Marilyn Pacouret – L’Europe, Israël, Palestine. Quelle place l’Europe doit-elle prendre dans l’application et le respect du droit international ?

Regard sur l’Europe et la Méditerranée – 5 – Marilyn Pacouret revient sur les décisions et les directives de l’Union européenne au sujet de la situation au Proche-Orient. Les prochaines élections sont aussi l’occasion de rappeler certaines responsabilités des futurs députés européens.

Les élections européennes approchent. La campagne a démarré et on peut dire que les préoccupations des Françaises et des Français sont éloignées du scrutin qui aura lieu le dimanche 26 mai.

Il est vrai la construction de l’Europe a été marquée, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, par la volonté de quelques pays européens de s’unir autour des valeurs de paix et de dignité humaine. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale, des guerres récentes en Afrique, au Moyen-Orient, et la question des migrants viennent parfois dans l’actualité médiatique heurter nos sensibilités. Mais quel rôle joue réellement l’Union Européenne (UE) pour le respect des droits humains fondamentaux ?

Parfois nous connaissons les décisions de Bruxelles quant au commerce, à l’agriculture, à l’éducation, la santé, le travail, dans notre pays, mais finalement nous connaissons peu les compétences européennes, les droits et les devoirs de chaque pays membre ainsi que l’application des directives européennes relatives aux grandes problématiques internationales actuelles.

Or, il est un lieu, la Palestine/Israël, où les décisions européennes pèsent plus ou moins fort dans l’application et le respect du droit international. C’est dans et à cet endroit du monde que nous, adhérents de Chrétiens de la Méditerranée [le réseau des acteurs citoyens de Paix] et citoyens européens, devons nous intéresser particulièrement.

L’avenir de la Palestine se joue aussi à Bruxelles, l’avenir de la Paix au Proche-Orient se joue aussi à Bruxelles.

Les décisions, les directives sont prises par des hommes et des femmes, nos députés européens, qui vont être élu-e-s aux prochaines élections. C’est pourquoi nous devons nous y intéresser fortement. Depuis des années l’UE publie des déclarations dénonçant la colonisation et les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement israélien envers la population palestinienne. En voici quelques exemples :

  • En juillet 2013, des lignes directrices sont fixées pour interdire l’octroi par l’UE de prix et de subventions aux institutions israéliennes installées dans les colonies…

  • En 2015, la Commission européenne demande aux États membres de l’UE de mettre en œuvre un étiquetage différencié des produits issus des colonies israéliennes en application du droit international. Le parlement européen est également intervenu pour demander je cite : « au gouvernement israélien de mettre fin à sa politique de menaces de démolition et d’expulsions réelles à l’encontre des communautés bédouines vivant dans le Néguev et dans la zone C de Cisjordanie occupée». C’est notamment le cas du village bédouin de Khan al Amar en Cisjordanie occupée, où des projets d’aide humanitaire financés par l’UE à hauteur de 315 000 euros sont menacés. Nous avions d’ailleurs évoqué la situation de ce village lors de notre université d’hiver sur Jérusalem à Annecy en décembre 2018.

  • Une communication interprétative du mois de novembre 2015 va dans le même sens car elle rappelle la réglementation européenne en matière d’étiquetage des produits importés en Europe : l’UE rappelle que les produits issus des colonies israéliennes doivent être étiquetés de manière à indiquer clairement la provenance de la colonie, par exemple « produit de Gilo : colonie israélienne » ou « produit de Cisjordanie : colonie israélienne ».

Mais des contradictions demeurent. En effet, l’Europe affirme que les colonies au regard du droit international sont illégales (cf. 4e convention de Genève de 1949 et la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations Unies), mais elle continue de commercer avec des colonies. L’importation des produits des colonies est de l’ordre de 230 millions d’euros par an et plusieurs entreprises européennes sont installées dans des colonies israéliennes. Inutile de rappeler que ces installations sont contraires aux Principes Directeurs de l’OCDE pour les multinationales. Par ailleurs 18 pays européens ont posté sur les sites internet de leurs ministères des avis déconseillant (plus ou moins explicitement) aux entreprises d’échanger avec les colonies ; au niveau européen un texte allant dans ce sens serait en préparation.

Le parlement a renouvelé sa demande de « levée immédiate et sans condition du blocage de Gaza ». La bande de Gaza est dans une situation de crise humanitaire sans précédent due au blocus et à la fermeture de Gaza. Un rapport de l’ONU en 2015 précisait que Gaza serait totalement inhabitable d’ici 2020 si rien n’était fait d’ici là !  Nous sommes à nouveau, dans ce contexte, face à une violation du droit international humanitaire car ce blocus constitue une « punition collective » contre toute une population, et cela en opposition à l’article 33 de la 4e convention de Genève. Israël en tant que puissance occupante est dans l’obligation de protéger la population civile et ses biens (articles 2 et 47 de cette même convention) …

Le Parlement a également réaffirmé son soutien à la solution à deux États et a demandé le respect du droit international par le respect des droits de l’homme.

