Une nouveauté sur le site !
Cette brève est la première d’une nouvelle rubrique « Chronique ». A côté d’articles d’actualité, nous avons souhaité publier régulièrement des chroniques provenant de correspondants au Moyen-Orient avec lesquels notre réseau est désormais en contact, contribuant ainsi à alimenter une réflexion de fond avec un autre regard.
CHRONIQUE – Brèves du Moyen-Orient par l’Observatoire Géostratégique Proche & Moyen-Orient
EN BREF…
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1) Les médias parisiens reprennent en cœur la terminologie des Forces Libanaises (FL): les explosions ont frappé « un fief » du Hezbollah ! Comme chacun sait, la banlieue sud de Beyrouth abrite majoritairement des populations chi’ites, mais le quartier de Aïn el-Séké est considéré comme une zone à dominante « Amal », le parti de Nabih Berri, président de la chambre des députés libanais. Des nombreux Sunnites vivent aussi dans ce quartier. Mais, il ne suffit pas d’apercevoir un drapeau du Hezbollah pendre à un balcon ou quelques portraits des imams Moussa Sadr ou Khomeini pour décréter que ce secteur constitue un « fief » du Hezbollah. Si nos spécialistes parisiens avaient attendu un peu et pris connaissance du texte de revendication publié par l’organisation « Etat islamique », deux heures après les explosions, ils auraient pu constater que contrairement à son habitude, Dae’ch y révèle le nom des kamikazes qui sont d’origine palestinienne. Par conséquent et au-delà de l’aspect revanchard faisant suite aux derniers revers jihadistes subis en Syrie, l’objectif de cet attentat – commis à proximité du mythique camp palestinien de Bourg al-Barajneh -, vise certainement à susciter un affrontement entre les réfugiés palestiniens et la population majoritairement chi’ite de la Banlieue sud de Beyrouth. A la marge, les initiateurs de cette tuerie, cherchaient sans doute aussi à relancer la tension toujours latente entre militants d’Amal et partisans du Hezbollah… Plus en amont, cet attentat meurtrier exprime une inquiétude autrement plus préoccupante : plus l’armée gouvernementale syrienne reprend le contrôle de son territoire national, plus le risque augmente de voir les factions terroristes engagées en Syrie se replier vers le Liban voisin pour y multiplier des fronts secondaires et autant de sanctuaires. Ces différents groupes jihadistes (déjà implantés à Tripoli et Ersal, point de passage entre la Bekaa et le Jurd du Qalamoun), bénéficient déjà de la complicité active de plusieurs responsables politiques libanais.
2) Après les attentats de Paris, un premier constat doit ramener à la dimension géopolitique de l’événement : Paris n’est pas le centre du monde… Cette nouvelle tragédie intervient après celles de Beyrouth, qui a fait une cinquantaine de victimes le 12 novembre dernier et de Bagdad, le 13 novembre, causant la mort de 18 personnes. Quelques jours auparavant, le crash d’un avion russe dans le Sinaï, vraisemblablement causé par une valise piégée et, également revendiqué par Dae’ch, a tué l’ensemble des 224 personnes à bord, tandis qu’à Gaza et en Cisjordanie de jeunes Palestiniens tombent quotidiennement sous les balles de la soldatesque israélienne. L’existence même, territoriale, financière, sinon institutionnelle de Dae’ch n’est pas un fait acquis. Malgré les atermoiements et l’inefficacité d’une Coalition internationale anti-terroriste – qui a plus gesticulé et communiqué qu’effectué de véritables opérations éradicatrices -, l’état des forces de Dae’ch sur le terrain ne peut s’inscrire dans la durée. Rappelons nous l’évolution qu’a connue Al-Qaïda : dès lors qu’elle était réellement menacée par les forces américaines dans ses sanctuaires afghano-pakistanais en novembre 2001, la nébuleuse Ben Laden s’est largement délocalisée, décentralisée et redéployée avant de se remettre à frapper l’ « ennemi lointain » dans plusieurs pays européens. Avec la montée en puissance de l’engagement militaire russe en Syrie, Dae’ch est désormais confronté à la même évolution, subissant nombre de revers signant le début de la fin de son existence territoriale en Syrie, ainsi qu’en Irak. Partant de là, il n’est pas très étonnant de voir ainsi Dae’ch multiplier des attentats spectaculaires au Liban, en Irak, en Egypte et à Paris, destinés à montrer à l’opinion internationale qu’il conserve intact sa capacité de nuisance et d’initiative.
3) Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE (2000 – 2002) nous dit à propos des « failles » des services de renseignement : « est-ce qu’on parle de failles chez les sapeurs-pompiers ou la police quand il y a un incendie criminel dans une forêt ? Plus sérieusement, je pense qu’au départ, regrouper la DST et les RG pour former la DCRI [créée en 2008, et devenue DGSI en 2014 – ndlr] était une bonne idée. On pouvait théoriquement disposer de capacités de renseignement et de police judiciaire, avec un bon maillage du territoire, notamment dans les quartiers à problèmes ». Il faut souligner – ici – que c’est justement grâce au travail des services notamment, que l’enquête après les attentats de Paris et Saint-Denis a été si rapide et efficace : 128 personnes interpellées et plus d’une centaine de perquisitions. Le travail se poursuit mais pas forcément devant les caméras de BFM… Le problème est ailleurs et renvoie à des dysfonctionnements, sinon des responsabilités politiques indémêlables dès lors qu’on bascule dans l’inflation d’une rhétorique guerrière qui mélange tout.
4) Un autre de nos grands espions – Bernard Squarcini -, créateur et directeur de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) du 2 juillet 2008 au 30 mai 2012, nous propose cette analyse : « je sais qu’entre les renseignements intérieurs français et belge, les relations sont étroites. Mais je m’interroge : quel a été le travail de la DGSE sur les filières syriennes composées de Français en Europe? Certains acteurs français du renseignement ne l’ont pas encore compris : il n’y a plus de différence aujourd’hui entre la menace intérieure et celle qui vient de l’extérieur. Il faut impérativement renforcer la coopération entre ces deux services. Il y a plusieurs mois, nous avions identifié le formateur de Mohamed Merah qui avait séjourné en Belgique. Nous savions qu’il formait tous les commandos européens et nous avions demandé à la DGSE de le “neutraliser” mais rien n’a été fait… Heureusement, il a finalement été “droné” par les Américains, mais bien après ».
Observatoire Géostratégique
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