Le sommet spirituel tenu le 12 mai 2011 à Bkerké en présence d’un très large éventail de communautés libanaises a consacré l’exception chiite. Le CSC, pourtant présent à la réunion, s’est violemment opposé à la teneur souverainiste du communiqué final quelques heures après la parution du texte. Source le site de l’Orient Le Jour
La tonalité souverainiste de la réunion de Bkerké indispose les milieux chiites
Un mot, un seul, a tout fait capoter. Le sommet spirituel de Bkerké, le second du genre en l’espace de trois ans, était pourtant parti sur de très bons augures. Et il s’est même terminé sans casse, du moins en apparence.
Ce n’est que plusieurs heures après la fin de la réunion et la publication du communiqué final qu’une voix (très) discordante s’est fait entendre du côté du Conseil supérieur chiite (CSC), instance spirituelle suprême de cette communauté. L’objet principal du malentendu : le recours, dans le sixième point des constantes nationales évoquées par le sommet, à l’expression « État libanais » au lieu de « Liban » en parlant du « droit de libérer le territoire libanais occupé par Israël ».
La différence est énorme et résume le clivage majeur autour duquel s’articule depuis des années la vie politique libanaise. Pour le CSC, il était convenu que le sommet n’aborderait pas les grandes questions politiques litigieuses. Or l’instance chiite estime que le fait d’évoquer le droit de « l’État libanais » à libérer son territoire conduit à faire abstraction de celui de la « résistance » et donc à entrer dans le vif de la problématique politique. Par conséquent, il aurait mieux valu à ses yeux utiliser le mot « Liban », ce dernier supposant inclure la formule du « peuple, de l’armée et de la résistance ».
Mais le problème que ne relève pas le CSC est que, justement, cette option aussi peut être considérée comme étant à caractère polémique, puisqu’elle va à l’encontre du point de vue d’une grande partie des Libanais.
S’il faut tirer une leçon de cet incident, c’est qu’il est vain de croire, à la base, qu’un sommet spirituel comme celui de Bkerké puisse rester totalement en marge du conflit politique acerbe qui divise le pays.
Le CSC s’en prend également à un autre point du communiqué final, qui mentionne le conflit « israélo-palestinien », alors qu’il aurait préféré qu’on parlât du conflit « israélo-arabe ».
Affirmant que le texte préparé à l’avance était différent sur ces deux points de celui qui a finalement été discuté au cours de la réunion et adopté, l’instance chiite reproche au Comité du dialogue islamo-chrétien, dont la marque sur la teneur du communiqué final paraît évidente, de l’avoir en quelque sorte trompée.
Il reste à savoir pourquoi le vice-président du CSC, cheikh Abdel Amir Kabalan, qui a pris part au sommet de bout en bout et qui était donc confronté d’emblée à ce malentendu, a attendu des heures avant de manifester son hostilité et de se dire « non concerné par la teneur du texte final, surtout en son sixième point ».
Mais il n’y a pas que ce point qui donne une tonalité souverainiste au communiqué du sommet de Bkerké. Les chefs spirituels insistent par ailleurs sur la nécessité de respecter les engagements internationaux du Liban, d’éviter la politique des axes, de confier aux seules institutions de l’État le soin de régler les différends et aux seules forces armées légales celui de veiller au maintien de la sécurité, d’adopter une stratégie défensive pour permettre – là aussi – à l’État libanais de défendre sa souveraineté, etc. Et il insiste par ailleurs sur la « culture du dialogue » dans le règlement des différends politiques.
Ouvert par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, le sommet a regroupé un très large éventail de communautés présentes sur le sol libanais, y compris copte et alaouite.
« L’État libanais, source de force pour tous »
Voici de très larges extraits du communiqué final du sommet, lu par le secrétaire général du Comité du dialogue islamo-chrétien, Mohammad Sammak :
« Au moment où de nombreux États arabes sont le théâtre d’événements de portée historique, apparaît plus que jamais l’importance de la formule libanaise qui prévoit le respect des libertés individuelles et publiques, religieuses et politiques, et celle de notre engagement, nous Libanais, à l’égard des fondements du système démocratique parlementaire ». En tenant ce sommet, les chefs spirituels ont voulu « réaffirmer les principes essentiels qui habilitent le Liban à porter le message du respect de la pluralité religieuse et communautaire dans le cadre de l’engagement national ».
