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URGENCE GAZA

 Exigez avec nous la justice pour toutes les victimes et la protection sans condition des populations civiles

Nadia dans son appartement dans le Val-de-Marne, le 18 Octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

« Pendant un an, tous les jours, je relançais la préfecture » : la vie en suspens de Nadia, en France depuis 25 ans

Nadia est originaire de Côte d’Ivoire. Venue en France pour étudier, elle travaille comme auxiliaire de vie et élève seule sa fille de onze ans, Émilie. Après 25 ans en France, elle ne demande qu’une chose : un peu de stabilité. Mais les dysfonctionnements de l’administration la maintiennent dans la précarité. Derrière la fatigue, il y a la ténacité. Celle d’une femme qui ne renonce pas, avance avec la dignité de celles et ceux trop souvent invisibilisés. Elle a accepté de nous ouvrir les portes de son quotidien pour nous raconter sa vie, à la merci d’un papier.

Le récit de Nadia, recueilli en décembre 2024, fait partie des 27 témoignages de notre rapport « À la merci d'un papier ». Son histoire illustre les défaillances du système de carte de séjour en France et nous appelle à l’action pour des changements urgents.

Ma vie a basculé en 2022. J’avais soigneusement préparé mon dossier pour renouveler ma carte de séjour. Huit mois à l’avance ! On ne peut pas dire que je n’étais pas dans les temps. Avant, on pouvait aller à la préfecture déposer le dossier. Maintenant, tout est en ligne. J’ai reçu la confirmation de la préfecture. J’avais tout bien fait.  

Après ça, les mois ont défilé. La date d’expiration de la carte approchait dangereusement. Pendant un an et demi, tous les jours, j'ai relancé la préfecture ! Je me présentais au guichet. Ils me connaissaient tous là-bas, mais ils ont fini par ne plus me laisser rentrer.

Sur le trajet de Nadia, qui relie son appartement à celui d’une des personnes âgées qu’elle visite quotidiennement en tant qu'aide à domicile, Val-de-Marne, le 18 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

Les semaines ont passé, puis les mois. Et rien. La date d’expiration de mon récépissé est arrivée, et je n’avais toujours pas reçu la nouvelle carte. Silence de la préfecture.  

Sans titre de séjour, j’ai perdu mon emploi d’auxiliaire de vie. Du jour au lendemain, je n’avais plus de ressources. Je n’avais plus de quoi habiller ma fille, la nourrir. Je ne pouvais pas payer le loyer. Je craignais d’être expulsée de mon appartement. Je ne m’en sortais pas. Ma fille ne recevait plus que des vêtements des associations. Vous savez comment ça peut se passer à l’école, c’est un peu brutal. Moi, je portais mon uniforme, on ne savait pas si j’étais riche ou pauvre. Mais les enfants, ils le remarquent... ça l’a beaucoup perturbée. On dépendait des associations.

La préfecture a fait de moi une assistée. C’est inhumain ce qu’ils font. En plus, les gens parlent mal. Quand j’ai déposé ma demande de renouvellement, la dame au guichet m’a dit : « J’en ai marre des parents d’enfants français qui viennent parce que sous prétexte d’enfants français, on va leur donner des titres de séjour.» Mais moi, je travaillais en France ! Et depuis longtemps.

Nadia effectue plusieurs fois par semaine la toilette et les soins de Madame S. Elle l’aide aussi parfois à obtenir ses rendez-vous médicaux ou à régler des problèmes administratifs, Val-de-Marne, le 18 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

La France, je la connaissais déjà un peu avant de venir. Mon oncle travaillait dans les cuisines du Président Chirac. Mais ce n’était pas le pays que j’imaginais. Avant d’arriver en France j’ai passé un BEP secrétariat, trois ans d’études. Je vivais en Suisse avec ma tante. À cette époque, elle travaillait à l’ambassade de Côte d’Ivoire et moi, je faisais des allers-retours en France pour suivre ma formation. Ma tante est repartie en Côte d’Ivoire. Mais la guerre avait éclaté, et je ne pouvais pas la suivre.  

À la fin de mon BEP, il fallait choisir : rester en Suisse, ou aller en France ? J’ai choisi la France. Je connaissais la langue, la culture, j’y avait étudié et mes frères vivaient là-bas. J’ai enchaîné les petits boulots. Je n’avais pas une situation facile : je tentais de demander l’asile, mais c’était long. Les premières années j’ai vécu sans papiers. Je travaillais chez des particuliers. Puis j’ai rencontré le père de mon enfant. C'était une petite fille : Émilie. Elle est née en avril 2014. 

