Titre

Appel à la réconciliation !

Sous titre

Foi musulmane et valeurs de la République française

Auteur

Tareq Oubrou

Type

livre

Editeur

Paris : Plon, 2019

Collection

Tribune libre

Nombre de pages

346 p.

Prix

19,90 €

Date de publication

23 octobre 2019

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Appel à la réconciliation ! Foi musulmane et valeurs de la République française

Appel à la réconciliation, le dernier livre de Tareq Oubrou, imam à Bordeaux, penseur et théologien musulman, se veut une contribution au renouveau intellectuel et spirituel de l’islam en France, renouveau dans lequel l’auteur s’est engagé depuis des années. C’est un livre consistant, argumenté et charpenté qui s’adresse tant aux musulmans qu’aux personnes qui, à divers titres, sont intéressées par les évolutions de l’islam et des musulmans dans le contexte français.

Ce contexte est souvent fait de crispations politiques et religieuses dès qu’il est question de l’islam  alors que les dossiers concernant la pratique du culte musulman en France ne semblent guère bouger depuis le départ de Bernard Cazeneuve du ministère de l’intérieur, chargé des cultes, de 2014 à 2016.

T. Oubrou appelle à une double réconciliation : celle des musulmans avec la société française et « celle des musulmans avec eux-mêmes et avec leur religion » (p. 19). « La réconciliation entre les musulmans et la société française est une urgence » (p. 18) écrit-il ; il s’agit d’une réconciliation « préventive », « fondamentale » qui permette aux citoyens de vivre et repose donc sur un minimum de confiance (p. 19). Cela engage une double attitude faite de discrétion et de « parler vrai ». D’un autre côté, au-delà de « la vraie anarchie religieuse musulmane » qui inquiète autant les musulmans que les autres en France, l’auteur appelle à une « réconciliation du musulman avec l’aspiration spirituelle originelle de sa religion » (p. 20).

Cette réconciliation suppose un rapport à l’autre, c’est la raison pour laquelle T. Oubrou entend développer une théologie de l’altérité, à propos de laquelle, dès le début du livre, il écrit :  « Cette dernière suppose le risque de l’altération d’une partie de soi. C’est oser une perte cependant largement compensée par l’apport des autres. » (p. 20). Pour cet homme qui a pris part au dialogue islamo-chrétien, le rapport à construire avec le catholicisme « aujourd’hui traversé par une crise identitaire » est très important.

Les 8 chapitres du livre vont donc tenir compte de cette double réconciliation, en partant de la lecture du Coran (ch. 1), du rapport du croyant à la foi et au doute (ch. 2 et 7), à la pratique et à la Loi (ch. 3 et 4), en développant une anthropologie musulmane (ch. 5), en abordant des points controversés (le mécréant, l’antisémistisme, le prosélytisme) qui lui permettent de proposer des éléments d’une théologie de l’altérité (ch. 6 à 9) et finalement une éthique pour la vie des croyants musulmans dans la société française marquée du sceau de la « discrétion », mot clé dans cette proposition de réconciliation (ch. 10 à 12).

  • Réconciliation des croyants musulmans avec leur propre Tradition

Dès le premier chapitre, T. Oubrou aborde la lecture du Coran et dénonce un littéralisme «intellectuellement inadmissible , tout simplement parce que c’est « un refus de l’interprétation, donc de l’intelligence » (p. 28). Tout au long du livre, parfois de manière incisive, au risque de susciter des oppositions ou l’irritation de ses confrères imams, T. Oubrou dénonce l’ignorance et la bêtise qui caractérisent certains musulmans et la responsabilité qui incombe à des prédicateurs préoccupés trop souvent d’apologétique, sans prendre le temps et les moyens du travail intellectuel et théologique. Dans ce premier champ de réconciliation, son souci premier est de montrer que la foi et la raison ne s’opposent pas et que les lumières de l’une et de l’autre peuvent se combiner pour éclairer les croyants.

Ainsi à propos de la lecture du Coran, écrit-il : « non seulement le littéralisme est une erreur intellectuelle, mais il est aussi une faute morale. Il refuse l’usage de la raison qui fait de l’être humain ce qu’il est, un être singulier dans l’ordre de la Création, à l’image de Dieu lui-même. » (p.29).  Il conclut ainsi : « l’islam n’est pas une religion d’un seul livre, mais de trois livres : le livre révélé (Coran et sunna[1]), le livre naturel et le livre de la raison. Il s’agit de les réconcilier tous. » (p. 43).

Il consacre tout un chapitre (ch. 2) à la relation de la foi et du doute en plaidant pour la nécessité de celui-ci et en avançant que ce fut dans la vie et la démarche même du prophète de l’islam. Il invite à retenir : « le principe du doute comme premier moment de l’islam et comme attitude spirituelle et intellectuelle du Prophète, qui l’accompagna le long de sa prophétie. » (p. 54). Il ajoute : « avoir la foi, c’est avoir des convictions qui supposent des doutes, ce qui demande de l’humilité. Des convictions qu’il faut revisiter en permanence. » (p.72).

  • Réconciliation des musulmans avec la société française

Tareq Oubrou met en question une certaine identité musulmane telle qu’elle se donne à voir dans notre société. L’insistance mise sur une différenciation (port du foulard, nourriture halal…) par les musulmans identitaires est d’ordre conflictuel. Les motivations de cette attitude ne relèvent pas d’abord de l’islam mais d’un positionnement vis-à-vis de l’autre, non-musulman. T. Oubrou dénonce alors une utilisation idéologique de l’islam et critique la notion de « maison du témoignage » (dar as-shahada), introduite par Tariq Ramadan dans les années 80,  pour désigner la situation des croyants musulmans dans les sociétés non-musulmanes occidentales.