Ils ont exhorté les responsables politiques concernés à former le plus tôt possible le gouvernement. Ce dernier devrait être fondé sur des bases conformes au pacte et à la Constitution pour être en mesure de remplir son rôle en cette phase difficile que traversent le Liban et la région arabe.
Après avoir examiné la situation, ils ont réaffirmé les constantes nationales suivantes :
1 – Unité nationale entre tous les Libanais, car la persistance des divisions intérieures affaiblit l’immunité du Liban et nuit à la crédibilité de son message et à sa capacité de faire face aux défis posés par les développements dans la région arabe. Cela pourrait, à Dieu ne plaise, mener le pays à payer une nouvelle fois de sa sécurité, de sa tranquillité et de sa stabilité.
2 – Considérer l’État libanais comme une source de force et de protection pour l’ensemble des Libanais. Cela suppose de la part des citoyens qu’ils consolident leur confiance dans l’État et soutiennent ses institutions ; et, de la part des leaderships politiques, qu’ils s’élèvent dans la gestion de leurs désaccords, que ce soit sur le plan formel ou sur celui du fond, à un niveau permettant au Liban d’affronter les difficultés politiques et économiques et de pouvoir satisfaire les impératifs de la vie nationale sans laquelle le Liban perdrait son essence même.
3 – Engagement à l’égard de la culture du dialogue qui respecte les divergences de points de vue, aussi radicales qu’elles soient, et vise à réaliser l’entente et le bien général. Le recours au dialogue doit être adopté comme base du règlement des grandes questions libanaises, à savoir notamment :
– L’adhésion du Liban à son pacte national, au document d’entente de Taëf et aux chartes arabes et internationales dans le cadre de la Ligue arabe et de l’ONU, de manière à lui éviter d’entrer directement ou indirectement dans les désaccords, les conflits et les axes régionaux et extérieurs.
– L’examen d’une stratégie nationale permettant à l’État libanais de défendre sa souveraineté, ses droits absolus et ses ressources naturelles sur terre et dans ses eaux territoriales.
4 – Renforcement de l’identité nationale sur les plans culturel, pédagogique, social et politique, consolidation des piliers de l’État et respect de sa Constitution et de ses lois. Cela doit permettre à l’État de remplir son rôle dans le traitement des problèmes sociaux qui poussent à l’émigration et à l’hémorragie des forces vives du pays et de réaliser l’égalité et la justice pour tous les Libanais. La justice est une valeur absolue et l’une des qualités de Dieu sans laquelle nulle société ne peut survivre et prospérer.
5 – Adopter le recours aux seules institutions constitutionnelles pour régler tout différend et compter uniquement sur l’armée libanaise et les forces de l’ordre légales pour veiller au maintien de la sécurité et de la stabilité et combattre le terrorisme et le crime organisé, en leur assurant les moyens de s’acquitter de ces tâches.
6 – Confirmer la souveraineté, la liberté et l’indépendance du Liban ainsi que le droit de l’État de libérer son territoire occupé par Israël. Tout en appréciant le rôle de la Finul qui œuvre au Liban-Sud en vertu de la résolution 1701 du Conseil de sécurité (les chefs spirituels) exhortent les Nations unies et la communauté internationale à faire pression sur Israël pour l’amener à mettre en œuvre les résolutions qui le somment de se retirer immédiatement et sans conditions de tout le territoire libanais et à respecter la souveraineté du Liban sur terre, en mer et dans les airs.
