Le Proche-Orient en déconstruction, Irak, Liban, Syrie, par Christian Lochon. Partie IV, la Syrie, en survie après la guerre civile.

L’étude de Christian Lochon* dans la série “Regards” en vient à la Syrie, cette fois située par rapport à son environnement immédiat, en lien avec des voisins aussi éprouvés qu’elle par les crises et les guerres, l’Irak et le Liban.

Rappel des quatre parties.

I. Introduction
II. L’Irak
III. Le Liban
IV. La Syrie – Conclusion
Bibliographie

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SYRIE EN SURVIE APRÈS LA GUERRE CIVILE

HISTORIQUE

Damas fut le siège de l’Empire omeyyade de 651 à 750 puis devint une province éloignée du pouvoir sous les Abbassides. Peu touchée à la période des croisades, elle fut annexée par les Mamelouks du Caire puis en 1517 par l’Empire ottoman jusqu’en 1918 ; Alep deviendra la deuxième ville la plus importante de l’Empire après Istanbul. En 1920, Fayssal le Hachémite se proclame à Damas roi de Syrie. Il est expulsé par la mise en place du Mandat français qui durera jusqu’en 1943. Un régime républicain est alors adopté mais des coups d’État militaires successifs en 1949, 1954, l’annexion par l’Égypte de 1958 à 1961, l’adoption d’un socialisme baathiste contraignant, conduiront à l’imposition d’une dictature alaouite en 1971.

SITUATION POLITIQUE ACTUELLE

Le 15 mars 2011, des manifestations contre le Régime, violemment réprimées, ont lieu à Deraa et dans tout la pays. Des déserteurs de l’armée nationale créent l’Armée libre syrienne (A.L.S.) et se mêlent aux milices islamistes dont Daech. Le Régime syrien facilite d’ailleurs la naissance de Daech en libérant les radicaux islamistes de ses prisons en 2011, si bien qu’il est proche de l’effondrement en 2015. En 2015-2016, les succès de Daech entraînent une intervention internationale, soutenue par les Kurdes pour vaincre le prétendu Califat  ; Ankara intervient pour contrôler les Kurdes et l’aviation russe, les pechmergas iraniens, les miliciens libanais du Hezbollah viennent au secours de Damas de 2016 à 2019. Assad reprend Alep, la Ghouta orientale et combat les rebelles du Sud. Le califat de Daech est éliminé. En coulisses, Moscou négocie avec Washington un profil bas des forces iraniennes pour empêcher Israël d’intervenir. En 2021, 60% du pays est aux mains du Régime. Les Kurdes contrôlent le Nord-Est ; la résistance islamiste est contenue dans la région d’Idlib. Daech essaie de renaître dans le désert syro-irakien.

La Syrie a beaucoup perdu dans ce conflit. D’abord champ clos des affrontements entre salafistes, Frères musulmans, djihadistes, adossés à des puissances régionales, elle est devenue un pays occupé en partie par les Turcs, les Iraniens, les Russes, les Américains et alliés, mais personne ne semble maître absolu sur le terrain syrien.

GOUVERNEMENT

En 1970, Hafez El Assad, un alaouite, chef d’état-major de l’armée de l’air, mène un coup d’État au sein du parti Baath au pouvoir depuis 1963 et gouverne d’une main de fer jusqu’en 2000. Son fils aîné, héritier désigné, se tue dans un accident d’automobile. Son frère cadet, ophtalmologue formé à Londres, inaugure le première république héréditaire du monde arabe. La Syrie est restée depuis lors un État policier, avec le même gouvernement et le même appareil de sécurité. Le pays est morcelé en territoires contrôlés par des milices et des combattants étrangers. Des massacres communautaires sont le fait de bandes armées confessionnelles. Les Assad et leurs cousins Makhlouf mènent des transactions douteuses au Liban et en Syrie. Rami Makhlouf, devenu l’homme le plus riche de Syrie, est menacé en 2020 par Bachar qui veut s’emparer de sa fortune. Est-ce une rivalité entre l’Iran et la Russie, qui critique Bachar El Assad pour sa corruption et pourrait favoriser un coup d’État de l’armée syrienne pour placer un candidat qui lui soit dévoué ?

