Les Druzes entre le pouvoir de la religion et les griffes de l’exploitation politique, une étude de Yaani.

Cette étude d’Hadi Abd Alhay, en mastère de science politique à l’Université de Lille, éclaire les difficultés que rencontrent les Kurdes au milieu des conflits du Moyen-Orient. Un membre de CDM,  Jean-Claude Rouanet, nous avait alerté sur la situation de réfugiés syriens kurdes en France et évoqué les massacres qui avaient affecté cette communauté, du fait d’islamistes radicaux.

C’est le blog Yaani qui publie l’étude. Ce site est animé bénévolement par de jeunes chercheurs de “disciplines très variées, allant de la sociologie à l’histoire, en passant par le droit international, la géographie, la science politique et l’anthropologie”. Parmi eux, Thomas Vescovi, avec lequel la présidente de CDM, Marilyn Pacouret, a eu un entretien en décembre 2021.

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Les Druzes entre le pouvoir de la religion et les griffes de l’exploitation politique

Mis à jour le 2 juin 2025

Nous reproduisons des extraits de ce long article, dont son introduction et sa conclusion.

Les Druzes Cheikh El Atrash et guerriers, 1898

“Entre l’instrumentalisation israélienne et la répression syrienne, les Druzes tentent de préserver leur foi, leur identité et leur dignité dans un monde où l’intégrisme religieux et la géopolitique les condamnent à l’ambiguïté et à l’isolement. Les Druzes désunis se retrouvent aujourd’hui confrontés à un dilemme national et moral.

En l’absence de représentation politique officielle des Druzes en Syrie, deux types d’autorité ont pris le relais : la prédominance du pouvoir religieux d’une part et la prolifération des factions militaires d’autre part, qui ont fini par acter une division claire parmi les Druzes de Syrie, représentés par ces deux courants. La première donne une chance au gouvernement intérimaire et à l’idée de construire un État avec lui, tout en le critiquant directement et en gardant de nombreuses réserves ; la seconde s’oppose au gouvernement transitoire, refusant de lui accorder sa confiance et exigeant protection et intervention étrangère. Israël a saisi ce prétexte et s’est empressé d’intervenir pour « protéger les minorités », poussé par les appels de certains Druzes du Golan occupé.

Si Netanyahu a déclaré qu’il était prêt à protéger les Druzes de Syrie, l’armée d’occupation israélienne est allée plus loin. Elle a envahi le sud du pays en bombardant des sites tenus par des groupes armés djihadistes à l’intérieur de la Syrie qui, d’après les déclarations du Premier ministre israélien, se préparaient à attaquer les Druzes. Cette décision fait suite à une demande indirecte et implicite du mouvement druze en Syrie opposé au nouveau gouvernement syrien de transition représenté par cheikh Hikmat al-Hijri. En effet le mouvement druze syrien n’a pas appelé à rejeter catégoriquement et publiquement l’intervention israélienne, mais a affirmé uniquement le caractère arabe, syrien et national des Druzes et de Sweida. Cette médiation entre les Druzes de Syrie et l’État d’Israël pourrait se faire par des canaux secrets, comme le prétendent les rumeurs qui se sont répandues après le voyage d’une délégation de cheikhs druzes de Syrie en Israël. Les Druzes se retrouvent alors confrontés à un dilemme où s’entremêlent religion, nationalisme et moralité.”

Suit une brève histoire de la communauté druze, puis une analyse de la politique d’Israël à l’égard des Druzes.

L’ambivalence des alliances politiques et religieuses d’Israël avec les Druzes.

“Pour s’assurer la loyauté des Druzes, l’État d’Israël joue à la fois sur le plan religieux et politiques. Minorité arabophone, les Druzes vivant sous la gouvernance israélienne sont cependant eux-mêmes divisés – trace de l’évolution des frontières israéliennes et de leur droit à l’autodétermination – entre les Druzes (plus ou moins) intégrés à la société israélienne, à savoir la communauté druze palestinienne, et les Druzes sous occupation, à savoir les Druzes du Golan. Cette stratégie israélienne a bénéficié d’un ensemble de facteurs politiques et religieux.