7 – Insister sur l’importance du règlement du conflit israélo-palestinien, clé de la paix, de la sécurité et de la stabilité, sur la base de la libération de tous les territoires arabes occupés. (Les chefs spirituels) exhortent l’ONU à satisfaire les droits du peuple palestinien, en particulier le droit au retour et celui d’édifier un État palestinien indépendant et reconnu comme patrie définitive de tous les Palestiniens, à l’intérieur comme à l’extérieur des territoires occupés. Cela est en conformité avec la volonté de l’ensemble des Libanais de rejeter l’implantation des Palestiniens sous toutes ses formes.
8 – Exhorter tous les Libanais, en particulier les jeunes, à rester attachés à leur terre et à leur patrie, les préservant de génération en génération, et à s’accrocher à leurs valeurs de foi et à celles de leur patrie et sa culture ouverte à la pluralité. Ils doivent s’éloigner des périls du formalisme et de l’extrémisme religieux qui fausse l’image de l’autre, favorise le repli sur soi et ébranle la culture nationale partagée, fondée sur l’idée que la vie ensemble est une valeur humaine élevée. (Les chefs spirituels) les appellent aussi à ne pas céder à la tentation de se renfermer à l’intérieur de groupes communautaires homogènes coupés les uns des autres car cela est de nature à briser les liens sociaux et arracher les racines de l’unité nationale. (Ils) invitent l’État libanais à encourager la croissance économique, assurer des opportunités d’emploi aux jeunes et désamorcer chez eux la peur de l’avenir.
D’autre part, les chefs spirituels ont exprimé leur très forte inquiétude et leur condamnation la plus sévère à l’égard des incidents confessionnels en Égypte et auparavant en Irak. Ces incidents ont touché de nombreux chrétiens et se sont traduits par d’odieuses agressions contre les églises. Leur position constante est que toute agression contre un lieu de culte ou contre n’importe lequel de nos symboles sacrés est une agression contre tous les lieux de culte et tous les symboles sacrés.
Enfin, le communiqué note que les chefs spirituels ont décidé de tenir des sommets cycliques et de lancer « une initiative spirituelle et nationale pour régler les désaccords politiques intérieurs ».
Le Conseil supérieur chiite (CSC) « pas concerné » par la teneur du texte
Quelques heures après la fin du sommet spirituel tenu à Bkerké, la présidence du Conseil supérieur chiite (CSC) a fait savoir, dans un communiqué, que ce dernier se désengage de la teneur du texte adopté par le sommet, surtout dans son sixième point qui ne reconnaît qu’à l’État libanais « le droit de libérer son territoire occupé ».
« Le vice-président du CSC a tenu à participer au sommet spirituel de Bkerké en raison de sa grande importance dans la consolidation des constantes nationales et de la coexistence entre Libanais », indique le communiqué du CSC.
« Il avait été convenu que le sommet devait apporter une confirmation de ces constantes sans porter sur les questions politiques litigieuses. Nous tenons à clarifier que la discussion qui s’est déroulée autour du projet de communiqué final a reflété le contraire de ce que nous souhaitions et qu’il y a eu une dérive en conflit avec ce dont nous étions convenus, surtout en ce qui concerne les points 6 et 7 », ajoute le CSC.
Pour ce qui est du sixième point, le CSC indique avoir « proposé la formulation suivante : le droit du Liban (et non de l’État libanais) à libérer son territoire, de sorte que cela puisse englober le peuple, l’armée et la résistance, d’autant que nous sommes toujours en présence d’un État incapable de se défendre et que certains continuent à promouvoir l’idée que le Liban tire sa force de sa faiblesse ».
Au sujet du septième point, le CSC affirme avoir suggéré de remplacer l’expression « conflit israélo-palestinien » par « israélo-arabe ». « L’amendement a été ajouté par politesse mais n’a pas été imprimé dans le texte officiel », précise-t-il.
« Nous avons pris part au sommet en pensant que le Comité du dialogue islamo-chrétien allait bien faire son travail et que le communiqué final allait être dépouillé de tout point sensible. Hélas, nous avons découvert que le texte préparé à l’avance était différent de celui qui a été distribué (au cours de la réunion) pour être discuté. C’est pourquoi nous nous considérons non concernés par la teneur de ce texte, surtout celle du sixième point », conclut le CSC.