Carnets de voyage CDM au Maroc (3/4) – Patrimoine et dialogue interreligieux

Carnets de voyage CDM au Maroc (3/4) – « Patrimoine et dialogue interreligieux ». Du soufisme au riad de Denise Masson et à l’institut Al Mowafaqa, les multiples facettes des rencontres interculturelles passionnantes lors de notre séjour.

 

Les remparts de Fès

Ce voyage d’études a été également l’occasion de découvrir les principales villes marocaines et, parmi elles, celle de Fès, capitale culturelle du Maroc.

Fondée en 789 par Idriss Ier, elle connut deux vagues d’immigration, en provenance de Cordoue, de l’Al-Andalus, puis de Kairouan. La célèbre mosquée Quaraouiyine est l’un des hauts lieux d’enseignement spirituel et culturel du monde musulman.

Le déclin de la ville se produisit durant le protectorat français (1912-1956). Rabat devint la capitale politique et Casablanca la capitale économique. Cependant c’est à Fès que naquit le mouvement nationaliste au sein de l’élite bourgeoise marocaine.

Faouzi Skali, une vie dédiée à l’étude des sciences des religions et au dialogue

C’est une grande chance d’avoir pu rencontrer M. Faouzi Skali, un anthropologue et ethnologue en sciences des religions qui a dédié sa vie au dialogue des hommes et des religions.

Son enfance a été baignée dans une atmosphère soufie. À 23 ans, la lecture du livre de Rümi Le livre du dedans lui fait approfondir le soufisme, dimension mystique de l’Islam[1]. Il soutient à la Sorbonne une thèse sur les saints et les sanctuaires de Fès. En 2001, il fonde le colloque « Une âme pour la mondialisation » et est désigné par l’ONU comme une des douze personnalités mondiales ayant contribué au dialogue des civilisations. Il est à l’origine de deux festivals. En 1994, il créée le « Festival de Fès des musiques sacrées du monde » et, en 2007, le « Festival de la culture soufie »[2].

Le soufisme et Fès sont intimement liés depuis le sultan soufi Moulay Idriss, fondateur de la cité, qui pria pour que Dieu y soit adoré, que son livre y soit lu et sa loi appliquée « tant que dure le monde ».

Pour M. Skali, la question de la spiritualité demeure centrale dans notre monde, à titre individuel et collectif. Dans l’esprit du soufisme, Jésus est le « sceau de la sainteté », comme Mahomet est le « sceau de la prophétie ». Les paroles et les actes de Jésus s’inscrivent dans une pédagogie initiatique qui rappelle les méthodes utilisées au sein des voies soufies. Face aux dérives, notamment religieuses, du monde actuel, le premier antidote à l’extrémisme est la connaissance de l’histoire et des textes, quelle que soit la religion.

Ainsi, pour M. Skali, « le Maroc, sous la conduite du roi, Commandeur des croyants, veut incarner dans le monde d’aujourd’hui une tradition civilisationnelle et un modèle concret d’un islam de spiritualité et de culture ».

Cette rencontre à Fès a été, pour certains dans le groupe, la « clé de voûte » du voyage, dans son aspect de découverte des relations interreligieuses et de la présence de l’Église catholique au Maroc.

Le vélo de Denise Masson

La maison Denise Masson

Un lieu emblématique de la médina de Marrakech a accueilli le groupe la veille du départ : la maison Denise Masson. Ce lieu est intimement lié à la personnalité de cette femme passionnée dont la traduction du Coran reste aujourd’hui encore parmi les meilleures, au dialogue et aux liens entre les cultures. Nous avons découvert ce Riad (Riad El Hafdi), organisé autour d’un vaste jardin et des différentes pièces où a vécu Denise Masson avant d’en faire don à la Fondation de France et à l’Institut français qui y organisent des expositions, des concerts, des conférences.

Al Mowafaqa : une formation théologique œcuménique, ouverte à l’interreligieux

L’institut Al Mowafaqa (« l’Accord ») a été créé à Rabat, en 2012, pour répondre aux besoins de formation théologique au sein des églises catholiques et protestantes.

