La guerre, paroles de chrétiens palestiniens.

Nous reprenons des déclarations et témoignages émis par des chrétiens vivant en Israël et en Palestine.

  • Kaïros Palestine
  • Samia Khoury, avec Sabeel
  • Cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem
  • Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine, texte publié par Pax Christi, avec le communiqué de Pax Christi France
  • L’Œuvre d’Orient : communiqué face à la situation en Terre Sainte

 

Déclaration de Kairos Palestine sur la guerre à Gaza

Le mouvement œcuménique Kairos est le plus important mouvement chrétien palestinien œcuménique et non-violent. Il a publié à Bethléem en décembre 2009 un appel intitulé “Un moment de vérité”. Voici l’introduction du document qu’il a fait paraître, le 11 octobre 2023.

“La guerre contre Gaza, une fois de plus, mais cette fois-ci c’est de Gaza qu’elle est partie. Elle a causé de grandes souffrances et des destructions importantes en Israël. Nombreux sont ceux qui la considèrent comme une guerre injuste contre Israël. Mais la question que chacun de nous et chacun de ceux qui portent en eux le souci de la paix et de la justice doit se poser est celle-ci : pourquoi donc cette guerre a-t-elle commencé?

Nous disons tous : Non à la guerre. Nous disons tous : Oui à la paix, Oui à la recherche d’une solution juste et définitive à un conflit qui est réel et à l’injustice qui est imposée au peuple palestinien depuis plus de 70 ans. Aux yeux d’Israël, le peuple palestinien n’a pas le droit d’exister, et la communauté internationale est trop faible pour mettre en œuvre les décisions qu’elle prend en faveur d’une solution juste et définitive.

Tous, nous pleurons et avons le souci de consoler toutes les victimes des deux côtés de ce conflit. Un être humain est un être humain, qu’il soit israélien ou palestinien, et chaque être humain a de la valeur aux yeux de Dieu et aux yeux de sa famille, de ses proches et de tous ceux qu’il aime.

Non à la guerre, Oui à une paix juste et définitive.”

Lire la totalité du document sur Gaza de Kairos Palestine

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La surprise de Gaza, par Samia Khoury

Chrétienne palestinienne cofondatrice de Sabeel, centre chrétien de théologie de la libération, elle vit à Jérusalem-Est. Elle a adressé ce dimanche 15 octobre 2023 le message suivant “à ses chers amis d’Occident”.

Cela fait longtemps que je n’ai pas partagé mes réflexions avec vous. Après les événements tragiques de la semaine dernière, ma fille m’a demandé si j’avais écrit quelque chose. En fait, je n’avais rien écrit. Et malgré toutes les pensées qui me passaient par la tête, il me semblait futile de vouloir faire
changer d’avis des personnes qui continuaient à ne pas se rendre compte de la réalité de ce que nous vivons. Mais j’ai pensé qu’il était bon de vous rappeler quelques faits. Ils vous aideront à partager avec ceux qui continuent à se demander “Pourquoi tout cela?”

Ni Israël ni la communauté internationale n’auraient dû être surpris par les récents événements qui ont blessé non seulement les Israéliens, mais aussi les Palestiniens qui vivent sous l’état de siège imposé par Israël aux habitants de la bande de Gaza. Cela fait 75 ans que les Palestiniens ont été
dépossédés de leur terre, 37 ans qu’ils vivent sous occupation militaire, dont 16 ans dans une prison à ciel ouvert pour les habitants de Gaza. Il y a eu deux soulèvements palestiniens, et surtout un processus de paix raté, appelé les Accords d’Oslo, qu’Israël a non seulement bafoués mais il s’est en plus permis de créer toujours plus de réalités sur le terrain, et de colonies, qui ne faisaient que déposséder encore plus les Palestiniens dans les quelques territoires qui leur restaient, ceux que l’on appelle les “Territoires palestiniens”.

Les incursions quotidiennes, sous protection israélienne, de colons dans la mosquée [Al-Aqsa] de Jérusalem ainsi que les meurtres répétés de jeunes Palestiniens en divers lieux de la Cisjordanie, et l’accaparement continu des terrains agricoles des Palestiniens et de leurs oliveraies n’ont fait qu’exacerber la situation. Les agressions contre les localités de Huwara et de Jénine sont d’autres événements que les Palestiniens n’ont pas oubliés. En outre, le nombre de prisonniers palestiniens n’a cessé d’augmenter, alors que beaucoup d’entre eux sont incarcérés sans charges ni procès. Et beaucoup de ceux qui auraient dû être libérés suite aux accords d’Oslo croupissent toujours dans les prisons israéliennes.

