Projet de loi sur l’asile et l’immigration, lettre ouverte de 25 organisations interpellant la Première ministre.

Une actualité dramatique transparaît dans la série sur les migrations, thème actuel de la rubrique “Regards”. Elle est à la croisée d’intérêts politiques qui tendent à traiter de chiffres et à passer sous silence le fait que les migrants sont des personnes humaines, nos semblables. Chaque semaine de nouveaux développements apparaissent, auxquels il nous revient de faire face, la Méditerranée étant au carrefour des zones de passage de migrants venant de l’Orient et du Sud.

Nous reproduisons ici une lettre ouverte à la Première ministre, signée par 25 organismes, parmi lesquels plusieurs de nos partenaires (*). Elle répond à la demande de consultation du gouvernement auprès des associations humanitaires, avant la présentation d’un (nouveau) projet de Loi sur l’asile et l’immigration. Elle entend en particulier faire dépasser la perspective de stigmatisation des migrants, le point de vue purement sécuritaire et faire en sorte que les réfugiés eux-mêmes soient entendus.

(*) On la trouvera par exemple sur le site du CCFD-Terre Solidaire, https://ccfd-terresolidaire.org/projet-de-loi-asile-et-immigration-dans-une-lettre-ouverte-25-organisations-interpellent-la-premiere-ministre-mme-elisabeth-borne/

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Paris, le 4 novembre 2022 (mis à jour le 7),

Madame la Première ministre,

Le président de la République a récemment confirmé la perspective d’un nouveau projet de loi sur l’asile et l’immigration pour début 2023. Vous avez demandé au ministère de l’Intérieur d’organiser une concertation préalable avec différents représentants de partis politiques, partenaires sociaux, associations et acteurs de la société civile.

C’est dans ce contexte que nos associations s’adressent à vous pour porter à votre connaissance plusieurs points qui nous apparaissent essentiels.

Nous souhaitons, avant toute chose, vous signifier notre inquiétude face à un énième projet de loi sur ce sujet. En trente ans, plus de vingt textes se sont succédé (le dernier ne datant que de 2018), allant dans le sens continu d’une détérioration des conditions d’accueil et des droits des personnes exilées. Quel est le sens de la poursuite d’une telle inflation législative?

Nous voulons ensuite vous interpeller quant aux objectifs poursuivis par cette concertation et ce futur projet de loi, et vous signifier que nous ne saurions accepter une démarche fondée sur la stigmatisation et les raccourcis assimilant immigration et délinquance. Il nous semble à l’inverse que la question qui se pose aujourd’hui, dans un monde où, plus que jamais, les migrations constituent notre réalité commune, est celle de dessiner des politiques publiques fondées sur l’accueil et la solidarité, garantissant le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes exilées.

C’est pourquoi cette concertation ne saurait être pilotée par le seul ministère de l’Intérieur mais devrait être conduite dans un cadre interministériel. Nous estimons problématique que la politique migratoire ait été réduite, au fil des années, à une dimension strictement sécuritaire. C’est aussi le sens des conclusions de la commission d’enquête parlementaire pilotée par Sébastien Nadot et Sonia Krimi, dont le rapport a été rendu public le 10 novembre 2021. La question de l’entrée et de l’accueil des personnes étrangères en France ne peut relever du seul ministère de l’Intérieur et devrait impliquer bien d’autres dimensions comme l’habitat, la santé, la scolarisation, l’éducation, la formation, le travail, la protection des plus vulnérables.

Enfin, cette concertation doit nécessairement impliquer des associations et collectifs composés en majorité de personnes exilées. Les positionnements des associations de soutien aux personnes exilées – qu’elles soient opératrices en matière d’accueil ou non – sont connus car elles sont auditionnées à l’Assemblée nationale ou au Sénat et parfois reçues à haut niveau par des membres du pouvoir exécutif. Ces associations ont aussi accès à des plateaux de télévision et à la radio, et leurs tribunes sont publiées dans les médias. En revanche, les personnes directement concernées par les politiques migratoires sont souvent absentes de ces espaces de débat et ont du mal à se faire entendre. Elles doivent pouvoir prendre pleinement part à la construction des politiques publiques
qui les concernent en premier lieu.

Telles sont les considérations, essentielles à nos yeux, que nous vous demandons de prendre en compte.

Veuillez recevoir, Madame la Première ministre, l’expression de notre haute considération.