Mais tout en intervenant sur la question israélo-palestinienne en veillant à l’application et au respect des droits de l’homme, l’UE maintient ses coopérations avec l’État d’Israël dans le cadre des accords d’association euro-méditerranéens, notamment l’Union pour la Méditerranée (2008) comprenant 43 pays de la zone méditerranéenne dont Israël et les pays de l’UE. Il y a 10 ans, l’UE avait d’ailleurs suspendu le rehaussement du plan d’action UE-Israël, déclarant que les violations du droit international et humanitaire, à la suite du bombardement de la Bande de Gaza, contrevenaient à l’article 2 de ce dit accord. Ce gel du rehaussement est toujours d’actualité mais la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, en répondant à une question parlementaire en 2018 a précisé que l’UE n’envisageait pas la suspension de l’accord d’association car seul le Conseil européen est compétent en la matière. (Autre instance de l’UE).

Mais cette coopération, bilatérale continue malgré les atteintes évidentes aux droits humains. C’est le cas dans bon nombre de domaines, y compris dans le domaine militaire. Dans le cadre du programme de recherche européen « HORIZON 2000 » plusieurs entreprises militaires israéliennes ont reçu des fonds européens tout en continuant à se rendre coupables de violations du droit international (bombardements dans la bande de Gaza, infrastructures militaires dans les colonies). Et il est à craindre que le projet programme HORIZON EUROPE ne s’en tienne pas à ces principes éthiques fondamentaux qui ont présidé à la construction de l’UE. Entre 2014 et 2020 le budget alloué à la recherche sécuritaire a triplé passant de 1,4 milliards à 3, 8 milliards d’euros, tout cet argent allant à des entreprises militaires dont des firmes israéliennes.

La plate-forme des ONG pour la Palestine, créée il y a 25 ans et dont nous sommes membre observateur depuis 2018, vient de lancer un questionnaire à l’adresse des candidats français à la future assemblée européenne : ce questionnaire demande aux futurs députés européens quels engagement ils prendront à partir des différents points qui viennent d’être évoqués, quelles actions ils mettront en œuvre en vue du respect de l’application du droit international.

Quelles sont nos sources ?

  • Sur la question israélo/palestinienne, il existe des documents établis chaque année par les consuls et consuls généraux des pays de l’Union européenne à Jérusalem et Ramallah. Ces rapports annuels ne sont pas rendus publics mais ils sont extrêmement fournis, documentés et l’exigence de ces consuls de l’UE quant aux sources n’est pas contestable.

  • Le rapport des chefs de mission des pays de l’UE à Jérusalem de 2017 pointe les difficultés quotidiennes que rencontrent les Palestiniens de Jérusalem, les atteintes aux droits de l’homme, il énonce des recommandations pour renforcer la politique de l’Union Européenne sur Jérusalem-Est. Ce rapport est publié en anglais et commenté. Mais une traduction en français est disponible et notamment sa note de synthèse. À cet égard nous remercions Pax Christi pour la traduction française.

Sans vouloir en faire un résumé qui ne serait que trop partiel par manque de temps et de place : voici en substance le message commun de ces chefs de mission :

  • En 2015, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne avait réitéré la position de longue date de l’UE : « le maintien de la viabilité d’une solution à deux États est au cœur de la politique de l’UE et restera une de ses priorités ». Ceci inclut la préservation de « la possibilité pour Jérusalem d’être dans l’avenir à la fois capitales des deux États ».

  • Le 18 janvier 2016, il a renouvelé l’engagement de l’UE de faire advenir une solution à deux États, fondée sur les paramètres posés par les conclusions du conseil de juillet 2014… et a appelé à maintenir le statuquo mis en place en 1967 pour le dôme du rocher/Mont du Temple conformément aux arrangements précédents et dans le respect du rôle particulier de la Jordanie.

  • Le 06 décembre 2017, la Haute Représentante de l’UE et vice-présidente de la commission, Federica Mogherini, a exprimé de sérieuses inquiétudes sur la décision des Etats-Unis de reconnaître Jérusalem comme la capitale de l’Etat d’Israël, et a réaffirmé que l’UE et ses États membres continueraient quant à eux à respecter le consensus international sur Jérusalem décrit entre autres, par la résolution 487 des Nations Unies.

