Titre

Terreur dans l’Hexagone

Sous titre

Genèse du djihad français

Auteur

Gilles Kepel ; avec Antoine Jardin

Type

livre

Editeur

Gallimard, 15/12/2015

Collection

Hors-série Connaissance

Nombre de pages

330 p.

Prix

21 €

Date de publication

22 septembre 2016

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Terreur dans l’Hexagone

Prix littéraire : Prix de la Revue des Deux mondes 2016[1]

Pourquoi et comment des jeunes français ont-ils basculé vers un djihadisme violent, ensanglantant leur propre pays ? Quelle stratégie les guide, quelle idéologie les inspire ? Comment y faire obstacle ?

Telles sont les questions auxquelles Gilles Kepel[2] nous confronte dans cet ouvrage, écrit au cours de l’année 2015 et achevé dans les semaines qui ont suivi les attentats du 13 novembre à Paris. Il y montre sa parfaite connaissance des pays arabes et de leurs évolutions les plus récentes, comme l’intérêt des enquêtes fouillées qu’il a menées en France, aussi bien sur le « terrain » des cités qu’au sein de la « blogosphère » où se diffusent tous les extrémismes.

Kepel analyse ainsi les parcours individuels de jeunes tels que Merah (auteur des crimes de Toulouse et Montauban), Coulibaly (l’hypermarché casher), ou les frères Kouachi (Charlie Hebdo). Ces jeunes, nés dans des familles éclatées, se sont intégrés dans des communautés adeptes de l’islam intégral qui ont converti leur désir de revanche sociale en une haine de l’autre différent, avant qu’ils adoptent la « cause sacrée du djihad » sur les terrains de conflit du Moyen-Orient, puis dans leur pays d’origine. Ils en sont venus à considérer comme mécréants ou infidèles tous ceux qui n’appartenaient pas à leur communauté.

Ces militants radicalisés passés à l’acte, qui constituent une infime minorité, sont en même temps la pointe exacerbée d’une mouvance salafiste beaucoup plus large « qui dévalorise la citoyenneté française pour épouser l’islam intégral comme unique identité pertinente » (p. 115). L’islam politique, tentative de contrôle systématique de tous les aspects de l’existence, a répondu à leur sentiment de perte de repères, en leur offrant, selon les mots de l’auteur » une « rédemption individuelle et collective » par l’avènement d’une société qui serait devenue totalement islamique,… au prix d’infinis massacres.

Derrière ces itinéraires individuels en dérive, c’est toute la stratégie de cette nouvelle forme de djihad que décrypte G. Kepel.  Il confronte en effet leurs attentats à l’Appel à la résistance islamique mondiale du djihadiste syrien naturalisé espagnol, Al-Souri[3]. Ce manifeste et mode d’emploi du « djihadisme de la 3ème génération » entend provoquer l’effondrement des sociétés occidentales « mécréantes », en provoquant une guerre d’enclaves en leur sein. Disponible sur le web depuis 10 ans, ce texte a inspiré la génération de ces jeunes djihadistes passés de la petite délinquance à la terreur. Il s’agit d’un djihadisme du 3e type, que les institutions de sécurité publique n’ont pas vu venir. C’est un djihad « réticulaire », dont la force, et la limite, est que l’initiative est très largement remise à la base.

En retard d’une génération de djihad, les institutions publiques n’ont que trop tard compris ces évolutions, où le passage par la prison et les rapprochements qu’elle a permis entre militants radicalisés ont joué un rôle incubateur. A contrario, les grands défilés de janvier 2016, comme les réactions de la société civile française aux massacres du Bataclan, ont très justement exprimé le refus d’une fragmentation de la société selon les lignes de faille ethniques, religieuses et communautaires.

Mais au-delà de cette réaffirmation essentielle du pacte républicain qu’a faite le peuple français, l’apparition de ce djihad et la lecture de ce livre nous interrogent directement sur : la situation de l’islam en France et la lutte pour l’hégémonie au sein des populations de culture musulmane que mènent les salafistes intransigeants[4] ; le « malaise dans notre société » que vivent les jeunes d’ascendance immigrée et musulmane et l’impuissance de nos gouvernants successifs à y répondre.

Quel projet intégrateur et laïc, saurons-nous proposer pour ceux qui se sentent exclus, précarisés et humiliés ? Au terme de son analyse, et tout en soulignant le rôle de la sécurité et du politique, c’est vers l’école, le lycée et l’université que Gilles Kepel appelle à se tourner, pour que les jeunes de toutes origines y apprennent à dépasser, par les valeurs et le travail partagés, l’atavisme et le communautarisme.

Bertrand Wallon

 

[1] http://www.revuedesdeuxmondes.fr/prix-de-la-rddm/  et http://www.revuedesdeuxmondes.fr/gilles-kepel-remporte-le-prix-litteraire-de-la-revue-des-deux-mondes-2016/

[2] Gilles Kepel, professeur des universités, spécialiste du monde arabe, enseigne à Sciences-Po Paris et à l’Ecole Normale Supérieure. On lui doit, notamment, Passion arabe.- Gallimard, 2013, disponible en Poche (recension sur notre site), et Passion française.- Gallimard, 2014 (recension sur notre site).

Antoine Jardin, ingénieur de recherche au CNRS, spécialiste de la sociologie politique des quartiers populaires, a contribué à deux parties de cet ouvrage.

[3] A propos d’Abou Moussab al-Souri : http://www.revuedesdeuxmondes.fr/gilles-kepel-le-salafisme-est-larriere-plan-culturel-du-djihadisme/

[4] Il est à cet égard essentiel de reconnaître la diversité et le pluralisme de la communauté musulmane et de refuser de la réduire aux adeptes de la violence.