Titre

Sur le fil de l’asile

Auteur

Pascal Brice

Type

livre

Editeur

Paris : Fayard, février 2019

Nombre de pages

266 p.

Prix

19 €

Date de publication

1 août 2019

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Sur le fil de l’asile

Pascal Brice, haut-fonctionnaire et diplomate, a dirigé l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA), pendant 6 années, de 2012 à 2018[1]. Des années-charnières pour les migrations, en France et en Europe : près d’un million de demandeurs accueillis en Allemagne en 2015, démantèlement de la « jungle de Calais » en 2016,  « hot spots » mis en place pour un examen des demandes d’asile hors de France[2], crise intra-européenne provoquée en 2018 par les politiques restrictives de plusieurs pays dont l’Italie, refusant d’accueillir dans ses ports les migrants accueillis en Méditerranée.

Pendant ces années, Pascal Brice a conduit une réforme profonde de l’OFPRA, qui a dû faire face à un doublement de la demande d’asile, tout en raccourcissant très fortement ses délais de traitement, et en triplant son taux de protection, c’est-à-dire d’acceptation des demandes d’asile[3]. Cela grâce à un doublement de ses effectifs, mais aussi à une révision de ses procédures, une ouverture à la société civile, et de nombreuses missions « hors les murs ».

De cette « bataille de l’asile » qu’il a livré, en réformant l’Office, en allant rencontrer et convaincre les migrants, en rencontrant associations et administrations, Pascal Brice nous dit les enjeux essentiels, comme les multiples visages, sans en cacher les limites.

Écrit comme un journal de campagne débutant à sa prise de poste, le récit de Pascal Brice comporte trois grandes étapes. D’abord la « remise en marche » de l’OFPRA, pour en améliorer l’efficacité et la rapidité sans rien sacrifier aux exigences de dignité et de droit des migrants. Puis ses interventions à Calais, puis en Allemagne comme dans les camps improvisés à Paris ou à Nantes, pour inciter les bénéficiaires possibles de l’asile à opter pour bénéficier de la protection de la France, et pour qu’ils y soient dignement accueillis.  Enfin des actions et des propositions pour que l’Europe relève de façon humaine et solidaire le défi des migrations.

Il souligne d’emblée les enjeux du droit d’asile, « un trésor (…) qu’il faut faire respecter alors que depuis les années 70, en France et en Europe, la politique d’immigration n’a cessé de se durcir » (p. 13). Protégeant au titre de la Convention de Genève[4] des personnes persécutées du fait de leur race ou de leur sexe, de leurs opinions ou confessions, le droit d’asile est  complété par une « protection subsidiaire » qui est ouverte aux personnes provenant des régions en guerre, ou qui y risquent mort ou torture. Mais la peur de « l’appel d’air » a conduit trop souvent les administrations à multiplier les obstacles sur la voie de l’asile : lenteur des procédures d’accueil en préfecture, insuffisance de l’hébergement, délais excessifs des procédures.

Nous suivons au fil du livre Pascal Brice dans ses déplacements sur le terrain pour y rencontrer les migrants éthiopiens, soudanais, érythréens, syriens, dans des dialogues parfois difficiles mais toujours respectueux où il gagne leur confiance. Et cela en France, de Métropole et d’Outre-Mer, en Grèce, au Proche-Orient, en Afrique. Nous rencontrons avec lui les associations qui font le quotidien de l’accueil, et leurs militants, qu’ils soient issus des milieux chrétiens ou d’autres horizons de la société civile, dont il fait des portraits élogieux. « Dans une société en proie au doute sur l’accueil des étrangers, ils sont en première ligne pour porter la bienveillance » écrit-il (p. 48). Nous assistons aussi à ses concertations avec les fonctionnaires préfectoraux qu’il faut convaincre et entraîner dans une dynamique positive qui sera à la fois organisée, efficace, et humaine. L’asile, écrit-il, est « le premier étage » de la maison de l’hospitalité que nous devons édifier pour un accueil digne des migrants, et qui ne dispense pas d’un débat et de décisions pour faire face aux migrations humanitaires, ou au besoin de migrations économiques.

Protéger l’asile, c’est le tenir à l’écart de toute instruction politique, ce qu’en France la loi garantit depuis 2015 en assurant l’indépendance de l’OFPRA. Mais il faudrait pouvoir revenir sur les dispositions des accords de Dublin qui, en imposant que la demande de protection soit examinée par le premier pays dans lequel le migrant est entré en Europe, ajoute au drame de l’exil des situations administratives trop souvent inextricables. Alors que la tentation d’externaliser l’asile à des pays externes à l’Europe et dits « sûrs » (dont la Turquie[5]) est forte, Pascal Brice démontre qu’une réponse coordonnée européenne a pu s’inventer dans l’urgence  à Lesbos ou à Valence, et est donc réalisable.

En fermant ce livre engagé et émouvant, on garde à l’esprit le récit poignant  des vies violentées que l’auteur a rencontrées, mais aussi les belles figures qu’il nous a fait découvrir. Et parmi elles Céline « l’humanitaire » de Calais, Hadeel l’Erythréenne, ou Mourad de l’OFPRA, qui témoignent que solidarité et espoir sont possibles.

Bertrand Wallon

 

Notes de la rédaction : 1, 2, 4, 5

[1] Pascal Brice était l’invité d’Éric Delvaux sur France Inter le 17/02/2019 : cliquer ICI (durée : 17 mn) et le grand invité de la Matinale de RCF, le 12/03/2019 : cliquer ICI (durée : 15 mn).

[2] Cf. Trois questions sur les « hotspots » pour les migrants, cliquer sur La Croix, 25/09/2015

[3] Le nombre de demandes d’asile en France est passé de 60.000/an en 2012 à plus de 120.000 en 2018.  La part des décisions favorables (statut de réfugié ou « protection subsidiaire  ») a atteint en 2017 et 2018 environ 27%, taux auquel il faut ajouter environ 9% au titre des décisions favorables de la Cour Nationale du Droit d’Asile saisie sur recours des demandeurs ; soit un taux de protection de 36%. Les premiers bénéficiaires en sont en 2018 les originaires d’Afghanistan, de Syrie et du Soudan. (Source : rapport d’activité 2018 de l’OFPRA : cliquer ICI).

[4] La Convention de Genève relative au statut des réfugiés : cliquer ICI

[5] Des milliers de migrants arrêtés à Istanbul en deux semaines : cliquer sur  Le Monde du 24/07/2019