Nadia avec sa fille Émilie, qu'elle élève seule, Val-de-Marne, le 18 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

Cette même année j’ai reçu mon premier titre de séjour, d'un an seulement. C’était la première fois depuis mon arrivée en France que j’obtenais une carte de séjour. Quel soulagement ça a été  ! Je pouvais enfin vivre librement sans avoir peur de me déplacer et j’allais pouvoir travailler officiellement. Je me suis inscrite rapidement dans une formation d’auxiliaire de vie. À cause de la pénurie dans ce secteur, j’ai rapidement pu trouver un emploi. Mais très vite, ça a été la désillusion : on ne m’envoyait pas m’occuper de personnes âgées, on m’envoyait être la bonne à tout faire.  

Quand je disais aux personnes de ma hiérarchie que je n’étais pas d’accord pour faire certaines missions, elles s’en fichaient. Elles savaient que j’étais dans le besoin. Mes collègues françaises pouvaient refuser des missions, moi, non. Quand je sortais de là, j’étais complétement cassée. Mais je n’avais pas d’autres choix que d’accepter. Lors d’une mission, un monsieur m’a même demandé des "services”. Je l’ai immédiatement signalé. Deux semaines après, ils m’ont quand même proposé de retourner là-bas ! 

Malgré toutes les difficultés, j’ai persisté. Je continuais de travailler pour payer mon loyer et élever ma petite fille. Je n’ai fait qu’enchaîner les titres de séjour : un an, puis encore un an, puis deux ans, puis un.

Nadia conserve précieusement depuis 12 ans, ses preuves de présence sur le territoire français (bulletins de paie, contrat de travail, relevés de compte, diplômes, certificats émanant de l’OFII…), Val-de-Marne, le 18 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

Puis, le jour où ma carte n’a pas été renouvelée, tout s’est arrêté. Les dettes se sont accumulées : loyer, électricité, téléphone, eau… 11 000 euros pour le logement, 1 000 pour l’électricité. Je n’avais plus rien, à part mes amis. J’avais des économies mais quand on m’a tout retiré, j’ai dû puiser dans le compte de ma fille pour qu’on ne soit pas à la rue. On me menaçait de me couper l’électricité en période hivernale. J’ai contacté des associations, j’ai écrit au maire, j’ai toqué partout. C’est seulement quand je suis allée à la CIMADE, avec mon avocate, que les choses ont un peu bougé. J’ai obtenu un récépissé de trois mois. Mais très vite, le récépissé à encore expiré, un cycle sans fin. 

En tout, j’ai passé plus de deux ans dans l’irrégularité, faute de réponse de l’administration.

Avec les titres de séjours courts, comment construire quelque chose de stable ? Avec un titre d’un an, tu payes chaque année un timbre de 225 euros. J’ai l’impression de payer pour recevoir des coups. On me fait sentir que je suis assistée alors que je me débrouille seule depuis toujours. J'étais loin d’avoir un train de vie luxueux avec ma fille, mais il y avait quand même des petites choses que je pouvais lui offrir. On s’en sortait. Là, on nous a tout coupé.

Tout ce que je demande c’est d’avoir un titre de séjour stable pour pouvoir continuer de travailler. Si j’avais une carte de séjour plus longue, ça me permettrait d’avancer, de changer d’emploi. Et surtout, une carte plus longue, ça me permettrait d’assurer une vie normale à ma fille. C’est tout ce que je veux : vivre dignement, avec une petite sortie au cinéma dans le mois, comme avant. Ma fille a aujourd’hui 10 ans. Je ne sais plus comment lui expliquer la situation. Elle voit que je suis angoissée et me répète souvent : « Ça va aller Maman ». Elle me rend fière. Elle sait déjà ce qu’elle veut faire quand elle sera plus grande. Elle veut devenir avocate, pour aider les étrangers avec leurs papiers.  

À travers l’objectif : quatre vies en suspens 

Sur les 27 personnes qui ont témoigné dans notre rapport « À la merci d’un papier », beaucoup nous ont confié leur récit comme on dépose un fardeau, avant de reprendre leur vie morcelée.

Lire : Comment la France fabrique la précarité des travailleur·es étranger·es

Quatre d’entre elles, dont Nadia, nous ont accordé un peu plus de temps. Elles ont accepté d’ouvrir leur porte à un photographe, Camille Millerand, qui les a suivies dans leur quotidien.

Découvrez les autres témoignages ici ⬇️

Nadia et sa fille Emilie, Val-de-Marne, le 18 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France

Aujourd’hui, Nadia est toujours auxiliaire de vie, avec un titre de séjour court de deux ans malgré ses 23 années passées en France. Le métier l’épuise, mais la précarité l’oblige à tenir. Elle aspire à changer de voie, Nadia a un BEP en secrétariat. Malgré l’incertitude permanente, elle reste droite, lumineuse et combative. Jusqu’au prochain renouvellement, elle continue d’avancer, tête haute, avec l’espoir d’une vie enfin stable. Pour elle et pour sa fille.

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