Signataires  :

  • Jean-Claude Samouiller, Président d’Amnesty International France
  • Alexandre Moreau, Président d’Anafé
  • Damien Carême, Co-président d’ANVITA
  • Aude Le Moullec Rieu, Présidente d’ARDHIS
  • Hélène Ramajo, présidente de Causons
  • Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente du CCFD–Terre solidaire
  • Henry Masson, Président de La Cimade
  • Valérie Fayard, Directrice générale par intérim d’Emmaüs France
  • Christophe Robert, Directeur général et porte-parole de la Fondation Abbé Pierre
  • Vanina Rochiccioli, co-Présidente du Groupe d’Information et de Soutien des Immigré·e·s
  • Philippe Dupourqué, Président de Groupe Accueil et Solidarité
  • Guillaume Rossignol, Directeur de JRS France
  • Noémie Marchyllie, co-Directrice de Kabubu
  • Patrick Baudouin, Président de la Ligue des Droits de l’Homme
  • Bruno Tesan, co-Fondateur de LTF
  • Bchira Ben Nia, Porte-parole de la Marche des Solidarités et de Coordination Sans Papiers 75
  • Dr Florence Rigal, Présidente de Médecins du Monde
  • Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France
  • Oriane Sebillotte, co-Présidente de Paris d’Exil
  • Agnès Antoine, co-Présidente de Tous migrants
  • Yann Manzi, Délégué général d’Utopia 56
  • Rudi Osman, Directeur de l’Union des étudiant.es exilé.es
  • Camila Rios Armas, Directrice d’UniR
  • Clémence Tondut, Présidente de Watizat
  • Flora Vidal Marron, Directrice de Weavers

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Tribune de François Héran sur l’immigration dans “Le Monde”

A propos de l’immigration, toujours, nous renvoyons à une importante tribune de François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, “Le débat public sur l’immigration en France est en décalage complet par rapport aux réalités de base”, parue dans le journal Le Monde du 10 novembre 2022 (p.27).

François Héran rappelle, chiffres à l’appui, à quel point l’immigration est limitée, bien en deçà de la place qu’elle occupe dans l’espace public français. Il insiste sur le fait que “de 2000 à 2020, selon les compilations de l’ONU, la part des immigrés dans la population mondiale a progressé de 62%. Sans surprise, cette lame de fond touche aussi le continent européen : +60%.”

Mais il souligne que “dans ce tableau,  la France occupe une position très inférieure à la moyenne : + 36 % d’immigrés en l’espace de vingt ans (avec ou sans l’outre-mer). Les immigrés représentent aujourd’hui chez nous 10,3 % de la population, selon l’Insee.”

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/08/francois-heran-l-impuissance-de-la-politique-migratoire-ne-tient-pas-au-manque-de-volonte-ou-de-moyens-mais-a-la-demesure-des-objectifs_6149039_3232.html (réservé aux abonnés).

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Nous ne sommes pas prêts pour le monde qui vient

Un éditorial de l’hebdomadaire La Vie, par Aymeric Christensen

Cet éditorial, signé de son directeur de la rédaction, Aymeric Christensen, a été publié le 15 novembre 2022. Il s’attache à montrer combien le monde de demain sera façonné par des migrations dont nous ne voyons que les premiers signes.  Il se réfère à l’épreuve actuelle des passagers de l’Ocean Viking, le navire de sauvetage en mer de SOS Méditerranée, aux victimes des gardes aux frontières dans l’enclave espagnole de Melilla en juin 2022, à la suite d’une enquête récente de la BBC, et aux enjeux de la COP 27 en Egypte, qui n’est pas à la hauteur des défis climatiques et de l’expansion des conflits armés en de multiples zones.

L’Occident a une dette écologique globale à l’égard du reste du monde.

“Mais qui serait réellement prêt à voir son niveau de vie baisser, surtout à l’heure où se profile une récession économique, pour tenter d’enrayer la funeste machine du réchauffement et de ses conséquences ? Collectivement, nous ne sommes pas prêts. C’est pourtant l’un des enjeux les plus cruciaux de l’époque, et la fin de cette histoire n’est pas écrite. Il s’agit, ni plus ni moins, de sauvegarder l’humanité. Notre humanité.”

https://www.lavie.fr/idees/editos/nous-ne-sommes-pas-prets-pour-le-monde-qui-vient-85297.php

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Photo https://www.gouvernement.fr/action/projet-de-loi-asile-et-immigration  tirée du site de “Nous Sommes aussi l’Eglise“, qui reproduit également la lettre ouverte sur le projet de loi Asile et immigration.