Le pape François, pèlerin en Irak, pluralisme & fraternité.

Reprise à notre compte de l’événement “François en Irak”, le texte du frère Gabriel Nissim, dominicain, est un rappel de la raison d’être de Chrétiens de la Méditerranée et trace des lignes pour la poursuite des actions de l’association, à la suite de la visioconférence sur l’Irak organisée avec l’Institut Dominicain d’Études Orientales (Idéo), autour de Christian Lochon et du fr. Ameer Jajé, dominicain irakien, le 6 avril 2021. Le fr. Gabriel Nissim a collaboré à la mise en place de cette soirée et y a présenté son confrère irakien.

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Pèlerin. Pèlerin de la paix. Pèlerin de la fraternité entre les enfants d’Abraham et au-delà : tel a été le sens premier du voyage du pape François en Irak.

Pèlerin, car c’est un très long, très difficile chemin, où l’on peut avoir à affronter bien des périls. Et l’opinion publique occidentale est très loin de mesurer combien non seulement l’Irak, mais tous les pays du Machrek sont marqués par une incroyable diversité ethnique, politique et, loin d’être la moindre, religieuse : non seulement entre religions, mais y compris entre factions diverses au sein même du christianisme et de l’islam. Une diversité qui ne demande qu’à s’exacerber en conflits tant elle est enracinée dans une complexité dont l’origine se perd dans la nuit des temps : c’est depuis plus de 5 000 ans qu’on a le témoignage de guerres qui ravagent la région. Des conflits que nous, la France, l’Angleterre, nous avons attisés et dont nous nous sommes servis pour asseoir notre influence et faire prospérer nos intérêts. Comme aujourd’hui, les USA, la Russie et la Chine viennent jeter de l’huile sur le feu. Et ces vingt dernières années ont été particulièrement douloureuses.

Devant cette infinie complexité, ces conflits immémoriaux, le chemin sera donc nécessairement très ardu. Pourtant c’est un véritable élan que ce voyage du pape va donner à ceux qui voudront s’engager avec lui dans ce pèlerinage de la paix et de la fraternité. Car voilà que les religions, si longtemps partie prenante de ces divisions et de ces guerres, se retrouvent dans la rencontre, l’écoute mutuelle, dans la communion de la prière : tel a été ce moment unique, où pour la première fois dans l’histoire, à Ur, chez notre père Abraham, des chefs religieux chiites, sunnites, chrétiens (assyriens, chaldéens, syriaques, arméniens, rattachés à Rome ou non), sabéens-mandéens, yézidis, shabaks, zoroastriens, baha’is, ont échangé, fraternisé, prié d’un seul cœur, témoignant que “nous sommes tous frères en humanité et dans notre appartenance à Abraham, quelle que soit notre appartenance religieuse”. Une seule absence, criante, celle de ceux qui auraient dû être là au premier rang : les juifs, qui autrefois très nombreux et actifs en Irak, en ont été chassés dans les années 40 et 50 par la persécution et les pogroms1. Une absence qui nous montre combien ce pèlerinage n’est qu’un point de départ et combien le chemin sera difficile pour que la pluralité ne soit plus source de division et d’opposition, mais qu’elle se montre sous son vrai jour : un pluralisme vécu comme une richesse d’humanité, une invitation à la fraternité. “Apôtre du pluralisme” : c’est ainsi que s’est présenté le pape François, comme l’a titré très justement le journal Le Monde (7-8 mars 21).

Car tel est l’enjeu, en termes politiques, en termes de dignité humaine – et en termes religieux, comme l’ont proclamé la déclaration d’Abou Dhabi puis l’encyclique Fratelli tutti : dans le monde globalisé qui est désormais le nôtre il n’y aura d’avenir de paix pour chacun comme pour tous, à l’opposé des crispations identitaires, que dans un sain pluralisme, chemin de fraternité, où chacun est invité à apporter sa pierre à la maison commune. Et l’espace méditerranéen, avec tous les pays qui en font partie, en raison même de sa complexité et de son histoire conflictuelle millénaire, est un lieu d’humanité symbolique et symptomatique pour travailler à ce que cette pluralité s’achemine effectivement vers un avenir de pluralisme, de fraternité.

Un engagement d’autant plus urgent que les opinions publiques sont travaillées par des courants qui vont à l’opposé : depuis la France jusqu’aux USA (Trump et ses 72 millions d’électeurs…), depuis le Royaume-Uni (le Brexit) jusqu’aux Indes, ou encore en Hongrie, en Pologne, comme en Birmanie. Ces populismes sont un danger croissant pour la reconnaissance de la dignité inaliénable de tout être humain, pour la fraternité.

Face à cette urgence, le pèlerinage du pape nous montre le chemin vers une Méditerranée qui devienne un beau foyer partagé de communauté de vie : voilà à quoi ce voyage en Irak nous invite à nous joindre en tant que “Chrétiens de la Méditerranée”. Et cela devrait donc nous indiquer des pistes où continuer de nous engager activement, notamment :

Favoriser la rencontre et le dialogue sur le terrain, au plus près : tant que “l’autre” n’aura pas pour moi un “visage”, une “histoire”, il n’y aura pas vraiment accueil. Cela suppose en particulier tout un processus éducatif, de part et d’autre : découverte, information, réflexion, apprentissage – cf. le travail de l’IDEO qui est notre partenaire. Ce pourrait être quelque chose à essayer de mettre en place plus souvent dans nos paroisses, nos communautés, et tout particulièrement dans nos écoles et collèges chrétiens qui accueillent souvent beaucoup d’élèves musulmans.

Le dialogue interreligieux – en Méditerranée il concerne surtout nos trois religions abrahamiques : Juifs, Chrétiens et Musulmans. De nombreuses instances, officielles et non-officielles, déjà s’y consacrent. La rencontre avec le Grand Ayatollah Al-Sistani comme celle d’Ur ont été des événements proprement historiques. Comment continuer dans ce sens, appuyer ce qui existe déjà, en devenir nous-mêmes davantage partie prenante ?

En tant que citoyens enfin, il nous revient d’agir auprès des responsables politiques, au plan régional, national et international. La politique migratoire européenne ne brille pas par sa pertinence… En particulier pour ce qui est de l’intégration (ou quelque mot qu’on utilise) de ceux qui sont déjà chez nous. Comment aider à ce que ceux qui arrivent trouvent leur place, à court et surtout à long terme, en apportant les richesses qui sont les leurs ?

Lors de son voyage, le pape a réveillé un grand espoir en Irak : il n’a oublié personne, évoquant toutes les difficultés que portent les Irakiens. C’est à la réalité irakienne telle qu’elle est qu’il a voulu apporter sa présence, pour que la magnifique mosaïque de ce pays, aujourd’hui encore défiguré par les conflits, manifeste à nouveau toute la richesse d’humanité dont elle est porteuse. Et sa venue a rappelé la vocation des chrétiens à être ces artisans de fraternité là même où il y en a le plus besoin. Une vocation qui vaut pour l’ensemble de l’espace méditerranéen. Une vocation pour tous les “chrétiens de la Méditerranée” : être des pèlerins, des marcheurs de l’espérance de la fraternité.

frère Gabriel Nissim, dominicain

1 Cette absence n’est donc pas due à une volonté d’exclusion ni à un oubli, mais au fait qu’il n’y a plus actuellement ni communauté juive ni responsable religieux juif en Irak, alors que la rencontre d’Ur voulait rassembler les responsables religieux irakiens.

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