Témoignage de Christiane Gillmann.
Stéphane Hessel, président d’honneur du Tribunal Russel sur la Palestine (TRP) en a ouvert la première session (3 autres sessions sont prévues, à Londres à la fin de l’année, puis en Afrique du Sud en 2011 et enfin à New-York) ces 1er, 2 et 3 mars, à la Maison des Avocats du barreau de Barcelone.
Plus de 200 personnes y assistaient : quelques journalistes et surtout des représentants des associations participant aux comités nationaux d’appui (CNA), tel l’auteure de ces lignes qui fait partie, au nom du réseau Chrétiens de la Méditerranée, du comité français d’appui au TRP ; les membres des comités nationaux d’appui de 8 autres pays européens (de l’Allemagne à la Suisse, en passant par l’Irlande et le Portugal) avaient fait le déplacement.
Le jugement qui a été rendu – qu’on appelle « conclusions », comme pour souligner que le TRP est un tribunal d’opinion et non une véritable juridiction – figure sur le site russelltribunalonpalestine ; il suffit de cliquer sur Barcelona session findings pour obtenir la version française. Il s’agit là de 21 pages dont la lecture est tout sauf rébarbative, notamment celle de la première partie qui rappelle le contexte dans lequel s’est créé le TRP et la procédure qui a précédé les audiences des 1er, 2 et 3 mars.
Le contexte est constitué de 2 moments forts. Le 20 juillet 2005, l‘Assemblée Générale des Nations-Unies adopte une résolution (avec, entre autres, les voix des 27 pays que comprenait alors l’Union Européenne) qui entérine un avis rendu 11 jours plus tôt par la Cour Internationale de Justice, un avis qui a déclaré illégaux au regard de la 4ème convention de Genève, la construction par Israël dans les territoires palestiniens occupés, au profit de ses citoyens, de colonies et de murs qui les entourent. Aucune suite n’ayant été donnée à ces 2 décisions de l’ONU, Israël s’est cru autorisé d’abord à infliger un blocus impitoyable à la malheureuse bande de Gaza, puis à la bombarder sauvagement, 3 semaines durant, par air, mer et terre, fin 2008/début 2009. L’idée a alors commencé à faire son chemin, ici et là, de créer un tribunal d’opinion qui s’inspire de celui qui avait été fondé en 1966 par lord Bertrand Russel, prix Nobel de littérature, et qui s’était penché, sous la direction de Jean-Paul Sartre, sur les crimes de guerre commis au Vietnam par les militaires américains ; de 1974 à 1976, la Fondation Lelio Basso avait organisé un Tribunal Russel II qui s’était occupé des exactions des dictatures latino-américaines. Un comité international s’est constitué à cet effet autour de personnalités de 40 pays, notamment plusieurs prix Nobel, un ancien secrétaire-général des Nations-Unies, 2 anciens chefs d’Etat, des écrivains, des réalisateurs, des magistrats, des avocats. Et un Tribunal Russel III a vu le jour, avec l’accord et le concours de la Fondation Bertrand Russel. Son secrétaire général, Ken Coats, a rejoint le comité organisateur international (COI) de ce nouveau tribunal d’opinion, au côté notamment de Stéphane Hessel, de François Maspéro et Marcel-Francis Kahn qui avaient participé aux précédents Tribunal Russel, de Pierre Galand, président de la Coordination européenne des comités de solidarité avec la Palestine, de Bernard Ravenel, président de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine.
Etant donné que bien des comportements d’Israël à l’égard des Palestiniens ont été qualifiés de violations du droit international par les instances des Nations-Unies que sont le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et la Cour internationale de justice, le COI du nouveau tribunal d’opinion a décidé que la première session examinerait la question de savoir si les relations de l’Union européenne et de ses Etats membres avec Israël ne sont pas elles-mêmes illicites au sens du droit international.
La question serait traitée sous 6 angles :
– Le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même ;
– Les colonies de peuplement et le pillage des ressources ;
– Le blocus de Gaza et l’opération « plomb durci » ;
– La construction du Mur dans le territoire palestinien ;
– L’accord d’association Union européenne/Israël.
Le COI a chargé des experts ayant une connaissance factuelle de la situation et des juristes (professeurs de droit et avocats) renommés, de se pencher sur ces 6 thèmes. Et il a invité 9 d’entre eux à faire le déplacement de Barcelone, pour déposer à la barre du tribunal. Parmi les plus convaincants, François Dubuisson, professeur de Droit à l’Université libre de Bruxelles, et Michaël Sfard , jeune avocat israélien qui défend les villageois de Cisjordanie dans leur résistance non-violente à la construction du Mur et à l’extension de colonies israéliennes sur leurs terres.
Se sont également relayés à la barre 9 témoins que le COI avait aussi invités. Parmi eux, deux députés européens qui se battent sans relâche pour les droits des Palestiniens, en prenant souvent la tête de délégations parlementaires sur place : Véronique de Keyser, belge et socialiste, et Francis Wurtz, communiste et français. Je voudrais citer Clare Short, parlementaire britannique et ancienne secrétaire d’Etat pour le développement international, et aussi Desmond Travers, colonel irlandais qui faisait partie de la mission mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies dans la bande de Gaza après l’opération «plomb durçi», sous la direction du juge Goldstone. Et aussi Meir Margalit, membre du conseil communal de Jérusalem, militant au Comité israélien contre les démolitions de maisons. Quant à Raji Sourani, avocat palestinien, président du Palestinian Committee for Human Rights et vice-président de la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme, il avait été empêché de quitter Gaza pour cause de blocus.
Je n’ai pas encore parlé des juges qui ont entendu, deux jours durant, toutes ces personnes remarquables, avant de prendre leur décision. Certains de ces juges sont célèbres, comme l’avocate française Gisèle Halimi, ou bien Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali. Si le juge chilien Guzman qui avait jadis inculpé Pinochet, avait eu un empêchement de dernière minute, en revanche avait pu venir Cynthia Mc Kinney, ancienne membre du Congrès américain et candidate verte aux élections présidentielles américaines de 2008. Siégeaient également l’Irlandaise Mairead Maguire, Prix Nobel de la Paix, un ancien magistrat de la Cour Suprême d’Espagne, Jose-Antonio Martin Pallin, un avocat londonien, Michael Mansfield, et Ronald Kasrils, un Sud-africain blanc (juif, comme il l’a précisé, quand nous avons conversé, voisins que nous avons été lors d’un trajet d‘autobus) militant historique de l’ANC et ministre du premier gouvernement de Nelson Mandela.
Un mot enfin du cadre où s’est tenue cette première session du Tribunal Russel sur la Palestine. L’ordre des Avocats de Barcelone avait prêté ses locaux, notamment la salle des fêtes où se sont déroulées les audiences et la conférence de presse qui les a clôturées. Sur les murs lambrissés de cette belle salle fin XIXème siècle, de grandes affiches posées ça et là montraient le noble visage aux cheveux blancs et la mince silhouette de Lord Bertrand Russel, à côté d’une citation du discours qu’il avait prononcé en inaugurant le tribunal international sur les crimes de guerre commis au Vietnam : « puisse ce tribunal prévenir le crime de silence… »
Le 3 avril 2010
Christiane Gillmann