Néanmoins, en mai 2021, Assad a été réélu sans surprise avec 95% de votes favorables, mais il règne sur un pays en ruines. Il sait qu’il ne reprendra le contrôle ni de la région semi-autonome kurde, ni de la “zone de sécurité” occupée par les Turcs, ni de l’enclave rebelle d’Idlib en dépit des frappes aériennes menées par la Russie. Assad veut surtout conserver son emprise sur l’Ouest de la Syrie, la région côtière alaouite et l’axe Alep-Hama-Homs-Damas-Deraa. Quant à son épouse, Asma El Assad, élevée à Londres, elle fait l’objet d’une enquête de la police d’Angleterre sur la base de soupçons terroristes, qui risquent de lui faire perdre sa nationalité britannique.

ÉCONOMIE

En 1945, la Syrie cultive le coton de manière intensive, ce qui réclame une grande quantité d’eau, mais en amont la Turquie construit de gigantesques barrages qui font diminuer dramatiquement le volume d’eau de l’Euphrate.

Un rapport récent conjoint de la FAO (Food and Agriculture Organization, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et du PAM (Programme alimentaire mondial de l’ONU) souligne la situation dramatique de l’agriculture syrienne, même si le retour d’une progressive accalmie permet une stabilisation.

La perte des capacités d’exportation du pétrole a aussi eu un grand impact sur les revenus de l’État en lui faisant perdre le quart de ses recettes. Le marché européen avait importé de Syrie en 2011 pour plus de 3 milliards de dollars de pétrole. Les puits d’hydrocarbures sont situés dans les zones contrôlées par les Kurdes. D’autre part, 70% des revenus générés par les mines de phosphates ont été cédés à la compagnie russe Stroytransgaz. Russes et Iraniens récupèrent les contrats miniers, gaziers et logistiques, et les Baathistes le reste.

A Alep, la reprise industrielle est ralentie par les coupures d’électricité. La ville comptait avant le conflit 35 000 usines, 19 000 ont redémarré mais la production globale reste inférieure de 50% à celle de 2011. Le manque de bonbonnes de gaz cristallise le mécontentement de la population. L’économie, dévastée par la corruption et la guerre civile, n’a cessé de se détériorer. Un expert damascène estimait en 2020 qu’il ne restait dans les réserves de l’État qu’un ou deux milliards de dollars. La Syrie a besoin de 300 milliards de dollars pour restaurer les infrastructures économiques. Les pétromonarchies pourraient mobiliser de telles sommes mais n’ont pas envie que cet argent bénéficie à Téhéran ou à ses supplétifs locaux.

POPULATION

La Syrie (185 000 km2)  abrite 21 millions d’habitants. Depuis 2011, la guerre civile en Syrie a fait un demi-million de morts, 3 millions de blessés dont un million de personnes ayant un handicap permanent, et déplacé la moitié de la population selon l’ONU. Cinq millions de personnes ont quitté le pays. Aujourd’hui un émigré sur quatre dans le monde est syrien. Sept millions de personnes sont déplacées dans leur propre pays, 13 millions ont besoin d’aide. Pour éviter le retour des déplacés, le Régime a promulgué le décret N° 10 sur “Le renouveau urbain”. Cette législation oblige les propriétaires à se présenter dans un délai d’un mois pour faire valoir leurs droits. Sinon, ils sont dépossédés de leurs propriétés. Or les réfugiés ont souvent perdu dans leur fuite leurs titres de propriétés, ou ils n’en avaient pas. Si la majorité de la population réfugiée sunnite revenait, la démographie compliquerait les ambitions régionales de Téhéran, soutien important du Régime syrien actuel.

Jihadistes

20 000 combattants étrangers venant de 90 pays, dont 3 400 Occidentaux, parmi lesquels 60% de France, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, ont pénétré en Syrie pour soutenir Daech (Organisation de l’État Islamique, acronyme arabe). A l’Est, le 15 janvier 2014, l’OEI prenait le contrôle de Raqqa qui deviendra la capitale du califat autoproclamé le 29 juin 2014, sur les territoires qu’il contrôle en Irak et en Syrie. Le 17 octobre 2017, les Forces démocratiques syriennes (FDS), menées par des Kurdes et soutenues par une coalition internationale [entraînée par les États-Unis] reprennent Raqqa à Daech. Mais les opérations djihadistes n’en continuent pas moins. Le 20 janvier 2022, Daech attaque la prison de Ghwayran, près de Hassaké, faisant s’échapper des membres de l’Organisation en détention. Les Kurdes reprennent le contrôle de la prison après dix jours de combats meurtriers.

