Titre

Vaincre Hitler

Sous titre

Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste

Auteur

Avraham Burg ; traduit de l'hébreu par Orit Rosen et Rita Sabah

Type

livre

Editeur

Paris : Fayard, 05/03/2008

Nombre de pages

359 p.

Prix

23 €

Date de publication

12 novembre 2018

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Vaincre Hitler

Dans l’introduction à l’édition française, l’auteur lui-même résume ainsi le contenu de son ouvrage : « (Le livre) évoque un monde disparu, celui de mes parents, et dresse un constat triste sur l’Etat d’Israël actuel et l’humanité tout entière irrémédiablement tournés vers le passé. Il décrit mon combat et celui des êtres qui me sont chers, vivant en Israël et tentant de créer un nouvel univers juif, affranchi des aléas de notre histoire ». Tout est presque dit, sauf les circonstances qui ont entouré la publication de l’ouvrage. C’est d’abord que l’homme n’est pas banal. Avraham Burg a été Président de la Knesset, le parlement israélien, et vice-président du Congrès Juif Mondial. Homme politique de premier plan, son livre a suscité, dans son pays et chez beaucoup de juifs, de vifs débats et critiques dès sa parution, voilà plus de dix ans[1]. Passée cette échéance, Vaincre Hitler n’a rien perdu de son acuité, et son actualité est plus que jamais criante.

Par une démonstration historique imparable, Avraham Burg insiste, pour la déplorer, sur l’importance attribuée à la Shoah. Soixante-dix ans après Auschwitz, Israël définit presqu’exclusivement son identité par ce grand malheur de la communauté juive ashkénaze d’Europe. Même les souffrances des séfarades, les juifs orientaux forcés d’émigrer en Israël, n’ont pas fait le poids face aux traumatismes des survivants des camps. Et le pays tout entier s’est arrogé le rôle de gardien de la mémoire des disparus, avec, en toile de fond, une peur viscérale de l’Autre. « Nous voyons partout des nazis, des Allemands, des Arabes qui nous haïssent tous, et d’ailleurs le monde entier a toujours été contre nous… ». Ce sentiment s’est imposé naturellement, structurant un Israël de plus en  plus paranoïaque. D’où, seconde critique de l’auteur, le virage ultranationaliste du sionisme entraînant un usage immodéré de la force militaire. S’ajoutent à cela des « théories raciales juives », sacralisées par des groupes d’extrémistes soi-disant religieux. Au fil du temps, Israël s’isole du monde avec arrogance en se repliant sur son passé, il se coupe de ses racines humanistes et s’enferme dans un nouveau ghetto ceinturé de murs.

Pour l’auteur, le nationalisme allemand, pratiqué depuis Bismarck jusqu’à Hitler, est encore celui d’Israël. « Hitler n’est plus, mais nous demeurons avec ses métastases… Il est difficile pour nous d’effacer Hitler de nos vies ». Tout un chapitre sur « la déprime des sixties » analyse l’évolution du pays et de sa société après la guerre des Six jours en 1967, qu’Avraham Burg ne considère pas comme une victoire. Pour lui, c’est l’amplification des revendications identitaires et territoriales (les colonies) qui ont amené à la situation actuelle. Alors, pour s’en sortir, l’auteur conduit son lecteur par une voie détournée, celle du chapitre sur « La shoah des autres ». Il rappelle des précédents trop oubliés : Namibie, Arménie, Cambodge, ex-Yougoslavie, Rwanda, les Tziganes…« Tout cela nous apprend que la destruction des Juifs d’Europe, notre Shoah, n’a pas été seulement un événement juif, mais plus encore une tragédie universelle et mondiale ». Personne n’a le monopole de la souffrance et ne peut s’en prévaloir. Et Avraham Burg renverse le point de vue pour s’intéresser aux persécuteurs. Chez tous, il constate un sentiment d’arrogance et un mépris jusqu’à nier l’humanité de l’autre. Alors, il devient évident que cultiver une logique de supériorité conduit aux mêmes errements. Le peuple juif a pourtant fait partie des opprimés en 2000 ans de diaspora. Se rangerait-il maintenant dans le camp des oppresseurs ? « Ne jamais faire subir à d’autres ce qu’on nous a fait subir ».

Avraham Burg ne se contente pas de dire son indignation et sa douleur face à la situation actuelle. Il se livre surtout à une intense réflexion sur sa conception du judaïsme. Hors de la question de Dieu, il s’attache à montrer ce que la pensée juive a apporté à l’humanité : le sens de la personne, le respect de la vie, la solidarité avec tous les opprimés, le devoir d’accueil de l’étranger, l’exigence morale, pour un peuple qui se dit « élu », d’être « la lumière des nations ». Et il propose un nouvel horizon politique pour Israël, véritable appel à retrouver les valeurs universalistes et humanistes du judaïsme  pour le monde d’aujourd’hui. Tel est le sens du sous-titre de son livre : « Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste », et ce qu’il dit de lui-même : « Je préférerais être un Juif universel plutôt qu’un Israélien égocentrique et arrogant ».

Ce livre de réflexion approfondie, dense et documenté, est loin d’être ardu. A la limite de l’autobiographie, l’auteur multiplie les anecdotes de sa vie d’enfant ou d’homme politique, avec une émotion particulière pour son père et sa mère. Lui, le laïc, il sait s’appuyer, en les commentant, sur de nombreuses références à la Bible et au Talmud. C’est à la fois délicieux à lire, facile à comprendre, percutant pour les analyses et les nouvelles perspectives ouvertes.   Mais surtout, il se dégage de l’ouvrage comme un parfum d’universel[2]. Les Juifs et Israël ne sont pas seuls concernés. C’est moi, c’est nous, c’est toute l’humanité qui sommes invités à aller de l’avant pour construire un monde débarrassé de la haine et de la peur de l’autre. Nous avons tous à « Vaincre Hitler ». C’est pourquoi ce livre  est si marquant et si important aujourd’hui.

Claude Popin

 

[1] En témoigne le débat entre Alain Finkielkraut et Avraham Burg, Télérama/Le Monde, 04/04/2008
[2] A lire : Surmonter la Shoah pour accéder à l’universel, La Croix, 12/03 et 30/04/2008