  • Et le 14 décembre de cette même année, le Conseil européen a réaffirmé son engagement en faveur de la solution à deux états et dans ce contexte la position de l’UE à propos de Jérusalem demeure inchangée.

Ainsi les chefs de mission diplomatiques ont formulé un message commun, une série de recommandations, pour servir aux futures décisions du Conseil des affaires étrangères de l’UE. Ils lancent notamment un appel au gouvernement israélien Israël à changer sa politique sur Jérusalem.

Nous ne pourrions terminer cet article qu’en renouvelant notre soutien à la préconisation principale de ce rapport : « Renforcer le poids du droit et combattre l’impunité liée au droit humanitaire international », une action qui incombe à l’UE.

Mais ce rapport préconise aussi :

  • D’ « entreprendre des actions diplomatiques publiques en soutien des positions politiques de l’UE sur Jérusalem » ;

  • D’alerter systématiquement les médias, en utilisant les messages communs formulés par le rapport sur Jérusalem ;

  • D’assurer la visibilité et une couverture médiatique aux actions de diplomatie publiques, y compris au travers de visites ou d’évènements ;

  • De chercher à utiliser les visites à haut niveau pour rendre opérationnelle la politique de l’UE, dans cette perspective, emmener les visiteurs sur des sites clés d’inquiétude et s’assurer que la logistique respecte la politique de l’UE (exemple des hôtels, des changements de transport entre l’Est et l’Ouest).

Très récemment en janvier un débat a agité la diplomatie européenne. Après un déjeuner de travail entre les ministres des affaires étrangères et le président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, La France, soutenue par plusieurs pays, a promis à Mr Abbas, la perspective d’un accord d’association avec l’UE. Mais cet accord est en principe conclu avec des États, or la Palestine n’en est pas un aux yeux de la majorité des pays membres de l’UE (seul 9 d’entre eux l’ont reconnu comme tel : la Suède, la Pologne, la République Tchèque, le Portugal, la Hongrie, la Bulgarie la Roumanie, Malte et Chypre). Par ailleurs, la Palestine a un statut d’observateur aux Nations Unies et n’en est pas membre. Mais la France argue que la République du Kosovo, qui n’est pas non plus reconnue par l’ensemble de la communauté internationale, a conclu un tel accord avec l’UE.

Cette polémique montre tout le poids que tel ou tel pays – en l’occurrence la France – peut avoir dans les décisions prises par l’UE. Il est important de le souligner quant on sait combien parler d’une seule voix tient souvent lieu d’une gageure pour l’UE. Il en va aussi des capacités de l’UE à contrer les décisions unilatérales et contraire à la promotion d’un esprit mondial de paix et de justice que les États-Unis ont tendance à prendre.

Mais nous serions incomplets si nous n’évoquions pas le nouveau programme d’aide en faveur de la Palestine, annoncé dans le communiqué de presse de la Commission européenne du 31 janvier 2018 : « l’UE s’engage fermement à soutenir le renouveau socio-économique de Jérusalem-Est. »

Cette aide porte à 42,5 millions d’euros l’aide européenne en faveur de la Palestine, cela venant s’ajouter à d’autres subventions dans tous les domaines. La « stratégie européenne commune de soutien à la Palestine » (2017-2020), adoptée par 22 États membres de l’UE, intervient en effet dans 5 domaines :

  • La réforme de la gouvernance, l’assainissement budgétaire et l’action des pouvoirs publics
  • L’état de droit, la justice, la sécurité des citoyens et les droits de l’homme
  • La fourniture durable de services
  • L’accès à un approvisionnement autosuffisant en eau et en énergie.
  • Le développement économique durable

Mais est-il utile de rappeler que régulièrement des infrastructures subventionnées par l’UE sont elles aussi détruites dans le cadre d’interventions militaires en Cisjordanie et dans la vallée du Jourdain ?

L’UE pourrait jouer un rôle dans la reprise du processus de Paix, elle devrait prendre toute la place qui incombe à cette instance créée dans un contexte d’après-guerre pour mettre fin aux discriminations, à la xénophobie, aux atteintes aux droits de l’homme et à la dignité de la personne.

Les principes qui ont présidé à sa création doivent absolument redonner de l’éthique à toutes les institutions européennes (Commission européenne, Conseil de l’Union européenne ou conseil des ministres, Cour de justice de l’Union européenne, et le conseil européen)

C’est notre vœu le plus cher.

Marilyn Pacouret

Retrouvez l’ensemble des textes de notre série « L’Europe et la Méditerranée », ICI.

Sources et références :

 

Illustration :L’hémicycle du Parlement Européen de Strasbourg. Photo L’Alsace / Jean-Marc LOOS