Les 2,2 millions d’opprimés qui vivent sous état de siège [à Gaza] ne sont pas des “animaux humains” comme Israël les a appelés. Ils sont des êtres humains qui ont été déshumanisés, comme s’ils étaient les enfants d’un “dieu inférieur”. Ils ont atteint un point de rupture et n’ont plus pu supporter l’oppression et la privation de liberté.

Si les États-Unis et les gouvernements européens avaient appliqué les résolutions des Nations Unies et s’étaient opposés aux nombreuses violations par Israël, depuis sa création en 1948, de ces mêmes résolutions, la situation ne se serait pas détériorée à ce point-là. Mais il ont vu comment des enfants palestiniens ont été tués, ils ont assisté aux incursions dans les maisons au milieu de la nuit, ils ont été témoins de la démolition de maisons et de l’évacuation de zones palestiniennes entières pour y installer des colonies israéliennes, en faisant tout au plus remarquer que de telles actions n’allaient pas conduire à la paix. Mais personne n’a eu le courage d’agir, pas même lorsque Israël a démoli une école financée par l’Union européenne. Lorsque le Premier ministre israélien a récemment montré aux Nations unies une carte sur laquelle la Palestine n’apparaissait même pas, personne n’a émis la moindre protestation.

Mais maintenant, quand le monde a appris avec surprise que des Israéliens avaient été attaqués et blessés, les États-Unis et les pays européens – qui ont été à l’origine de la dépossession des Palestiniens ! – se sont précipités dans la région pour soutenir Israël, qui est connu comme une force d’occupation dans cette région. Ironiquement, ce sont les mêmes pays qui se sont précipités pour sauver l’Ukraine de l’occupation russe. Une occupation est-elle admissible, alors qu’une autre ne l’est pas ? Nous en avons assez des politiques de deux poids, deux mesures. S’il vous plaît, sauvez les Palestiniens piégés dans Gaza et qui ont reçu d’Israël l’ordre de partir. Pour aller où ? Alors que toutes les frontières sont fermées ! Même les hôpitaux ne sont pas des lieux sûrs : nous venons d’apprendre qu’Israël a bombardé l’hôpital Ahli (*), géré par l’Église anglicane.

Nous savons que beaucoup d’entre vous ont prié, mais nous avons besoin d’action. Selon l’épître de saint Jacques, la prière sans l’action est vaine.

Jusqu’à quand, Seigneur. Jusqu’à quand ?

Samia Khouri

(*) NDLR. Au soir du 18 ocobre, la polémique fait rage sur l’origine de la frappe. Le président des Etats-Unis en visite en Israël a déclaré avoir des “preuves convaincantes” de leur origine palestinienne. Mais qu’en était-il des armes de destruction massive de Saddam Hussedin, qui ont déclenché la guerre d’Irak ?

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L’initiative du Cardinal Pierbattista Pizzaballa,
patriarche latin de Jérusalem

Le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a exprimé le 16 octobre 2023 sa volonté de s’offrir en otage contre les enfants kidnappés détenus par le Hamas et a évoqué les efforts de médiation du Saint-Siège dans le cadre du conflit en cours à Gaza et en Terre sainte.

Lors d’une rencontre en ligne avec un journaliste, le cardinal Pizzaballa a déclaré : “Si je suis prêt à un échange ? N’importe quoi, si cela peut conduire à la liberté et ramener ces enfants à la maison, pas de problème. Pour ma part, je suis tout à fait disposé à le faire.”

Le cardinal Pizzaballa a également parlé de l’offre de médiation du Saint-Siège, soulignant le désir de sauver les captifs. Il a déclaré : “Nous avons offert notre disponibilité au moins pour essayer de ramener les otages, au moins certains d’entre eux, ce qui est en train d’être tenté. C’est très difficile parce que, pour une médiation, il faut avoir des interlocuteurs. Et pour l’instant, il n’est pas possible de parler au Hamas”.

S’agissant de l’éventualité d’une invasion terrestre israélienne dans la bande de Gaza, le cardinal Pizzaballa a déclaré : “Mes préoccupations sont essentiellement doubles. La première est, à la suite de l’opération terrestre, je ne sais pas comment on l’appelle, la crise humanitaire beaucoup plus grave qui sera créée. C’est la première crainte, car il y aura sans doute beaucoup de victimes”. Ensuite, il a partagé “l’autre crainte”, qui est “que ce conflit devienne un conflit régional, impliquant non seulement Gaza ou peut-être la Cisjordanie mais aussi le Liban. Alors le monde islamique pourrait s’enflammer, tous les pays arabes. Je ne sais pas, il est très difficile de prévoir les évolutions, mais la crainte d’une extension régionale est réelle, et je ne suis pas le seul à le dire”.

