Visages du Liban: l’émigration des jeunes, une nouvelle génération de jeunes chrétiens et la Bibliothèque Orientale de Beyrouth (blog de Luc Balbont).

Du blog de Luc Balbont sur le site de l’Œuvre d’Orient nous reprenons des visages du Liban,  entre désespoir et espoir, de ce pays dont les maux semblent sans fin mais dont les ressources sont immenses. Luc Balbont est administrateur de CDM.

RECONSTRUIRE LE PROCHE-ORIENT ! MAIS AVEC QUI ?

Photo : blog de Luc Balbont

C’est mon ami et confrère Fady Noun qui m’a envoyé ces photos (1). Il les prises les 4 août 2021, lors de la commémoration du premier anniversaire de l’explosion du port de Beyrouth et des quartiers environnants : plus de 200 morts, 6500 blessés au moins, et des centaines de maisons et d’immeubles détruits.

Sur ces clichés on voit trois femmes, le regard triste, qui tiennent sur leurs genoux ou sur leurs poitrines des portraits de leurs parents, de leurs époux, de leurs enfants disparus dans la catastrophe du 4 août 2020…

Une année plus tard, les familles attendent toujours des explications sur les raisons de ce cataclysme. Non seulement la classe politique se défile, mais ses leaders entravent la progression de l’enquête, se protégeant des implications dont ils sont accusés, derrière une armée de juristes à leurs ordres.

Si j’ai choisi pour la 124ème chronique de ce blog de montrer la détresse de ces femmes, c’est qu’elle symbolise tous les fléaux qui frappent l’Orient arabe aujourd’hui : guerres civiles, extrémismes religieux, pauvretés croissantes, etc…

Mais la plus grande tragédie de ces pays du Proche-Orient reste l’émigration de la jeunesse. De plus en plus de jeunes, filles et garçons éduqués, formés, créatifs, ne supportent plus de vivre sous la botte de chefs corrompus, qui ne leur laissent aucun espoir d’avenir. Ils quittent donc leur terre natale pour aller enrichir l’Occident de leur savoir-faire : un drame authentique pour ces pays.

Que restera-t-il en Orient dans les années qui viennent : des populations vieillissantes et des dirigeants corrompus ?

Est-ce ainsi que l’Égypte, le Liban, la Palestine, la Syrie, l’Irak ou l’Iran… pourront se reconstruire ?

Luc BALBONT

(1) Ndlr. Une seule est reproduite ici.

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La nouvelle génération des chrétiens du Liban

Photo : blog de Luc Balbont

Aussi sans l’exprimer vraiment, [Majd] porte-t-il sur ses aînés, qui ont pris les armes, et tué pour certains au nom de Dieu, un regard distant : “C’était leur histoire, une autre époque. Je ne peux pas juger, explique-t-il.

Comme Majd, une grande majorité de jeunes Libanais ne s’engagent plus dans les partis politiques traditionnels dirigés par les mêmes clans familiaux qui, de père en fils, se partagent les richesses du pays, anciens chefs de milice pour la plupart, devenus au lendemain du conflit des leaders respectables, députés ou ministres.

Le combat de Majd, étudiant au CNAM libanais (Conservatoire national des arts et métiers) se situe ailleurs. Guide officiel de la réserve naturelle de Bentael, proche de sa ville natale. Il a fondé en 2015, avec des amis fondus d’écologie le groupe “HighKings”, dérivé de l’anglais hiking ou randonnée, avec pour objectif de faire découvrir et aimer les beautés du Liban à des jeunes venant de tous les horizons. “Chaque année, régulièrement, nous organisons des camps en pleine nature pour conscientiser notre génération sur la préservation de l’environnement.

Le bouche à oreille fonctionne, “HighKings” en deux années d’existence s’est taillé une  réputation non négligeable. Majd évoque volontiers le souvenir du camp de Faqra, qui a marqué l’histoire du groupe par la qualité de ses échanges. Lors du dernier rendez-vous, à Chahtoul dans la province du Kesrouan (région de Jounieh), ils étaient plus de 250 jeunes, de toutes origines et de toutes confessions – chrétiens, musulmans, incroyants – à se retrouver.  Parallèlement, “HighKings” dispense des cours d’initiations au développement durable, en organisant des activités de protection comme le ramassage et le tri des déchets. “Nous allons aussi dans les écoles, poursuit Majd, et dans des associations à la rencontre d’enfants syriens réfugiés.

Majd se réjouit de voir des jeunes d’autres religions rejoindre son groupe. “Contrairement à la politique, la nature fédère, rassemble et unifie.” Pour le garçon, qui se définit comme un chrétien engagé, le spectacle de la nature est un don divin, une invitation à la prière universelle.

Majd et ses amis incarnent l’image de cette jeunesse chrétienne libanaise d’aujourd’hui, moins docile et plus exigeante à l’égard de la hiérarchie religieuse. Des jeunes de ce nouveau Liban né au lendemain du “Printemps libanais” de 2005, premier acte des révolutions qui ont embrasé les pays arabes en 2011. Une génération qui ne retombera plus dans les erreurs du passé.