Au Nord-Ouest, une alliance de rebelles et de djihadistes, dont le groupe Hayat Tahfir Al Cham, ex-Al Qaîda syrienne, fort de 12 000 hommes, soutenu par le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie, s’est emparé d’Idlib en 2015. Ces miliciens ont craint les conséquences du rapprochement turco-russe effectué le 5 mars 2020, qu’Ankara a accepté pour circonscrire le danger kurde. Certains d’entre eux ont cherché à se faire engager sur la base militaire russe de Lattaquié ou par des milices turques. La Russie enrôle des Syriens pour combattre en Ukraine. C’est à Idlib que les Américains ont éliminé les chefs irakiens de Daech Abou Bakr El Baghdadi en 2019 puis Ibrahim Al Hachemi Al Qourachi, en 2022. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce dernier grand bastion des rebelles et des islamistes compare son sort à celui des Ukrainiens dont les hôpitaux, les écoles, les immeubles d’habitation sont bombardés par la même armée russe.

Kurdes

Par l’accord de Sotchi en octobre 2019, les Turcs ont pu briser la continuité territoriale de la province syrienne kurde de Rojava le long de la frontière syro-turque mais n’ont pas pu faire disparaître l’autonomie kurde régionale, d’ailleurs soutenue par la Russie. D’autre part, les Kurdes du PYD**, présents aux négociations de Genève, ont amorcé un rapprochement avec le Régime d’Assad après le départ des Américains. Les Kurdes renonceraient à leur autonomie en échange de la protection du Régime, l’offensive turque a lancé les Kurdes dans les bras du Régime après qu’ils aient été abandonnés par les Américains. Les Kurdes ont fort à faire avec des camps pénitentiaires où s’entassent des milliers d’hommes, femmes, enfants, tous liés à Daech.

Chrétiens

Le Régime de Bachar a élargi sa base vers les minorités chrétiennes dont des personnalités religieuses le soutiennent. Mais cette communauté qui représentait 12% de la population s’est réduite à 6% du fait de l’expatriation galopante.

Palestiniens réfugiés

Le camp de réfugiés palestinien de Yarmouk au sud de Damas a subi de très sérieux affrontements entre le Régime et l’armée syrienne libre, liée à Al Nosra***, en 2013. L’agglomération a été détruite à 70%. Certains Palestiniens pourtant rejoignent Assad, qui a affirmé son opposition à Israël.

INFLUENCES ÉTRANGÈRES

États du Golfe

Les pétromonarchies à partir de 2012 soutiennent des groupes salafistes de l’opposition anti-Assad. Mais les interventions iraniennes et russes après 2013 les font renoncer à renverser Assad, ce que reconnaît Mohamed Ben Salman**** en avril 2018. En décembre 2018, les Émirats ont rouvert leur ambassade à Damas. Ces États tendent la main à Bachar à condition qu’il s’éloigne des Iraniens. Ils comptent sur Moscou pour endiguer l’expansion iranienne. En novembre 2021, le Ministre des Affaires Étrangères émirati a rendu visite à Bachar El Assad. En décembre 2021, Bahrein a renommé un ambassadeur à Damas. En mars 2022, la visite officielle de Bachar El Assad aux Émirats, dans le cadre de la normalisation, était la première depuis 2011.

Qatar

Le projet d’un gazoduc qatari à travers la Syrie en 2009 avait été refusé par Damas pour préserver ses relations avec la Russie. Des observateurs attribuent au Qatar, qui voulait se venger de ce refus, d’avoir orchestré les débuts de la guerre civile syrienne.

Iran

La guerre en Syrie a commencé sans les Iraniens mais ils ont compris rapidement où se situaient leurs intérêts. Aujourd’hui, l’Iran contrôle quatre capitales arabes, Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa. Sa présence sur le sol syrien participe d’une stratégie régionale visant à établir un axe continu chiite. L’essentiel, c’est de sauver Bachar El Assad, qui assure le chaînon principal sur la route qui conduit de l’Iran au Liban, en s’ancrant sur le terrain militaire via le corps des Gardiens de la Révolution, et en développant le terrain économique et social par des projets de coopération, universitaires et autres. L’Iran engage des miliciens afghans, irakiens, pakistanais chiites pour soutenir Assad et des soldats syriens pour former des milices contrôlant les lieux de pèlerinage chiites, les villes, la frontière syro-libanaise. L’Iran distribue de l’argent aux sunnites nécessiteux pour les convertir au chiisme, leur donnant des médicaments, des colis alimentaires. L’Iran a créé des houzeh, écoles religieuses et organisations caritatives. Il étend son influence culturelle auprès des Alaouites en les envoyant faire des études dans les universités iraniennes. Pourtant, aucun acteur régional n’accepte la présence de l’Iran en Syrie. D’ailleurs Assad, devenu l’otage des intérêts stratégiques iraniens, a cependant ostensiblement manifesté une volonté de limiter les manœuvres iraniennes et la chiitisation menée par les Gardiens de la Révolution. En novembre 2021, il a renvoyé en Iran Javad Ghafari, commandant de la Force Al Quds en Syrie, soupçonné d’être à la tête d’un fructueux marché noir. Cependant la suspension récente des Accords de Vienne, qui devaient lever les sanctions économiques contre Téhéran et lui permettre de vendre son pétrole à l’Union européenne, à cause de nouvelles exigences de Moscou, a conduit l’Iran à critiquer le Kremlin.

