire/œuvre d’archéologue/fouiller extirper des strates/de boue & sang les débris/du présent & de ces miettes/reconstruire demeure ouverte/à la tendresse.”

Pascale Cougard

*La ville de Haïfa est située sur la péninsule du Mont Carmel.

Notes de la rédaction

1 Chaos, Traversée dont une grande partie des poèmes (49 pages, 2019) ont été repris dans Chaos, Crossing.

3 Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui : poésie : inédit / textes choisis et traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi ; réunis par Yassin Adnan.-Paris : Éditions Points, 2022.- (Points. Poésie)