Sur le plan politique, bien que la plupart des Druzes citoyens de l’État d’Israël se considèrent comme arabes d’un point de vue ethnique, le chercheur Alhadji Bouba Nouhou montre comment le gouvernement israélien a créé une catégorie spécifique pour les Druzes, afin de les distinguer des Arabes et de les désolidariser des Palestiniens et des Palestiniennes. En fait, depuis la création de l’État d’Israël, la communauté druze palestinienne s’est montrée solidaire d’Israël et a pris ses distances par rapport à la cause palestinienne. Les citoyens druzes de sexe masculin sont par ailleurs tenus d’effectuer un service obligatoire dans l’armée israélienne, contrairement à la fois aux Palestiniens de 1948 qui ne doivent pas faire de service militaire et aux citoyens juifs et aux citoyennes juives, qui doivent servir sous les drapeaux. Mais, suite à la polémique provoquée par l’adoption le 19 juillet 2018, d’une loi controversée définissant Israël comme “l’État-nation du peuple juif”, la communauté druze en Israël s’est divisée au sujet du service militaire au sein de l’armée israélienne. En effet, l’adoption de cette loi a permis aux Druzes de prendre conscience qu’ils jouissaient de “privilèges plutôt que de droits” et qu’ils subissaient une discrimination les excluant de la nation israélienne. Cette division s’est accentuée après les attentats du 7 octobre 2023 et la réponse israélienne, (…) punition collective qui a pris la forme d’une guerre d’extermination de tous les Palestiniens de la bande de Gaza.” (…)

“Les Druzes dans leur ensemble, et plus particulièrement les Druzes de Syrie, ont une géographie de plus en plus dispersée et des positions politiques de plus en plus contradictoires. Face à cet isolement grandissant de chacune des communautés druzes de Syrie, de Jordanie, du Liban, de Palestine-Israël et du Golan occupé, la foi a pris une place de plus en plus importante au sein de ces différentes communautés.” (…)

“Entre l’instrumentalisation israélienne et la répression syrienne

Dans le contexte des politiques israéliennes visant à s’allier et à instrumentaliser les Druzes, le gouvernement israélien a encouragé une identité distincte pour ceux qu’il appelle les “Druzes israéliens”, reconnus officiellement par le gouvernement. La communauté druze a donc été séparée de la communauté palestinienne, puis de la communauté musulmane, pour être érigée en religion distincte dans la loi israélienne dès 1957. Mais les Druzes de Syrie sont certains que le gouvernement de Netanyahou essaie de les utiliser sous prétexte de protéger les minorités. (…)

Avec l’absence de représentation politique des Druzes en Syrie, la domination des clercs sur la vie sociale et religieuse est totale. En outre, avec la multiplication des factions armées, les Druzes font face à un dilemme complexe, à la fois religieux, national et moral. D’un point de vue religieux, Israël ne reconnaît pas les Druzes, mais leur donne ce dont ils ont besoin actuellement : une certaine autonomie, la liberté de culte et l’accès à leurs temples. Cependant, cet aspect religieux entre en conflit avec la question nationale, car Israël instrumentalise les Druzes, les dépouillant de leur arabité, alors que ces derniers ont toujours joué un rôle important dans l’histoire de la Syrie et de la région. Le dernier aspect du dilemme est la dissuasion morale : comment des Druzes, qu’ils soient religieux, patriotes, nationalistes ou même autonomistes, peuvent-ils accepter de soutenir un État qui occupe des terres syriennes, palestiniennes et libanaises, et mène actuellement une guerre d’extermination à Gaza, tuant plus de 50 000 personnes, dont 18 000 enfants ?

Cette division du peuple druze porte en elle l’espoir de la diversité des modèles politiques et religieux. Il existe encore des voix rejetant la domination de la religion et exigeant un État syrien laïc, des voix qui rejettent l’islamisation de l’État syrien, ainsi que l’occupation israélienne et ses tentatives d’instrumentaliser les Druzes, et qui soutiennent le droit à l’autodétermination et à la liberté du peuple palestinien. Ces voix s’élèvent à nouveau pacifiquement sur la place Al-Karamah à Sweida, comme elles l’avaient fait un an avant la chute du régime Assad, afin d’affirmer l’unité de la Syrie et son rejet de la violence.”

Hadi Abd Alhay

Article original : https://www.yaani.fr/post/les-druzes-entre-le-pouvoir-de-la-religion-et-les-griffes-de-l-exploitation-politique

Texte et image Yaani

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