Votre fatwa ne s’applique pas ici. Histoires inédites de la lutte contre le fondamentalisme musulman

Cette femme de conviction, professeur de Droit à l’Université de Californie-Davis, nous convie à un véritable tour du monde musulman pour y rencontrer des opposants aux fondamentalistes islamistes. Née en Algérie où son père, Mahfoud Bennoune, anthropologue réputé, a été menacé de mort à plusieurs reprises par des islamistes et nourrie par le cauchemar algérien des années 1990, elle écrit ce livre pour dénoncer le terrorisme fondamentaliste. Elle le rédige entre 2010 et 2014, prenant le temps d’interviewer 286 personnes de culture musulmane de 26 pays différents, de la Tunisie au Pakistan, de l’Afghanistan à l’Égypte, de la Turquie à la Malaisie.

L’introduction précise utilement le cadre de sa pensée et justifie l’usage des notions auxquelles elle fait appel. Ainsi préfère-t-elle parler de « sociétés à majorité musulmane » ou de « peuples de tradition et de culture musulmane » et non de monde musulman. Et de la même façon, choisira-t-elle le terme « fondamentalisme » plutôt que celui d’islamisme ou de radicalisme. Ce terme permet, à ses yeux, de viser un mouvement commun aux grandes traditions spirituelles d’aujourd’hui. Elle reconnaît cependant les particularités du fondamentalisme musulman comme le plus radicalement transnational et le plus sophistiqué par le rayon d’action et la brutalité de ses groupes armés.

Son investigation concerne l’ensemble des mouvements politiques constitués, mais aussi ce fondamentalisme diffus qui se répand par internet, YouTube, les prédications dans les mosquées et les réseaux sociaux, sans oublier les mouvements armés les plus extrêmes du jihad salafiste.  Dénonçant l’idée d’un islam modéré qui pourrait paraître acceptable aux yeux d’occidentaux, elle reproche aux progressistes laïcs de minimiser la montée de l’islam fondamentaliste.

C’est le pari de ce livre d’avoir opté volontairement pour le registre du récit, risquant de tomber parfois dans l’anecdote, mais livrant en même temps toute l’épaisseur de vie surgie de ces combats multiples d’hommes et de femmes. Ce qui donne au livre, moins le statut d’un essai que celui d’un voyage nourri de témoignages, écrit dans un style très direct.

Ils proviennent d’hommes et de femmes menacés, surveillés, agressés, parfois emprisonnés. Dans le prolongement de l’euphorie révolutionnaire de 2011, les victoires islamistes se sont, en effet, multipliées au Caire, à Casablanca et à Tunis, et bien au-delà du Maghreb, et ce livre en évoque toutes les résonances. Chaque chapitre se centre sur une réalité thématique, que ce soit la liberté d’expression, les combats féministes, la liberté de création, ouvrant à des croisements de témoignages issus de différents pays.

On regrettera que l’ouvrage ait été traduit si tard et qu’il ne prenne pas en compte sauf très à la marge la montée du Califat islamique et son actualité depuis 2015. Une postface tente de remédier à cette faiblesse mais n’y parvient pas totalement, reprenant de façon un peu systématique les chapitres les uns après les autres pour les compléter. Ce qui fait pourtant la saveur de ce livre, c’est le sentiment que l’on partage avec l’auteur une sorte de chemin de réconciliation avec sa propre culture et sa propre tradition[1].

Bénédicte du Chaffaut

[1] Karima Bennoune a donné une conférence à Villeurbanne, le 14/03/2018. Voir la présentation en cliquant ICI