Pour une Europe d’humanité

Depuis plusieurs semaines Chrétiens de la Méditerranée s’est investie avec conviction dans le débat autour de l’Europe et de la Méditerranée. À quelques jours des élections européennes, Gabriel Nissim en rappelle les enjeux majeurs et souligne les grands principes qui font de l’Union européenne « une clé fondamentale pour l’avenir de l’humanité ».

Une volonté librement partagée de faire communauté de peuples, et non pas un empire conquis par la force : avec l’Union européenne, c’est bien la première fois dans l’histoire de l’humanité que des peuples si longtemps ennemis ont eu le courage d’écouter leur conscience et de mettre leur fierté à faire la paix ensemble plutôt qu’à se vaincre. Sans que chacun y perde quoi que ce soit : ni de son identité propre, ni de son essor économique. Tout au contraire, depuis 70 ans, les droits de l’Homme, la solidarité politique autant qu’économique ont permis que les progrès de chacun, soutenus par les autres, profitent au bien commun de tous.

Même si nous sommes, encore et toujours, bien loin du compte, même si les Institutions européennes (et plus souvent encore les dirigeants de chacun de nos pays) ont souvent failli à leur responsabilité, il nous faut mesurer l’immense progrès que l’Europe nous a fait faire en termes d’humanité. A nous donc aujourd’hui d’élire des représentants au Parlement européen porteurs de cet esprit d’humanité, pour que l’Europe continue d’être, dans ce monde multipolaire qui est le nôtre, un pôle positif et un facteur de solidarité.

Bien commun, solidarité : des valeurs qui, pour nous, « Chrétiens de la Méditerranée », font avancer quelque chose de ce dont nos religions européennes, malgré toutes leurs violences, ont essayé de témoigner, hier et aujourd’hui, jusqu’à ce message commun du Grand Imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb et du Pape François, le 4 février dernier. Message qui veut être « une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous », un geste commun posé « comme un symbole de l’accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, (…) pour vivre comme des frères qui s’aiment. » Ce sont ces valeurs de réconciliation et de fraternité qui, dès l’origine, ont donné naissance à l’Union européenne. Ce sont elles qui, encore davantage, doivent nous inspirer à notre époque de mondialisation. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire ceux qui se disent nationalistes, ce n’est pas le retour aux frontières qui protègera notre identité : c’est au contraire l’union qui fait la force. Seule l’union nous permettra, face aux nouvelles puissances mondiales, de rester nous-mêmes en même temps que soucieux des autres : ces « autres » dont nous nous devons d’abord à nous-mêmes de nous sentir responsables.

« Unie dans la diversité » : cette devise doit continuer à inspirer la construction européenne et guider l’action du nouveau Parlement européen.

Unir dans la diversité, d’abord tout simplement parce que telle est la vocation de l’humanité : devant nos identités diverses, voir certes la différence, et pourtant reconnaitre la ressemblance (Ricœur) – et alors fraterniser. Parce qu’aussi chacun de nous, Européens, est lui-même porteur de cette diversité d’identités mélangées : « ceux qui éprouvent le sentiment de nationalisme exaltent une part d’eux-mêmes contre toutes les autres ; ils devraient, en toute logique se débarrasser d’une bonne dose de leur sang… » (Erri de Luca). Sans oublier qu’une bonne part de ce qu’est l’Europe en termes de gènes, de cultures et de spiritualités a eu la Méditerranée pour lieu de naissance, celle du Nord et du Sud, celle de l’Est et de l’Ouest. Nous appelons l’Europe à ne plus être la grande absente (sauf pour les armes vendues… !) des conflits de Syrie, d’Israël-Palestine et du Yémen : nous avons un devoir de solidarité avec toutes les populations du Proche-Orient brisées par la guerre. Nous avons la responsabilité d’appuyer tous ceux qui, dans ces pays, sont des artisans de justice et de paix. Ce que nous avons réussi en Europe, ils peuvent le réussir aussi.

Unir dans la diversité, parce qu’à notre époque de mondialisation, la diversité s’impose partout comme un défi majeur : ce sont des dizaines de langues et de cultures qui se côtoient dans nos cités. Notre avenir dépend de la capacité que nous aurons à rassembler ces différences dans une unité qui ne soit pas une uniformisation, mais de l’ordre de la symphonie. L’expérience européenne, si nous réussissons à la poursuivre sur sa lancée d’origine, peut alors se révéler aussi une source d’inspiration féconde pour d’autres régions du monde, et en premier lieu au Proche-Orient. C’est cela aussi qui devrait guider notre politique migratoire : la question n’est pas seulement qui et comment accueillir (contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, des forces nouvelles sont utiles pour nos pays à la démographie déclinante), mais comment vivre ensemble en faisant l’unité à partir de cette diversité : cela nous demandera tout un apprentissage à organiser politiquement.

Unir dans la diversité, enfin, en faisant du « bien commun » le maître-mot de nos politiques européennes en matière économique et sociale. Pas l’intérêt des uns au détriment de celui des autres. L’individualisme est exacerbé par la montée des inégalités, par la mise à l’arrêt de l’ascenseur social, par le nombre croissant de ceux (femmes et enfants en premier lieu) qui vivent sous le seuil de pauvreté. Tant que les inégalités seront aussi criantes, tant que les flux financiers ne seront pas maîtrisés, l’Europe ne retrouvera pas sa crédibilité. L’Europe a réussi par le passé à tirer des régions et des pays de leur marasme économique grâce à une solidarité qui a finalement été au bénéfice de tous. C’est cet élan de solidarité qu’elle doit continuer à porter à l’heure d’une mondialisation économique qu’aucun de nos pays ne pourra maîtriser à lui seul.

Unir dans la diversité est une clef fondamentale pour l’avenir de l’humanité face à la mondialisation. C’est là un enjeu anthropologique et politique majeur : unir nos identités sans les détruire. L’Europe a réussi à ce qu’elles cessent d’être meurtrières, comme elles l’avaient été durant des siècles, mais qu’elles se respectent et se conjoignent. Voilà la vocation de l’Europe, et la tâche principale du nouveau Parlement européen. Et ce qu’il serait si urgent de proposer aussi aux pays autour de la Méditerranée, pour que l’espace méditerranéen et son pluralisme devienne lui aussi non plus source de conflits, mais de fraternelle solidarité – d’humanité.

Gabriel Nissim, o.p.
administrateur de CDM

 

Retrouvez l’ensemble des textes sur l’Europe et la Méditerranée publiés par CDM à l’occasion des élections européennes de mai 2019 : Europe-Méditerranée. Série de Regards publiés par CDM. 2019 (PDF)

Illustration : Domaine public