Source https://www.indcatholicnews.com/news/48248  d’après Vatican News. Traduction française par nos soins.

“Je refuse d’avoir à choisir”
par Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine

Marie-Armelle Beaulieu est la rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine. Installée à Jérusalem depuis plusieurs décennies, elle livre ici un témoignage intime, à portée universelle, sur sa réaction à l’attaque du Hamas le 7 octobre, et à la riposte d’Israël. 

Ce témoignage est publié par notre partenaire Pax Christi, dont on trouvera plus bas le communiqué sur la guerre à Gaza.

Je vais bien, je ne cours pas de danger immédiat. Parce que je ne suis ni juive ni palestinienne, parce que ça se voit, je dirais ici “ça se flaire”. Le risque qu’une roquette qui tomberait sur Jérusalem m’atteigne est infinitésimal et je ne vais pas aller, avant un bon moment, en dehors du périmètre de l’agglomération. Je n’ai pas un tempérament qui me porte à m’inquiéter pour ma vie. Jérusalem où je vis est atterrée et les gens restent chez eux, suivant les directives de la sécurité civile. Je suis amenée à me déplacer pour des raisons professionnelles. Dans les deux réalités de la ville, arabe et juive, le constat est le même, 75% des magasins sont fermés, il y a peu de gens dans la rue. C’est, de fait, moins dû au risque pour nos vies que du fait que tout le monde est anéanti.

Nos âmes sont mises à rude épreuve depuis samedi.

Je condamne sans hésitation les massacres perpétrés par le Hamas. Le nombre de morts est non seulement effarant mais les conditions dans laquelle des civils, enfants, femmes, personnes âgées ont été assassinés sont barbares. Les morts de la rave party, le pogrom du kibbutz de Be’eri sont inqualifiables dans l’horreur. Suis-je surprise ? Par tout ce qui se passe depuis samedi : oui. Surprise, atterrée, effarée, glacée, sidérée.

Le volcan couvait, on le savait

Pour autant, quiconque suit la situation palestinienne savait que la situation était intenable et exploserait. Cela fait des mois que l’on s’interrogeait sur la possibilité d’une troisième intifada. Avant, samedi 7 octobre, l’année 2023 était déjà la plus meurtrière depuis des années dans les deux camps israéliens et palestiniens.

En revanche personne n’aurait imaginé cette forme. Et dans la faillite des services israéliens et dans la barbarie du Hamas. Le volcan couvait on le savait. Et de la part des Églises, ce n’est pas faute d’avoir alerté. J’espère que ceux qui ont créé ces conditions en répondront un jour.

Hier, un jeune Israélien m’a dit : “Vraiment nous sommes surpris ? Comme si nous n’avions pas été assez arrogants en croyant que nous avions réduit 5 millions de Palestiniens à vivre comme des indiens (natives Americans) dans les réserves que nous leur laissions”.

Plus tard dans la conversation, il m’a dit qu’il avait été soldat d’élite et qu’il avait tué des quantités de Palestiniens et qu’à l’époque il était “à l’aise avec ça”. “C’était comme descendre un paquet d’ordures, ce n’est pas agréable mais ça le fait.” Et il a poursuivi : “Un jour dans mon unité, l’un d’entre nous a protégé la vie d’un terroriste contre tous ceux qui voulaient le lyncher. C’est lui le héros. Tuer c’est facile, c’est à la portée de n’importe quel imbécile. Voir l’Homme dans ton ennemi, c’est ce qui fait de toi un Mensch, un être humain. Ce jour-là, j’ai grandi en regardant ce que les héros savent faire.”

Ce qui est arrivé aux Israéliens est innommable, ce que de nombreux Israéliens réclament, l’élimination pure et simple de 2 millions de gaziotes, ne l’est pas moins. Les mesures prises par le gouvernement israélien de coupure de l’eau et de l’électricité ne sont pas prises pour éradiquer le Hamas comme indiqué mais pour punir collectivement une population qui vit sous le joug de ces radicaux musulmans depuis 2006.

Tous les gens que je rencontre sont dévastés. Y compris les Palestiniens que je connais. Je n’ignore pas que certains se réjouissent encore. Encore qu’entre les réjouissances de samedi matin à l’idée que la sécurité israélienne puisse avoir été ainsi déjouée et la réaction aujourd’hui à l’idée des réactions en cascades, il y a d’immenses différences.