Se référant aux sciences humaines, il entend « déconstruire » des pratiques ancestrales se réclamant de l’islam, en s’appuyant sur des références à la Tradition, à la vie du prophète de l’islam, Mahomet.

Il oppose, alors, à la problématique et la stratégie identitaires, la discrétion qui est , selon lui, la caractéristique islamique. Il plaide pour une éthique de la discrétion, une « visibilité discrète » qui sait s’affirmer sans s’affirmer contre. Là encore, il en trouve le modèle dans la vie du prophète de l’islam rapportée dans les Hadiths.

L’auteur prend le temps de proposer une réflexion sur la Loi (ch. 4) : référence première au Droit français et à un travail d’acculturation de ce droit avec la contraction de la shari’a dans ce cadre, « shari’a de minorité ». « Cela ne peut passer que par une vraie et sérieuse “théologie d’acculturation” pour permettre aux musulmans de vivre une vie religieuse authentique et mystiquement discrète « cachée en Dieu » au lieu d’un islam de provocation et d’étalage qui pourrait entrainer une fracture sociétale irréparable. » (p. 124).

  • Théologie de l’altérité et lectures de la Tradition chrétienne

Deux types de questionnement surgissent encore à la lecture de ce livre.

D’abord à propos de sa propre démarche de théologien musulman : Tareq Oubrou n’entend pas se situer dans le camp des « Coranistes » qui ne se réfèrent qu’au Coran, laissant de côté les hadiths[2] à cause des soupçons de trahison de l’islam originel qui pèsent aujourd’hui sur eux. Mais, il ne nous dit pas quels critères il fait jouer pour s’appuyer sur tel ou tel hadith ; selon la tradition classique, il cite leurs degrés d’authenticité ou l’origine de la chaîne de transmission. Il passe du Coran aux hadiths sans donner ses principes d’articulation et d’interprétation de l’un par rapport aux autres.

Ce livre témoigne de ses nombreuses lectures en philosophie et sciences humaines, mais on peut se demander s’il les utilise jusque dans le questionnement qu’elles portent vis-à-vis de tout discours théologique. Le questionnement et le doute qu’elles portent et qui marquent le contexte culturel de la modernité dans lequel nous vivons, n’obligent-ils pas le théologien à un travail de re-fondation de la pensée islamique pour permettre aux croyants musulmans de vivre leur foi dans le contexte de la post-modernité ?

D’autre part, Tareq Oubrou plaide pour une théologie de l’altérité. De fait, bien des éléments de sa réflexion sur la bonté fondamentale de l’homme (ch. 5), sur sa critique de la notion de « mécréant » (ch. 6), sont autant d’éléments qui peuvent contribuer à une telle théologie.

Mais une théologie de l’altérité se doit aussi de prendre en compte ce que l’autre dit de lui-même. Le lecteur chrétien est étonné et même parfois mal à l’aise sur sa lecture des textes de la Tradition chrétienne. Tareq Oubrou cite abondamment la Bible, St Augustin et d’autre auteurs chrétiens avec des références précises, en notes. Mais sa lecture est marquée d’un certain littéralisme, attitude dénoncée lorsqu’il s’agit de lectures du Coran, voire ici ou là des propos incompréhensibles comme le lien entre l’immaculée conception et une transmission du péché originel par voie de transsubstantiation (p. 138) !

St Augustin, souvent cité, est systématisé au point que l’interprétation ici présentée semble la seule possible, et même la seule pensée théologique catholique sur plusieurs sujets abordés comme celui du péché originel. St Thomas d’Aquin est aussi cité mais ce n’est pas l’occasion d’indiquer au lecteur musulman qu’il y a diversité d’interprétations et de théologies en christianisme et que celles-ci ont beaucoup évolué entre le IVe, le XIIIe ou le XXe siècles, car l’intelligence de la foi est toujours un effort pour relire la Tradition reçue, dans un nouveau contexte historique, culturel…

Un livre intéressant par son objet et son propos, un appel à travailler ensemble les questions ainsi soulevées par l’auteur et suscitées chez le lecteur, tant de la part des intellectuels, savants et théologiens musulmans d’un côté, que dans un travail en commun entre théologiens musulmans et chrétiens d’autre part. Les uns et les autres ont leur rôle à jouer pour que cet appel à la réconciliation se traduisent dans les faits pour le plus grand nombre possible de nos concitoyens.

Christophe Roucou[3]

Enseignant en théologie et en islamologie,

ISTR de Marseille, ICM

 

Notes de la rédaction 

[1] La sunna (le mot arabe, qui signifie « règle de conduite », a de nombreuses applications),  désigne les pratiques suivies par le Prophète, et plus généralement les enseignements et les exemples qu’il a donnés. Elle est transmise sous forme de récits et d’informations qui portent le nom de ḥadīth et de khabar. (cf. Roger Arnaldez, Encyclopedia universalis)

[2]  Qu’est-ce qu’un hadith ?  

[3] Lire aussi ses 2 autres recensions pour notre site : Finalement, il y a quoi dans le Coran ? / Rachid Benzine,   Ismaël Saidi  et  Les questions que se posent les jeunes sur l’islam : itinéraire d’un prof / Hicham Abdel Gawad