Titre

Les trois piliers de l’islam

Sous titre

Étude anthropologique du Coran

Auteur

Jacqueline Chabbi

Type

livre

Editeur

Paris : Le Seuil, 2016

Nombre de pages

372 p.

Prix

22 €

Date de publication

25 janvier 2019

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Les trois piliers de l’islam

Jacqueline Chabbi, agrégée d’arabe, professeur honoraire des Universités, a toujours soutenu que les études coraniques devaient considérer Mohamed « comme un homme de son temps et non pas comme une figure sécularisée » (p. 352) (cf. son livre : Le Seigneur des tribus : l’islam de Mahomet.- Paris : Noésis, 1997). Mohamed s’adressait à ses contemporains nomades respectant  leurs codes et leurs traditions tandis que l’interprétation de son discours  donnée cent ans plus tard est la création d’Arabes urbains détribalisés. Quant aux trois piliers de l’islam, ils sont, dans l’esprit de J. Chabbi, l’alliance, la guidance et le don.

Le terme d’Allah apparaît 2700 fois dans le Coran ; il est mentionné aussi comme «Rabb» (Sourate LIII 49), ArRahman, Illah (XLIII 84), Aliha (34 fois). Allah est le Donateur par excellence. Pour les Bédouins, alors polythéistes, la Kaaba était alors réputée pour ses deux bétyles ; les hommes devaient remercier le Donateur («Razzaq») pour ses dons de flore (arbres fruitiers, céréales dans XVI 11 à 15), de lin pour les  robes (XVI 81) et de  faune «les chameaux que vous montez» (XL79). Les influences extérieures  proviennent  de la Bible comme  les 6 jours de la Création (L 38), Adam, la noyade des Noachiques sans description du Déluge (LXXI 25). Des sources sassanides inspirent également la description du Paradis, peuplé «d’éphèbes comme des perles épandues» (LII 24 et LXXVI 19). Pourtant les récipiendaires sont ingrats (LVI 63 à 73) du fait d’un environnement hostile. Le désert, où l’on meurt de soif (LXXIII 13) représente l’enfer («djahanam», mot  éthiopien, mentionné 80 fois et devenu le français « géhenne »). La chaleur du sol s’appelle «ramad», d’où le nom de «ramadan» (p.58); les tempêtes de vent et les attaques tribales terrorisent la population (p.77).

L’ouvrage privilégie le facteur social. Le «premier islam» est dominé par une anthropologie native, celle de l’Alliance de Dieu offerte (imposée ?) aux hommes.  Le Coran présente dans les sermons aux Bédouins non pas des promesses eschatologiques mais l’appât du butin (« maghânim »). Dans la société du prophète, l’obéissance est temporaire, ce qui explique la défaite d’Uhud où le fondateur de l’islam se retrouva presque seul.  Quant à la description à connotations sexuelles du paradis, les « houris, jouvencelles aux seins formés » (LXXVIII 33)  sont les jeunes esclaves habituellement destinées à la défloration (LV 56 et 74) ; la prime supplémentaire est que leur virginité se renouvelle et qu’elles sont « désirantes » (LVI 36).

Le concept de Guidance apparaîtra 150 ans plus tard. Des musulmans d’Asie Centrale, Boukhari, Muslim, Tirmidhi, authentifient les hadiths et les « populations du Califat du IXe siècle fabriquent une religion et des mythes sans rapport anthropologique avec les Arabes » (p.351) ; La « charia » qui désigne dans le Livre  la nappe d’eau rare affleurant sur le sol  prendra le sens de « législation religieuse ». « La première dogmatisation de l’islam est donc construite hors société d’origine » (p.48 et p.257) ; à cette époque apparaîtront les titres des sourates et des commentaires anachroniques comme l’évocation des querelles entre Abbassides et Hassanides (XXVI 214) ou le changement de sens du mot « din » (en pahlevi : « voie ») devenu « religion »,  conduisant à condamner abusivement des « apostats » (p.212 et 227). Dans IX 5, « Uqtulu » est interprété comme « Tuez » alors que le sens initial est « Combattez ». Les versets III 169 et 170  assurent l’impunité et une postvie radieuse : « Ceux qui ont tué pour la cause de Dieu sont en vie, recevant tout ce dont ils ont besoin. Ils sont pleinement satisfaits (III 169 et 170) et « ils auront des épouses purifiées et ils y resteront toujours » (II 190).

Le Coran, ainsi interprété par J. Chabbi[1], nous dévoile la société dans laquelle il a été révélé et de ce fait les erreurs postérieures d’interprétation instrumentalisées par les régimes autocratiques omeyyade, abbasside et aujourd’hui par les mouvements terroristes de l’islam radical. L’auteure regrette que : « le Coran soit un objet de représentation et d’appropriation. Il serait souhaitable qu’il devienne un peu plus un objet de savoir » (p.9).

Une bibliographie (p.353 à 355) et un glossaire sélectif très utile (p.357 à 373) complètent une œuvre[2] d’une remarquable rigueur scientifique comme on peut l’attendre d’une des principales disciples de Mohammed Arkoun.

Christian Lochon

 

[1] Jacqueline Chabbi a donné une conférence au Collège des Bernardins, le 09/10/2017, à l’occasion du colloque « Chercheurs de l’autre », consacré à l’action des dominicains de l’IDEO, du Caire. Pour écouter la conférence de Jacqueline Chabbi sur La violence dans le Coran des origines : discours et réalité, présentée par le fr. Emilio  Platti, membre de l’IDEO, cliquer sur le site des Amis de l’IDEO  et aller au point 3, du colloque (durée : 1h)

[2] Ce livre a été réédité, en mars 2018, dans la collection Points. Essais ; 847.- 466 p.-11 €, avec une postface inédite de Jacqueline Chabbi, intitulée : Rendre le passé de l’islam à son histoire