Afin de tenter de comprendre l’évolution des termes de la recherche de la paix en Palestine, un regard élargi sur le contexte géopolitique de la région semble une étape obligée, bien qu’elle soit douloureuse et inquiétante car on n’y voit guère de signaux en faveur d’une résolution du conflit.
Qu’on en juge, en admettant notre insuffisance d’information, nos simplifications et notre droit à l’erreur…
L’événement charnière est la signature en septembre 2020 des accords dits d’Abraham liant les USA, les Emirats Arabes Unis (EAU) et Bahreïn : la reconnaissance d’Israël par ces pays est obtenue par les USA contre un renforcement de l’aide américaine notamment militaire, livraison envisagée d’avions F35 aux EAU. Cela a été une victoire pour la diplomatie de Trump et Netanyahou avant que ces deux dirigeants soient remplacés. Cela signifie l’établissement de relations diplomatiques et le développement des échanges économiques et touristiques, mais on peut penser que la logique première est le renforcement de la coopération militaire, afin de contrer la menace iranienne.
Ces accords, qui entérinent une tendance préexistante de développement des échanges, étaient présentés comme une solution à la paix au Proche Orient, d’où ce titre trompeur se référant à Abraham, mais tous les observateurs ont bien compris qu’ils entérinaient l’abandon de la cause palestinienne par les pays arabes, et que cela n’apportait donc pas de paix véritable en Palestine. Jusqu’à cette date ces pays conditionnaient la reconnaissance d’Israël à l’existence d’un accord juste pour la Palestine (résumé par le slogan : “La terre contre la paix”).
L’Arabie Saoudite n’a pas été signataire de ces accords suite à l’opposition du roi alors que le prince héritier Mohammed Bin Sultan dit MBS y semblait favorable. Mais on sait que les liens tendent à se resserrer avec Israël, sans accord officiel, en raison de la crainte de leur ennemi commun qu’est l’Iran. Les monarchies du golfe se sentent menacées par l’Iran dont l’influence s’exerce au Yémen, à Bahreïn, en Syrie, en Irak, et évidemment au Liban à travers le Hezbollah. Quant à Israël et aux USA leurs politiques (convergentes avec Trump mais plus différenciées avec Biden) sont dictées par la crainte de voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire.
Deux autres pays ont rejoint ce processus de reconnaissance d’Israël : le Maroc et le Soudan.
Dans le cas du Maroc le troc diplomatique est simple : la reconnaissance d’Israël est obtenue contre la reconnaissance américaine du droit du Maroc sur le Sahara occidental, évacuant les projets d’autonomie sahraouie. Il faut savoir que la revendication du Maroc sur ce territoire est l’objet d’un conflit avec les indépendantistes sahraouis (guerre entre 1975 et 1991, puis négociations sans résolution depuis une trentaine d’années), et est une des causes majeures de la tension avec l’Algérie voisine. Certains notent que ces accords confortent la réaction algérienne d’un rapprochement plus étroit avec Moscou, dans une tendance qui s’exprime aussi au Sahel pour le Mali.
Et pourtant les opinions publiques arabes traditionnellement sensibles à la cause palestinienne semblent très réticentes par rapport à ces accords, avec des taux d’approbation inférieurs à 10% dans la plupart des pays, à l’exception du Liban où ils seraient de l’ordre de 20%. (https://www.iemed.org/publication/acuerdos-de-abraham-perspectivas-regionales/?lang=fr)
Le Qatar, concurrent de ses voisins arabes, s’est démarqué de ces accords et paraît plus proche d’une ligne de soutien au Hamas à Gaza, en raison de sa solidarité avec les Frères musulmans. A noter que ces Frères musulmans sont l’objet d’une dure répression en Egypte de la part du régime actuel de Sissi qui de ce fait n’apprécie guère non plus le Hamas à Gaza. Paradoxalement le Hamas bénéficie de l’aide de l’Iran, bien que l’un soit sunnite et l’autre chiite : tout ceci suggère que les conflits régionaux sont bien de nature géopolitique (guerre d’influence et de domination entre puissances régionales) bien plus que de nature religieuse… On appelle cela l’instrumentalisation de la religion.
