Mgr Henri Teissier était l’archevêque d’Alger pendant la décennie noire : à l’exception de Mgr Claverie, évêque d’Oran, tous les religieux et religieuses assassinés appartenaient à son diocèse.
Il est à l’origine de l’ouverture de leur cause en béatification en 2007 et se réjouit que leur témoignage soit aujourd’hui mis en valeur par l’Église universelle.
– Archevêque émérite d’Alger, vous êtes à l’origine de l’ouverture de cette cause en béatification des religieux et religieuses d’Algérie assassinés entre 1994 et 1996. Comment accueillez-vous son aboutissement aujourd’hui ?
– Mgr Henri Teissier : Je suis satisfait bien sûr que la générosité de « Mgr Pierre Claverie et ses compagnons » soit ainsi reconnue, ainsi que leur fidélité à une mission, celle de vivre comme chrétiens proches d’une communauté musulmane.
Il nous reste toutefois une difficulté à dépasser : celle d’aider nos amis algériens et musulmans à comprendre que derrière ces 19 martyrs, ce sont toutes les victimes de la violence que nous voulons saisir. Il n’est pas question pour nous d’opposer une violence qui nous a été faite à celle qui a frappé toute la société. Si nous nous occupons de reconnaître le témoignage de vie des nôtres, c’est parce que nous en avons la responsabilité. Cela ne nie en rien la fidélité, le travail et le courage de tous ceux qui ont payé le même prix.
Nous nous sentons proches, notamment, de ces 99 imams assassinés parce qu’ils n’ont pas voulu reconnaître la légitimité de ces groupes violents. J’espère que l’Église parviendra à faire entendre ce message.
– Quand avez-vous décidé d’ouvrir une cause en béatification et pourquoi ?
– Mgr Henri Teissier : La première fois que nous en avons parlé avec les familles et les congrégations des religieux et religieuses assassinés en Algérie, c’était le 1er mai 2000, alors que nous étions environ 90 en pèlerinage à Rome. Nous avons assisté à la célébration présidée par Jean-Paul II au Colisée pour les martyrs du XXe siècle, à l’issue de laquelle il a mentionné les moines de Tibhirine.
L’idée, alors, ne faisait pas fait l’unanimité. Certaines congrégations – comme celle des Pères blancs – déploraient d’autres décès dans d’autres pays, au Congo ou au Rwanda notamment, et ne voyaient pas pourquoi mettre en avant ceux d’Algérie. D’autres, comme les Petites sœurs du Sacré-Cœur considèrent qu’il n’est pas dans leur vocation de se mettre « à la première place ». Enfin, certaines familles étaient plus préoccupées par la recherche de la vérité sur les assassinats que par la reconnaissance de l’exemplarité de ces vies.
Il nous a fallu plusieurs années pour faire l’unité entre nous pour décider d’ouvrir cette cause en béatification. Nous étions d’accord, en tout cas, pour les réunir tous les 19 dans cette demande, de ne pas les séparer par congrégation. Il nous a fallu encore rassembler des documents et des témoignages : ce n’est donc qu’en 2007 que la cause a été officiellement ouverte.
Nous avons bénéficié de l’aide et de l’engagement du frère Jean-Marie Bigotto, mariste, pendant la phase diocésaine qui s’est achevée en 2012, date à laquelle le frère Thomas Georgeon, trappiste, a été nommé postulateur. Comme historien, le frère Jean-Jacques Pérennès, dominicain, nous a beaucoup aidés aussi à mettre au clair le message de chacun et chacune de ces religieux et religieuses.
– Comment expliquez-vous la rapidité avec laquelle le procès en béatification a abouti ? Pourquoi les proposer en modèles aujourd’hui ?
– Mgr Henri Teissier : Personnellement, et parce que j’y travaille depuis 2000, je ne suis pas frappé par cette rapidité. Je suis convaincu, en revanche, que la générosité et la fidélité de ces religieux et religieuses sont extraordinairement actuelles. Leur témoignage est d’une grande actualité pour notre siècle ! Il est bon que l’Église le reçoive et décide de le présenter au monde sans attendre qu’il appartienne au passé.
Nous avons déjà eu souvent l’occasion de voir à quel point leur message est reçu par toutes sortes de gens. Le film Des hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois, a fait connaître les moines de Tibhirine dans de nombreux pays. Et la pièce Pierre et Mohamed, du fr. Adrien Candiard, qui met en scène Pierre Claverie et son ami Mohamed Bouchikhi, en est à sa millième représentation. De nombreux ouvrages ont déjà été publiés, d’autres devraient l’être. Nous avons encore beaucoup à apprendre d’eux.