Un humanitaire musulman dans la République

Jeune étudiant marocain, arrivé en France dans les années 70, Rachid Lahlou en est venu à fonder une ONG française, musulmane mais non prosélyte, aujourd’hui solide, active, et reconnue. Et il lui a fallu pour cela mener des combats, rudes mais pacifiques.

Pourquoi et comment ? Tel est l’objet de ce livre d’entretiens avec la journaliste indépendante Nathalie Dollé, qui nous fait partager l’histoire de l’insertion en France de ce jeune syndicaliste étudiant, longtemps regardé avec soupçon sur les deux rives de la Méditerranée,…  et celle du Secours islamique France (SIF). Une ONG qui tire ses ressources des dons de la « zakât », le don charitable qui est un  des piliers de l’islam et que  les musulmans versent souvent généreusement.

Les suspicions n’ont pas manqué à l’égard de cet homme de convictions et d’initiatives, considéré longtemps comme le relais des Frères musulmans ou d’organisations « frèristes ».  Malgré un parcours d’étude réussi et un emploi d’enseignant à l’Education nationale, il lui faudra de longues années de patience pour être naturalisé français. Du côté des musulmans aussi, il lui a fallu convaincre que la mission du SIF était de lutter contre la pauvreté et ses racines, et non de se situer sur le terrain cultuel.  Que si les dons qui financent le SIF sont musulmans, la charité n’a pas de frontières ni d’autre religion que celle de la dignité de l’homme.

D’abord simple antenne française d’une grande ONG musulmane britannique, Islamic Relief, le SIF va progressivement affirmer son autonomie, sa volonté de transparence sur l’emploi des fonds, sa capacité à s’engager au niveau international, et il gagnera sa pleine indépendance dans les années 2000. C’est ainsi que, sans affiliation partisane ni discrimination confessionnelle, le SIF a développé son action en France comme au plan international. La guerre en Bosnie, le tsunami en Indonésie, la crise en Haïti ont été des jalons dans l’affirmation des valeurs de cette ONG, au service des hommes sans considération de leur race, culture et religion.

Le cap suivi par Rachid Lahlou est clair : humanitaire et républicain, inspiré par les valeurs de justice de l’islam, au service des plus pauvres, et sans rien attendre de retour.

Aujourd’hui, le parcours d’obstacle de R. Lahlou est réussi, les préventions sont tombées. Les autorités françaises considèrent le SIF comme un interlocuteur à part entière. En interne, R. Lahlou s’est employé à rompre avec « l’islamo-centrisme », car « le SIF n’a pas vocation à sauver les âmes dans l’au-delà, mais à agir pour sauver les gens de la misère ici et maintenant ».

Ce choix clair et ferme a conduit Rachid Lahlou et son organisation à des prises de position courageuses à l’occasion des attentats de l’année 2015 qu’il a dénoncés avec fermeté.

Aussi appelle-t-il les musulmans à ne pas se tenir du côté de la revendication et de la victimisation mais de l’action au service des autres et de l’ouverture à l’universel, et à conjuguer les valeurs de l’islam avec les principes de la citoyenneté républicaine. Pour ainsi être à l’aise à la fois dans leur religion et dans la société.

Ce livre[1] montre de façon convaincante ce que peuvent la générosité et le dynamisme d’un musulman citoyen, réunissant les valeurs de la République et l’éthique de l’islam[2].

Bertrand Wallon

[1] Préfacé par Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, directeur d’études au Centre d’action et de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (CRASH) de la Fondation Médecins sans frontières.

[2] Lire l’entretien de Rachid Lahlou dans Le Monde des religions, le 20/06/2018