La formation dispensée permet, dans un contexte musulman, d’approfondir sa foi et son identité religieuse, en intégrant une juste compréhension de la tradition des autres croyants. Le corps professoral est composé de professeurs-visiteurs d’Afrique et d’Europe et d’universitaires marocains. Soixante étudiants sont formés chaque année, certains pouvant bénéficier de bourses des églises locales.

Le nouveau directeur de l’Institut, M. Jean Koulagna, pasteur camerounais, rappelle que si les chrétiens ne représentent que 0,1 % de la population marocaine, les migrations notamment venant de l’Afrique subsaharienne ont entraîné l’implantation d’« églises de maisons » dans lesquelles un enseignement religieux est dispensé par des pasteurs souvent insuffisamment formés en théologie. Il s’agit de former des « leaders de communauté ».

François Stey

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DE CASABLANCA À RABAT
D’une bibliothèque à l’autre…
Pour une éducation au service de la paix et de la rencontre avec l’autre

 

Nous avons rencontré, dès le lendemain de notre arrivée à Casablanca, le professeur Janjar, directeur adjoint de la « Foundation King Abdoul Aziz al Saoud », une institution financée depuis les années 1980 par l’Arabie Saoudite, à l’occasion de la création d’une bibliothèque pour les sciences humaines et sociales et les études islamiques. Un groupe d’universitaires est à l’origine de la conception moderne de cette bibliothèque qui, avec ses quelque 800 000 livres, offre aux chercheurs et aux doctorants du monde entier un incomparable lieu de recherche.

Pour le professeur Janjar l’histoire du Maroc s’explique d’abord par sa situation géographique de « pays du bout » d’un continent, où, depuis toujours, faute de pouvoir aller plus loin, les migrants se fixent, où les cultures se mélangent et s’enrichissent mutuellement. C’est un pays ouvert sur l’extérieur comme le montre, entre autres, l’influence de la culture andalouse dans son architecture. L’allégeance au roi, à la fois chef de l’état et imam est constitutive de l’identité nationale marocaine, y compris pour les 4 millions de marocains vivant à l’étranger.

Les jeunes générations ont besoin de connaître et de s’approprier l’histoire de leur pays, de savoir, par exemple, qu’il y a eu, jusqu’au XXe siècle, au Maroc, une importante communauté juive du monde, ou bien que, du fait de l’arrivée de nombreux chrétiens sub-sahariens, il y aura un nouveau phénomène d’inculturation au sein de cet état musulman. Cela entraîne déjà une tendance à reconnaître la réalité du pluralisme linguistique en redonnant vie à la langue berbère et en acceptant le dialecte marocain, le darija, à côté d’un arabe que l’on apprend par cœur sans le comprendre, par ce qu’il n’est pas la langue de la vie quotidienne.

M. Janjar souligne fortement le rôle déterminant que peuvent jouer, pour les jeunes générations, des lieux d’éducation soucieux de favoriser l’apprentissage de l’autonomie intellectuelle et de tirer le niveau scolaire vers le haut. Que ce soit à l’école, à l’université ou dans des institutions vouées à une recherche scientifique de haut niveau, à l’instar de la bibliothèque dans laquelle nous nous trouvons, les jeunes doivent être « outillés » intellectuellement, pour devenir capables de décoder les discours, entre autres ceux qui sont indistinctement véhiculés par le web. Ils pourront ainsi avoir une connaissance de l’Islam dans sa diversité et dans sa pluralité.

De « La Source » à « La Concorde »

Quelques jours après, à Rabat, en nous rendant à l’Institut de théologie œcuménique Al Mowafaqa (dont le nom signifie en arabe « la concorde »), nous avons pu constater que le vibrant plaidoyer du professeur Janjar en faveur d’une éducation au respect d’autrui et à la liberté intérieure ne restait pas sans réalisation concrète. Nous y sommes reçus par le directeur, M. Jean Koulagna.

