Titre

Pensée et politique dans le monde arabe

Sous titre

Contextes historiques et problématiques, XIXe - XXIe siècle

Auteur

Georges Corm

Type

livre

Editeur

La Découverte, 2015

Collection

Sciences humaines

Nombre de pages

345 p.

Prix

23 €

Date de publication

25 janvier 2016

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Pensée et politique dans le monde arabe

Attaché à déconstruire la vision réductrice d’un monde arabe seulement déterminé par sa relation à l’islam, Georges Corm[1] donne dans ce livre richement documenté une magistrale leçon d’histoire et d’analyse politique. Il met en lumière la diversité et la richesse d’une pensée arabe trop ignorée confrontée  à trois questions : pourquoi sommes-nous si faibles ? Pourquoi sommes-nous si désunis ? Quelle est notre identité ?

Soulignant les fortes contraintes historiques et géopolitiques dans lesquelles cette pensée s’est déployée, l’auteur rappelle le puissant désir de modernité qui a traversé la période de la renaissance arabe, la Nahda (1850-1950), avec notamment l’apparition d’un mouvement féministe militant  pour l’éducation, le dévoilement des femmes, leur droit de vote : les Egyptiennes Hoda Charaoui (1874-1947) et Doria Chafik (1908-1975), les Libanaises Nazira Zeineddine (1908-1976) et May Ziadé (1886-1941) préfigurent les combats de l’Egyptienne Nawal El-Saadawi et de la Marocaine Fatima Mernissi (1940-2015).

On trouvera aussi une analyse des crises secouant les nationalismes arabes après l’échec du panarabisme et la défaite de 1967 face à Israël, entraînant  l’apparition de nationalismes islamiques conçus comme un antinationalisme arabe.  Le slogan « L’islam est la solution » promu par le wahhâbisme et l’idéologie des Frères musulmans contribue à enfermer la pensée arabe – et nombre d’arabisants occidentaux –  dans le débat insoluble entre arabité et islamité.

Un chapitre est consacré aux débats suscités par le nationalisme islamique depuis le début des années 1980.  On y trouve l’analyse de la controverse sur le patrimoine islamique (univers fermé ou ouvert) et sa relation avec la pensée arabe. On note la longue liste de réformistes laïcs payant de leur vie ou de l’exil leur opposition au « maccarthysme[2] religieux » dominant : exil forcé de Nasr Ahmed Abou Zeid, assassinats du soudanais Mahmoud Taha (1909-1985)  et de l’Egyptien Farag Foda (1946-1992). L’opposition sur la laïcité entre Al-Messiri (1938-2008), intellectuel égyptien rallié aux thèses islamiques et le moderniste syrien Al-Azmeh  donne une idée de la virulence des disputes.

Un autre chapitre analyse de façon critique les différents essais de conciliation idéologique entre islamité et arabité. G. Corm souligne que cette pensée,  incarnée par des intellectuels comme le libanais  Fouad Ajami (1945-2014), ou le tunisien Larbi Sadiki, est fortement inspirée d’un modèle de libéralisme économique occidental qui propose une forme de démocratie intégrant une islamisation. Laïque convaincu, G. Corm leur oppose la longue liste des penseurs rationalistes arabes critiquant  l’interprétation littérale de l’islam. Il signale l’apparition récente d’une école de pensée islamique dite  du « juste milieu » (wassatiyya), portée par le prince Hassan ben Talal de Jordanie et le soudanais Sadik Al-Mahdi.

Enfin, le chapitre se clôt sur l’apport des penseurs se réclamant du christianisme arabe : au Liban, Michel Chiha (1891-1954) partisan d’une démocratie communautaire libanaise, et Antoine Messara, né en 1938, qui vante les mérites d’une démocratie consensuelle. Toutefois l’auteur souligne que leur approche repose sur une forte méfiance de l’islam. Il leur oppose les réflexions d’autres chrétiens  soucieux de déconstruire l’image exclusivement négative de l’islam : deux prêtres de la communauté maronite : Youakim Moubarac (1924-1995) et Michel Hayek (1928-2005) ; un prêtre de la communauté grecque catholique, partisan de la laïcité, Grégoire Haddad (1924 – déc. 2015) ; et l’évêque de la communauté grecque orthodoxe engagé dans le dialogue islamo-chrétien, Georges Khodr, né en 1924. Leurs travaux sont recensés dans l’ouvrage d’Antoine Fleyfel[3], chercheur libanais dirigeant la collection Pensée religieuse et philosophique arabe  pour la maison d’édition L’Harmattan.

En conclusion, Georges Corm appelle la jeunesse arabe à se libérer des carcans intellectuels imposés par les récits canoniques tronqués de la réalité de la pensée arabe.

Loin des poncifs politico-théologiques habituels, cet ouvrage de référence est un guide indispensable pour se familiariser avec la complexité et la richesse d’une pensée méconnue. 

Laure Borgomano


[1] Économiste et historien libanais, G. Corm est un des éminents spécialistes du Moyen-Orient et de la Méditerranée. Outre son statut de consultant économique et financier international, il est professeur depuis 2001 à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, dans le cursus des sciences politiques.

[2] Nom donné à l’idéologie anticommuniste et à la campagne du sénateur américain McCarthy (1908-1957) contre les intellectuels, les artistes et les employés fédéraux soupçonnés de sympathies pour le communisme. Depuis, ce terme est devenu synonyme de répression de toute expression d’opinions politiques, sociales ou religieuses jugées déviantes par le pouvoir en place.

[3] Lire la recension sur notre site, Géopolitique des chrétiens d’Orient.- L’Harmattan, 2013