Turquie

La Turquie joue un jeu ambigu avec Daech. C’est par la Turquie qu’un grand nombre de jihadistes venus d’Europe ont gagné librement la Syrie. En février 2016, le tombeau de Suleiman Chah, grand-père du fondateur de l’Empire ottoman, gardé par 40 militaires turcs, est investi par Daech. Avec l’aide de Kurdes syriens, une colonne de chars turcs vient exfiltrer les soldats turcs. Daech pour la laisser passer obtient la libération de 98 militants de Daech, dont quatre Français, retenus en Turquie. Après une phase de normalisation des relations avec le Régime syrien, Ankara veut empêcher que ne se forme sur son flanc sud une entité kurde, contrôlée par le PKK via le PYD (voir la note), son émanation syrienne. Ainsi se pérennisent des interventions armées sur le sol syrien, notamment dans les régions d’Afrin et d’Idlib. La Turquie encourage de ce fait le mouvement des populations arabes pour remodeler la démographie des régions kurdes. Ankara intervient également à Idlib, soutenant l’Armée syrienne libre contre les Kurdes pour éviter l’installation d’une région kurde contiguë à la frontière turque. Erdogan mise sur une zone de sécurité intégrant deux millions de réfugiés dont les rebelles et les réfugiés d’Afrin, en contradiction avec les Russes et les Iraniens qui veulent anéantir la rébellion. A Idlib, en 2020, les forces de Bachar appuyées par la Russie et l’Iran combattent l’opposition, soutenue par la Turquie et qui n’existe plus qu’à Idlib, où 3 à 4 millions de civils et de combattants sont piégés. Le Président turc Erdogan, qui empêche maintenant les réfugiés syriens de pénétrer dans son pays, risque d’affronter une crise humanitaire. La Turquie, qui a accueilli 4 millions de Syriens voit sa population devenir hostile à de nouveaux immigrés. La Turquie utilise des supplétifs syriens, anciens rebelles anti-Assad, pour combattre les Kurdes le long de la frontière. Elle en a envoyé en Libye à Benghazi et même au Haut-Karabagh contre les Arméniens attaqués par l’armée de l’Azerbaïdjan.

Israël

Il existe un accord de désengagement israélo-syrien signé en 1974. Israël procède depuis plusieurs années à des frappes “chirurgicales” sur les convois d’armements destinés au Liban, les ateliers de fabrication de missiles ou d’armes chimiques. Les ripostes israéliennes les plus récentes ont été d’une ampleur sans précédent depuis 35 ans. La défense aérienne de la Syrie a été largement détruite, comme des sites de communication iraniens. Désormais, la Russie seule peut imposer des lignes rouges en Syrie. Israël souhaite que Damas puisse contenir le jihadisme sunnite tout en relâchant progressivement son alliance stratégique avec l’Iran. Israël en Syrie peut s’appuyer dans ce but sur la Russie et les Émirats Arabes Unis. Israël soutient également l’émergence d’un État kurde qui s’étendrait sur la Syrie et l’Irak.

Etats-Unis

En 2018, à Manbedj, à 30 km à l’ouest de l’Euphrate, une base américano-française a appuyé les forces kurdes des YPG***** et leurs alliés, les Forces Démocratiques syriennes, en leur fournissant seulement des armes légères et des véhicules blindés pour ne pas indisposer les Turcs. Cependant ces derniers, qui avaient pris Afrine, ont fait échouer les Kurdes et leurs alliés occidentaux dans la poursuite de leur offensive finale contre Daech dans le sud syrien. Trump s’était délesté du dossier syrien, mais le retrait effectif des États-Unis pourrait prendre du temps. En restant sur le sol syrien, les Américains gardent un moyen de pression sur les Syriens et les Iraniens. Les États-Unis ne veulent pas combattre l’Iran en Syrie et n’empêchent pas le couloir chiite d’exister malgré Israël. La Loi César, promulguant des sanctions économiques américaines depuis fin 2019, doit son nom à un photographe de l’armée syrienne qui fit sortir clandestinement de son pays 50 000 clichés documentaires sur les sévices commis dans les prisons du Régime. Ce texte accroît la pression économique sur les responsables, Bachar, sa sœur Buchra, son épouse Asma et 35 responsables politiques sanctionnés par les Américains.