Conférence proposée par le centre Al Mowafaqa

Fondé en 2012, à l’initiative de l’évêque de Rabat, Mgr Vincent Landel et du pasteur Samuel Almedro, représentants des Églises catholique et protestante au Maroc, cet institut propose une formation universitaire débouchant sur l’obtention d’une licence de théologie validée par la faculté protestante de Strasbourg et par l’Institut catholique de Paris. Les cours sont organisés par sessions intensives de deux semaines par mois, afin de permettre aux étudiants qui en ont besoin de travailler pour payer leurs études. Par ailleurs, il est possible de venir passer cinq mois en immersion pour suivre une formation pluridisciplinaire, spécifique à l’Institut : le « Certificat Al Mowafaqa pour le dialogue des cultures et des religions ». Cette formation comprend un enseignement universitaire, un programme de rencontres et de visites de terrain et un voyage d’études de 7 jours à l’intérieur du pays. Des cours et des sessions d’arabe (standard et dialectal) sont assurés tout au long de l’année. Enfin, chaque été, au mois de juillet, un séminaire d’islamologie de 10 jours est organisé.

Le thé servi à Al Mowafaqa

Le nom d’Al Mowafaqa n’a pas été choisi au hasard car ce lieu s’inscrit dans une longue histoire de rencontres et d’ouverture à la culture de l’autre. En 1940, la maison principale était la propriété d’une famille française. En 1949, à la suite de la mort de leur fille, le couple a fait construire une chapelle à sa mémoire dans le jardin. À leur départ, en 1960, ils lèguent la propriété à l’Église catholique. Après avoir été un centre de soins, avec une pharmacie tenue par les sœurs, la maison se transforme en un centre de documentation richement fourni et largement ouvert à un public divers. Elle est connue à l’époque sous le nom de bibliothèque « la Source ». Sa réputation d’ouverture attire de nombreux visiteurs et son nom reste, aujourd’hui encore, une référence pour de nombreux musulmans. Les ouvrages qu’elle contenait ont été transférés à la bibliothèque nationale lors de sa fermeture.

La pédagogie d’Al Mowafaqa, mise en œuvre par Bernard Coyault, le premier directeur de l’Institut, ne déroge pas à la tradition de la maison. Les professeurs qui viennent y enseigner fonctionnent en binômes, idéalement un(e) africain(e) e/ un(e) européen(ne)/ un(e) protestant(e)/un(e) catholique. Les étudiants font ainsi l’expérience de l’œcuménisme non seulement entre eux (pour certains de la première promotion, c’était une première) mais entre les diverses sensibilités théologiques de leurs professeurs. Une belle bibliothèque, à leur disposition, les met en contact avec l’ensemble du monde de la recherche biblique.

À la Maison Denise Masson

Ayant eu moi-même la chance d’enseigner à trois reprises depuis sa fondation dans ce lieu magnifique, j’ai pu constater la fécondité d’une telle expérience. Le désir d’entrer toujours plus avant dans l’intelligence de leur foi, manifesté tout au long de ce parcours exigeant par ces étudiants courageux, en est un très beau témoignage !

De ce voyage d’étude organisé par Chrétiens de la Méditerranée, le troisième pour Bernard et moi, je retiens avant tout deux choses. D’une part, la qualité d’accueil et la disponibilité de tous ceux et celles qui ont accepté de nous rencontrer pour nous parler de leur confiance en l’avenir en dépit des difficultés qu’il leur reste à surmonter.

D’autre part, la leçon de courage, d’humilité et de foi de religieux et religieuses qui, par leur présence discrète et attentive auprès des plus pauvres au sein d’un monde musulman, incarnent les valeurs de l’Évangile. La joie paisible qui les anime est la rayonnante messagère de ce qui est au cœur de leur vie.

Odile Flichy

 

NOTES

[1] Il a notamment écrit La voie soufie et Jésus dans la tradition soufie.

[2] Avec une place importante dédiée aux nombreuses femmes mystiques : Ode aux femmes mystiques.

 

Retrouvez l’ensemble des carnets de voyages au Maroc organisé par CDM en octobre 2018 :

(1/4) – « Enjeux économiques et sociaux »
(2/4) – « Entre monarchie et citoyenneté : une cohabitation délicate »
(4/4) – « Patrimoine et dialogue interreligieux »

 

Illustration : Jardins de la Maison Denise Masson, Marrakech