Il se trouve que ces pays signataires des accords d’Abraham sont aussi utilisateurs du logiciel espion Pegasus infiltré dans les téléphones portables, développé et vendu par une société israélienne, ce qui n’est peut-être pas un hasard. Ce logiciel très performant et discret a permis à ces pays comme à d’autres de surveiller leurs opposants ou des personnes influentes de pays tiers (la France en a fait les frais de la part du Maroc) sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Bien sûr on sait que divers dirigeants ou activistes palestiniens ont été victimes de cet espionnage par Israël.
On a coutume dans nos milieux de nous étonner qu’au niveau européen, il n’y ait pas de réaction claire et forte pour condamner la situation faite aux Palestiniens ou la colonisation dans les territoires occupés. Mais il suffit de considérer l’attitude française qui cherche à pénaliser les discours contre le sionisme en les assimilant à l’antisémitisme, l’attitude de la Hongrie qui trouve en Israël un allié dans l’énoncé d’un nationalisme étriqué, malgré des relents d’antisémitisme, ou l’embarras de l’Allemagne qui après la Shoah semble tétanisée pour faire pression sur d’Israël (Merkel a bien réaffirmé le besoin d’un État palestinien lors de sa dernière visite en octobre, des propos qu’elle a tenus depuis seize ans sans résultat). Les opinions publiques sont sans doute plus partagées et des signes critiques sont relevés (comme la référence à l’apartheid chez le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian) mais la tendance diplomatique paraît bien en faveur d’une acceptation de fait du statu quo, au-delà des froncements de sourcils.
On n’a pas évoqué le conflit syrien qui pèse naturellement sur la région. Là, l’Iran et la Russie ont pu sauver la dictature de Bachar El Assad par leur appui militaire. Mais contrairement à l’Iran, la Russie entretient de très bonnes relations avec Israël et on peut noter que le nouveau Premier Ministre Bennet a été bien accueilli à Moscou en octobre, comme l’était Netanyahou auparavant. Outre un appui historique au sionisme, le combat contre le terrorisme islamiste peut expliquer cette relation privilégiée.
De son côté la Turquie qui se rêve en puissance régionale entretient des relations tendues avec Israël, et soutient le Hamas à Gaza, se voulant le champion de la cause palestinienne (soutien réitéré à l’ONU en 2021). Mais les intérêts économiques semblent dicter malgré tout une stratégie de coopération, où les intérêts gaziers sont présents. La présence d’un important champ gazier au large d’Israël et du Liban est une nouvelle donne source de conflit entre ces deux pays dont les frontières maritimes n’ont encore jamais été balisées.
Inutile de dire que ces accords d’Abraham sont applaudis par les milieux d’affaires israéliens, même s’ils regrettent le refus palestinien du plan d’investissement colossal qui leur était proposé en échange du renoncement à leurs revendications. Le point de vue de Freddy Ellan du CAPE (Centre des Affaires publiques et de l’Etat à Jérusalem) résume sans doute bien le point de vue israélien : les Palestiniens “deviennent concrètement insignifiants dans le jugement des leaders arabes à l’égard de la normalisation avec l’Etat Juif. Et pourtant, Israël n’a cédé sur aucune de ses positions concernant le processus de paix avec l’autorité palestinienne, et ne s’est retiré d’aucune parcelle des ‘Territoires’. Elle a prouvé que les ‘implantations’ ne représentent pas un obstacle à la paix.” (https://jcpa-lecape.org/bilan-positif-des-accords-dabraham/)
Les éléments ci-dessus ne sont qu’une présentation simplifiée, voire simpliste, de la situation complexe du Proche Orient et des équilibres géopolitiques en transformation. Mais face au cynisme inévitable des relations internationales, on est en droit d’opposer une vision constante de recherche de la paix qui passe par la justice… C’est ce que nous essayons de faire à Chrétiens de la Méditerranée.
Xavier Godard
Administrateur de Chrétiens de la Méditerranée
Voir la visioconférence organisée le 1er juin 2021 par CDM, “Les Palestiniens, les récents accords arabo-israéliens et le droit international“. On peut voir, revoir ou télécharger ci-dessous l’intégralité de la visioconférence et les textes écrits des trois intervenants.
Autres sources
https://orientxxi.info/magazine/l-accord-abraham-contre-la-palestine,4093
https://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_Isra%C3%ABl_et_la_Russie