Recension

Titre

Moïse fragile

Auteur

Jean-Christophe Attias

Type

livre

Editeur

Alma, 2015

Collection

Essai-Histoire

Nombre de pages

276

Prix

22 €

Date de publication

23 novembre 2016

Moïse fragile

Prix Goncourt de la biographie 2015

La figure de Moïse ne cesse d’interroger. Les trois religions monothéistes lui confèrent la stature du plus grand des prophètes.  La littérature, la musique, les arts plastiques et même le cinéma s’en étant emparé, il appartient désormais à la culture occidentale.

Sa présence écrasante dans notre culture générale fait écrire à André Neher : « C’est ne découvrir Moïse nulle part que de le trouver partout. »

Jean-Christophe Attias, titulaire de la chaire de pensée juive médiévale à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, interroge à son tour la figure de Moïse en utilisant la méthode rabbinique, écoutant les silences et les non-dits du texte. S’appuyant toujours sur le commentaire de la tradition, il s’attache à discuter avec rigueur les obscurités et les contradictions du texte biblique. Sa perspicacité et la finesse de sa lecture, font jaillir du texte lui-même des nuances, des anomalies, voire des lapsus évocateurs. Alors que le sens semble lui être acquis,  il n’épargne à son lecteur aucun retournement qu’offre cette lecture.

Plutôt que de s’appuyer sur Dt 34,10 : «  Il n’a plus paru en Israël de prophète semblable à Moïse », Jean-Christophe Attias préfère retenir Nb 12,3 : « L’homme Moïse était fort humble, plus qu’aucun homme ». En effet, il commence par une déconstruction de l’image d’un Moïse puissant et colérique, tel qu’il fut figé dans le marbre par Michel-Ange.

Moïse, un homme, blessé dans son corps : Moïse bègue, Moïse malade lors de l’obscur épisode de l’auberge, Moïse marqué au visage par la révélation du Sinaï.

Moïse est aussi fragile par sa naissance : abandonné, sans nom, à l’origine douteuse. Mais Moïse sauvé par les femmes : Myriam qui surveille sa dérive sur le fleuve, la fille de Pharaon qui l’adopte, Jocabed, sa mère, qui l’allaite, Tsipora qui le sauve par la circoncision de son fils.

Jean-Christophe Attias va jusqu’à nous montrer un Moïse féminin, porteur et nourricier de son peuple comme une mère porte et nourrit son enfant.

Enfin, Moïse sacrifié : prêt à mourir pour sauver son peuple. L’auteur en fait une figure quasi christique. Sacrifié par l’interruption de sa mission au seuil de la terre promise : comme Aaron et Myriam, il ne franchira pas le Jourdain.

Mais Moïse prend sa place dans le cheminement de la révélation. Medium entre Dieu et l’humanité, il s’efface sans faire écran entre l’Un et l’autre. « La lumière n’est nullement dans le visage du prophète, mais bien dans la Torah qu’il a révélée. » p.233.

Le projet de l’auteur semblerait être commandé par une volonté d’aller à contre-courant[1]. Mais, chemin faisant, le lecteur découvre que le récit biblique contient bien un contrechamp que seule révèle l’analyse rigoureuse du texte.

C’est sans doute en ce sens que Moïse fragile s’inscrit parfaitement dans la démarche midrashique, qui signifie, rappelons-le, mener une enquête.

Daniel Ollivier[2]

[1] Jean-Christophe Attias était l’invité de l’émission Grand angle sur TV5 Monde, le 14/06/2015 (12 mn)

[2] Daniel Ollivier est diplômé d’hébreu biblique ; collaborateur du Centre Chrétien pour l’Etude du Judaïsme de la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon ; et membre du Cercle de la Pensée Juive Libérale de Lyon. (CPJL).