À l’image de HighKings, des associations naissent au Liban, et les débats fleurissent. Une société civile, espoir pour le monde arabe, est en train de voir le jour. Il serait temps que notre Occident s’en rende compte.

LB

Sur Facebook : HighKings961

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BIBLIOTHÈQUE ORIENTALE DE BEYROUTH : UNE AUTRE IMAGE DU LIBAN

LE GÉNIE DES JÉSUITES

 

 

 

 

 

 

 

Suite à une commande d’article à paraitre dans le prochain numéro du Monde de la Bible, je viens de découvrir toute la richesse patrimoniale de la Bibliothèque Orientale de Beyrouth. Constatant qu’à force de décrire le Liban, particulièrement durant ces derniers mois, comme un pays perdu, un espace de guerre clanique, de crise et de corruptions, on oublie qu’il est aussi un pays de culture et de créations, inventif, universel et talentueux, qui  joue un rôle capital dans l’histoire du Proche-Orient. Passage obligé des orientalistes, la bibliothèque orientale de Beyrouth, la B.O.B, est là pour le rappeler.

Entre ses murs, les livres, les manuscrits, les photos, et les correspondances retracent six siècles de la vie du Proche-Orient. Derrière la bibliothèque du Centre d’études Alexandrines, en Égypte et celles des Instituts français du Proche-Orient à Beyrouth, Damas et Amman, elle est considérée comme la troisième bibliothèque de l’Orient arabe. La  réputation des jésuites liée à l’étude et à la réflexion lui donne un fort crédit à l’étranger.

Lorsqu’ils fondent l’Université Saint-Joseph à Beyrouth en 1875, les jésuites entreposent leurs livres et leurs documents à Ghazir, dans la banlieue nord de la capitale libanaise, avant d’en transférer temporairement une partie à Beyrouth.

Il faut attendre le milieu des années 1930, pour que la gouvernance de la Compagnie décide de faire construire une bibliothèque, en centre-ville, dans le  quartier chrétien d’Achrafieh. Un superbe bâtiment, œuvre de Rogatien de Cidrac, un architecte-voyageur  passionné par l’Orient arabe. Ainsi nait la Bibliothèque Orientale de Beyrouth, la B.O.B, inaugurée en 1937, sous le mandat français.

 

 

 

UN PATRIMOINE UNIQUE

 

 

Ouverte au public depuis quatre-vingt-quatre ans, la B.O.B compte aujourd’hui 225 000 livres, en arabe, en français, en anglais, en italien, en arménien; 2000  périodiques et revues, dont des journaux remontant à la seconde moitié du XIXe siècle; 3500 manuscrits en syriaque, en grec, en latin, en persan, en turc et en hébreu,  à 90% microfilmés; 2400 cartes de géographie, et une photothèque riche de plus de 200 000 photos. Y sont traités l’archéologie, les religions, la philosophie, l’art, la littérature: toute l’histoire du Moyen-Orient de la préhistoire jusqu’à aujourd’hui: un patrimoine unique, dont les plus anciens documents remontent au XVe siècle.

UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE  

Depuis son inauguration, la B.O.B a traversé bien des vicissitudes : guerre civile, occupations diverses, crise économique  abyssale depuis 2019, et pour couronner le bilan, la catastrophe du 4 août 2020, lorsqu’une gigantesque explosion ravage le port de Beyrouth et les quartiers environnants. Au final, plus de 200 morts, 6500 blessés et des centaines de maisons détruites. Située non loin du port, la Bibliothèque orientale est touchée.

Par miracle les collections sont préservées : ouvrages rares, manuscrits anciens, photos témoins de l’histoire du pays. Mais les dégâts matériels sont considérables. Outre le gros œuvre à rebâtir, il faut racheter tous les accessoires (ordinateurs, photocopieuses, cameras vidéo …)   La note est évaluée à 500.000 euros. En faillite totale, l’Etat libanais ne peut pas assumer, reste l’étranger, et notamment l’Association des Amis de la Bibliothèque orientale de Beyrouth, l’AABOB, créée en 2006 à Paris.

 

 

Présidente de l’AABOB de 2013 à 2019, l’écrivaine franco-libanaise Carole Dagher n’a jamais oublié ce qu’elle devait à ce joyau. Durant ses deux mandats successifs, la romancière a pleinement rempli les objectifs de l’association : faire connaitre la BOB dans le monde francophone en organisant autour de son histoire diverses manifestations (colloques, conférences, expositions) ; et maintenir des liens étroits avec la France, matrice de l’Université Saint Joseph et de la bibliothèque. Si elle a passé la main en 2020, confiant la présidence à l’orientaliste Chantal Verdeil, elle est restée dans le Conseil d’administration, prête à relever ce nouveau défi…

… La réouverture de la Bibliothèque Orientale  de Beyrouth est prévue pour le premier trimestre 2022.

Luc Balbont

Cet article plus développé, avec une interview de Madame Micheline Bittar, l’actuelle directrice de la B.O.B, paraitra dans le prochain numéro du Monde de la Bible, revue du groupe Bayard-Presse.

Site internet : www.bo.usj.edu.lb

Contact : “Association des amis de la Bibliothèque Orientale de Beyrouth” aabobsecretairegenerale@gmail.com

Source, https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/

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