Je refuse d’avoir à choisir maintenant même si le prix est de me faire insulter des deux côtés.

Et moi là-dedans ? J’aime les deux peuples, chacun pour des raisons différentes. Plus qu’ils ne le peuvent imaginer. Je trouve les deux légitimes à vivre sur cette terre. Je reconnais les deux.

Partir ? J’ai choisi cette terre et ses habitants et n’ai pas l’intention de les quitter.

Depuis 25 ans que je vis ici, j’ai travaillé à mon échelle à rendre les voies de la conciliation possibles, à défaut de réconciliation avant longtemps. J’ai refusé d’épouser les discours de l’un contre l’autre. J’ai travaillé à ne pas me laisser empoisonner par la haine. Ce n’est pas faute de voir de quoi basculer.

Je refuse d’avoir à choisir maintenant même si le prix est de me faire insulter des deux côtés.

Je ne suis ni Israélienne ni Palestinienne. Je ne prétends pas être neutre. Je prétends – comme l’ont dit les papes venus ici – que ce pays a besoin de ponts et non de murs. Je revendique de pleurer sur tous les morts, sans distinction de sexe, de religion, de parti politique. Je prétends que la situation dans laquelle nous sommes est la preuve qu’on ne peut pas continuer à ignorer les droits des Palestiniens à vivre dans la dignité, sur la terre où ils ont vu le jour et leurs pères avant eux.

J’ai dû prendre la décision de refuser d’intervenir dans des médias aux formats courts qui ne me donnent pas l’occasion de m’exprimer dans la nuance. Et d’ailleurs j’entrerai dans le silence avec soulagement.

Ma voie ici, est celle d’une suite du Christ assumée. Ma voie ici est de vivre des évangiles et de m’en nourrir. Ma voie ici est la contemplation de la croix et de celle du vide du tombeau, avec la sérénité que donne aux heures les plus sombres cet acte de foi. “Le Christ est ressuscité des morts ! Par la mort il a vaincu la mort ! et il a donné la vie à ceux qui sont dans les tombeaux !”

Source Pax Info, octobre 2023

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Voici l’introduction du communiqué de presse de Pax Christi :

” Le choix de la vengeance est inacceptable et la communauté internationale doit lever sa voix pour empêcher une punition collective de Gaza et de ses habitants aussi illégale et immorale que les assassinats auxquels elle est censée répliquer.L’engagement sans faille à lutter contre le terrorisme ne doit pas mettre au second plan les aspirations légitimes à la paix des Israéliens et des Palestiniens et la nécessaire construction politique qui doit aboutir à la création d’un Etat pour ces derniers”.

Intégralité du Communiqué de presse de Pax Christi

Communiqué de L’Œuvre d’Orient
Face à la situation en Terre Sainte

Jérémie 31.15 : “Ainsi parle le Seigneur : Un cri s’élève dans Rama, une plainte et des pleurs d’amertume. C’est Rachel qui pleure ses fils ; elle refuse d’être consolée, car ses fils ne sont plus.”

Nous sommes horrifiés par les massacres qui ont eu lieu ces derniers jours en Terre Sainte. S’il était encore là, nul doute que le Christ les condamnerait avec la plus grande fermeté.

Les violences ne construisent rien, ne mènent à rien. La violence ne fait qu’appeler d’autres violences. Nous ne pouvons admettre la détention effroyable des otages et les appels à la vengeance proférés.

Il est absolument nécessaire que des prophètes se lèvent dans l’islam, le judaïsme, et le christianisme afin d’ouvrir des chemins de sécurité, de justice et de paix. Les croyants doivent être libres par rapport aux puissances de ce monde et chercher dans la prière et l’écoute de la volonté de Dieu les raisons d’espérer. Cette espérance doit se traduire par des actes concrets.

Nous sommes face à une multitude de crises qui s’enchaînent avec une rare intensité. Le Liban s’effondre, la Syrie est en proie encore à la violence et se remet difficilement du séisme de février dernier. L’Arménie est en danger. La Turquie bombarde en Syrie et en Irak, où des milices incontrôlées sévissent régulièrement. Il est urgent de réunir une conférence internationale avec les États et les responsables spirituels afin de surmonter enfin les problèmes de cette partie du Proche-Orient.

À L’Œuvre d’Orient, aux côtés des communautés chrétiennes de la région et par leurs projets au service de tous, plus que jamais, nous sommes déterminés à œuvrer pour la paix.

Mgr Pascal Gollnisch
Directeur général de L’Œuvre d’Orient

Je soutiens les chrétiens d’Orient

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