France

430 Français appartenant aux Forces Spéciales forment un  détachement greffé sur le dispositif américain et participent à l’intervention depuis fin 2015. Installés dans une ancienne cimenterie Lafarge avec les Américains et les Britanniques, ils ont appuyé les Forces Démocratiques Syriennes à dominante kurde contre Daech.

Russie

Moscou a noué une alliance avec Hafez Al Assad depuis 1970. Le 30 septembre 2015, la Russie déclenche une opération militaire de grande ampleur en soutien au Régime alaouite syrien. Des officiers russes dirigent les unités de défense aérienne syrienne, fournissent les missiles et investissent les Services de Renseignements syriens malgré l’Iran. La Russie entretient 4 500 hommes au sol. L’aviation russe a sauvé le Régime alaouite. Le 22 décembre 2016, Damas reprend le contrôle d’Alep après l’évacuation des insurgés islamistes, un cessez-le-feu ayant été conclu sous la houlette de la Russie et de la Turquie. La Russie a la position d’influence la plus élevée en Syrie, précédant la Turquie, l’Iran, Israël. Elle a obtenu un bail de 42 ans pour les bases de Tartous et Hmeimin. Les intérêts russes et iraniens divergent pourtant en Syrie car les relations de Moscou avec les États du Golfe affaiblissent le Hezbollah pro-ianien, ramenant la Syrie dans le giron arabe pour écarter l’Iran et assurer la sécurité d’Israël. Les Russes s’installent dans les zones quittées par les Iraniens, les quartiers de la capitale de Malki et Mezzé. Le Kremlin a intérêt à limiter l’influence de l’Iran en Syrie mais pas au point de rompre avec Téhéran ou de lâcher le président syrien. En 2019, les Russes ont fait partir de Damas 70% des milices iraniennes. D’autre part, Moscou a du mal à maîtriser l’activité israélienne en Syrie mais cherche à organiser des entretiens directs syro-israéliens. Enfin, la Russie est une capacité militaire mais ne peut pas participer à la reconstruction économique de la Syrie en ruines. Enfin, l’invasion de l’Ukraine a conduit Moscou à utiliser des mercenaires syriens au lieu de ses conscrits.

CONCLUSION : UN ENSEMBLE DISLOQUÉ

Des relations traditionnelles

Entre la Syrie et l’Irak, des relations commerciales étroites et constamment renouvelées ont uni les familles des villes d’Alep et de Mossoul depuis longtemps. Les pistes traversaient un paysage moins désolé, plus verdoyant que la piste désertique Damas-Bagdad et les étapes étaient souvent établies dans des agglomérations semi-urbaines. Dans les sociétés chrétiennes ou musulmanes, les mariages communautaires unissaient des Alépins à des Mossouliotes, mêlant les traditions culturelles, sociales et culinaires.

De nombreux Libanais résidaient en Irak au temps de Saddam Hussein. Aujourd’hui, on assiste à des échanges entre moines chrétiens des deux pays. Des religieux maronites ont ainsi participé à la rénovation des couvents syriaques d’Irak, comme celui de Mar Behnam. L’État irakien, au fil des années, a souvent aidé l’économie du Liban. Actuellement, l’Irak a proposé d’acheminer du pétrole au pays du Cèdre. Dans le sens inverse, depuis 2003, de nombreux chrétiens irakiens se sont rendus au Liban en attendant d’obtenir le droit d’immigrer en Australie, en Amérique ou au Canada. Les prêtres syriaques et chaldéens résidant au Liban ont ouvert des écoles pour les enfants de leurs communautés, récemment installées.

Entre la Syrie et le Liban, les relations ont toujours été intenses en temps de guerre ou de paix. De nombreux hommes d’affaires syriens se sont réfugiés au Liban au moment des nationalisations du gouvernement syrien baathiste dans les années 1960 et ils ont contribué à transformer le Liban en réussite économique.

