Etranger, mon frère ? Un cri du cœur sur l’accueil des réfugiés en France. Paru dans SaphirNews et rédigé par Micheline Bochet Le Milon, membre du bureau du GAIC et bénévole à LA CIMADE.

Nous faisons paraître cet appel publié sur le site de Saphirnews. un organe d’information généraliste sur le fait musulman en France. Il est rédigé par Micheline Bochet Le Milon, membre du bureau du GAIC, Groupe d’Amitiés Islamo-Chrétienne, avec lequel CDM entretient des relations constantes. Elle est également bénévole à la CIMADE, partenaire de CDM. Un racisme anti-musulman (et également anti-noir) monte en puissance dans l’espace public français, et contribue à rendre inhumaines les conditions dans lesquelles les migrants sont accueillis, lorsqu’il sont originaires du Moyen-Orient ou de l’Afrique subsaharienne.

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Quand la peur et le rejet de l’islam se dessinent derrière la “question migratoire”

Il est vrai que les mouvements de population auxquels nous assistons sont irréversibles : d’une part parce qu’ils sont inhérents à l’humanité, d’autre part parce que les guerres et leurs conséquences tant humaines qu’économiques, les épidémies, le changement climatique, jetteront encore des millions de personnes sur les routes de l’exil, les obligeant à quitter leur domicile et leur pays dans les décennies à venir. Mais il se trouve qu’en France, l’immigration est majoritairement en provenance du Maghreb : Algérie, Tunisie, Maroc, pays avec lesquels nous avons des liens historiques du fait de la colonisation. Viennent ensuite la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Liban. Tous pays à majorité musulmane. Et c’est bien là le problème.

Au-delà du phénomène migratoire, au-delà de la xénophobie que l’on pourrait qualifier d’ordinaire, c’est bien la peur et le rejet de l’islam qui se dessine derrière la “question migratoire”. C’est l’assimilation du migrant d’une part au terroriste, d’autre part au “tout autre”, à “l’inassimilable”, celui qui non seulement ne pourra pas être absorbé par la société française mais, plus encore, va lui imposer sa façon de vivre. La récente loi sur le “séparatisme” est bien le reflet de cette inquiétude et de cette crispation. Quand bien même cette loi ne s’adresse pas qu’aux seuls musulmans, c’est néanmoins en tant qu’instrument de lutte contre le communautarisme et en tant que police des cultes, et tout particulièrement du culte musulman, qu’elle a été pensée.

Serait-il excessif d’apercevoir derrière ce texte comme une image subliminale de la notion de “grand remplacement” ? Sans doute. Mais il faut néanmoins reconnaître que les textes empilés depuis plus trente ans (30 réformes depuis 1980) sont presque exclusivement des textes à caractère sécuritaire faisant du migrant un délinquant par nature et un terroriste en puissance.

Les médias relaient largement cette image négative contribuant à alimenter l’hostilité à l’égard des “migrants” que l’on devrait plutôt qualifier de personnes en mouvement. En poursuivant une politique exclusivement sécuritaire, nous fabriquons nous-mêmes la violence qui nous atteindra demain de plein fouet.

Si, à l’évidence, le fait qu’il s’agisse d’Européens supposés être chrétiens, n’est pas étranger à l’élan de solidarité vers les Ukrainiens, il vient néanmoins apporter un peu de lumière dans ce tableau bien sombre. Il montre que, lorsque la migration prend visage humain – celui d’un enfant frissonnant, en larmes, ceux d’une famille bouleversée de tout quitter, ceux de vieilles personnes totalement désemparées – nous sommes tous encore capables de retrouver notre humanité. Reconnaissons aussi que, quel que soit le discours politique dominant, il existe de nombreuses associations d’aide, de conseil, de soutien aux migrants, quelles que soient leur couleur de peau, leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur religion, qui poursuivent leur mission contre vents et marées et cherchent par leurs actions et leurs messages à infléchir la politique gouvernementale et à faire évoluer les mentalités. On sait aussi qu’il existe des familles accueillantes dans lesquelles quelques migrants trouvent attention, sollicitude, partage, leur permettant de retrouver leur dignité et leur espoir.

Certes depuis bientôt 20 ans, la peur et la recherche de la sécurité ont fermé les frontières… sans même que la politique qui en résulte ait démontré son efficacité. C’est surtout la peur qui a fermé les esprits. C’est contre cette fermeture qu’il faut lutter en se souvenant que le migrant est un homme – et de plus en plus souvent une femme – un adolescent, parfois même un enfant qui n’a pas eu d’autre choix que de partir sans même savoir ce qui l’attendait, avec son seul espoir de pouvoir vivre “normalement”, c’est-à-dire libre et digne. Il nous faut comprendre qu’en poursuivant une politique exclusivement sécuritaire, en maltraitant les personnes qui viennent dans notre pays dans l’espoir d’y construire une vie, nous allons à l’encontre de nos intérêts en fabriquant nous-mêmes la violence qui, demain, nous atteindra de plein fouet.

Le Collegium international d’éthique, fondé en 2002 par Michel Rocard, Stéphane Hessel et Milan Kuçan, avait proposé d’ajouter à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, à l’occasion de son 70e anniversaire, la notion d’hospitalité universelle qui deviendrait par là-même un concept de droit international dont la mise en œuvre pourrait éviter le chaos qui menace notre monde. Mais il serait temps, aussi, de nous souvenir de nos principes républicains et d’en faire application en commençant par la fraternité dont il a fallu que le Conseil d’État, dans un arrêt du 6 juillet 2018, rappelle la valeur constitutionnelle pour faire tomber le “délit de solidarité” que se voyait reprocher nombre de personnes qui avait tendu la main à un étranger en détresse.

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Micheline Bochet Le Milon est membre du Conseil d’administration du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC) et bénévole à la CIMADE, “association de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière”.

L’article du GAIC: https://www.gaic-seric.info/2022/06/etranger-mon-frere.un-cri-du-coeur-sur-l-accueil-des-refugies.html

L’article de Saphirnews: https://www.saphirnews.com/Guerre-en-Ukraine-entre-malaise-et-indignation-autour-du-traitement-differencie-des-refugies-en-Europe_a28686.html

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