Lors de la guerre civile libanaise, nombreux sont les Libanais qui se sont réfugiés dans les villes syriennes. Cette dernière décade, ce sont les miliciens du Hezbollah libanais qui sont venus soutenir le Régime syrien aux côtés des Gardiens de la Révolution iraniens contre les opposants politiques syriens.

On a vu le nombre élevé de réfugiés syriens depuis 2011 résidant actuellement au Liban.

Désinformation en Occident

Les commentateurs arabes nous auront appris à nous méfier des pronostics occidentaux sur le déroulement des événements au Moyen-Orient. Ainsi, 84% des intervenants médiatiques prédisaient la chute de Bachar en 2012. Les erreurs peuvent venir de la Gauche ou de la Droite occidentales. On aura intérêt à méditer l’article du journaliste syrien, Yassin Al Haj Saleh, réfugié à Istanbul, qui écrivait dans le quotidien d’Istambul Al Jumhuriya du 2 mars 2017 : “Pour la gauche antiimpérialiste, le conflit syrien est subalterne aux considérations géopolitiques dont l’impérialisme qu’il faut combattre. Il y a quelque chose d’impérialiste dans cette gauche antiimpérialiste : l’argument de la guerre contre le terrorisme cache la conception étatiste au détriment des sociétés et des mouvements sociaux. La droite occidentale ne se préoccupe que de stabilité régionale et de culturalisme (islam, terrorisme, droits de l’homme)”.

Un avenir très compromis

La période récente a mis en évidence quatre traits qui vont plonger le Moyen-Orient dans une situation particulièrement dangereuse.

  • L’influence politique, économique, culturelle de pays non-arabes, Iran, Israël, Turquie sur les États régionaux arabes risque de durer.
  • Mais les occupants ou intervenants alliés en Syrie ont des différends en d’autres régions. La Russie a offert récemment une centrale nucléaire à la Turquie mais Ankara a fourni des drones de combat à l’Ukraine. Iraniens et Russes ne sont pas des alliés inconditionnels, notamment en Syrie où ils rivalisent sur leur influence réciproque auprès du Président, de l’armée et des Services secrets syriens. Mais aussi dans les discussions internationales de Vienne où les exigences de Moscou vis-à-vis de Washington ont conduit à l’interruption des pourparlers.
  • La forte émigration de toutes les confessions et celle particulièrement des minorités confessionnelles (chrétiens, yézidis) et ethniques (Kurdes) semble être la solution adoptée par les jeunes citoyens des pays arabes.
  • Le risque de pénuries alimentaires du fait de l’invasion de la Russie en Ukraine, deux pays exportateurs de céréales depuis de nombreuses années dans ces États du Moyen-Orient, va peser lourdement sur les trois États étudiés et l’ensemble de la région, dont les populations pourraient souffrir de famines si des solutions de remplacement ne sont pas vite trouvées.

Christian Lochon

* Christian Lochon habite Beyrouth. Il enseigne à l’université Paris II et appartient à l’Académie des Sciences d’Outremer. Il collabore à l’Œuvre d’Orient et est administrateur de Chrétiens de la Méditerranée. Il a déjà donné à notre site des analyses historiques, dont

** PYD, Parti de l’union démocratique (en kurde : Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD), considéré comme la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan (en kurde : Partiya Karkerên Kurdistan), mouvement nationaliste kurde fondé en Turquie, cible d’une guerre sans merci du gouvernement turc (ndlr).

*** Le Front al-Nosra ou Jabhat al-Nosra, souvent appelé al-Nosra, rebaptisé en 2016 Front Fatah al-Cham, “Front de la conquête de la Syrie”, est un groupe rebelle, d’idéologie salafiste djihadiste, apparu en 2012 dans le contexte de la guerre civile syrienne et affilié à Al-Qaïda de 2013 à 2016. Principalement présent dans le nord-ouest de la Syrie, le groupe est également actif au Liban (Wikipedia).

**** Mohammed ben Salmane ou désigné par ses initiales MBS, est le prince héritier d’Arabie saoudite et vice-Premier ministre depuis le . Il est le dirigeant suprême de fait du Royaume saoudien (ndlr).

***** YPG, en kurde Yekîneyên Parastina Gel, Brigades de Protection du Peuple. Branche armée du PYD, Parti de l’union démocratique kurde.

Photo AED/Œuvre d’Orient

Étant donné la densité de cette étude, nous reportons la bibliographie établie par Chrisitian Lochon à une prochaine livraison (ndlr).

 

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