Titre

Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale

Sous titre

Trajectoires dissidentes (1934-1965)

Auteur

Pierre-Jean Le Foll-Luciani

Type

livre

Editeur

Presses Universitaires de Rennes, 2015

Nombre de pages

540 p. avec un cahier de 72 photos

Prix

25 €

Date de publication

4 février 2016

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Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale

Passer d’un fait anecdotique et des histoires personnelles à une réflexion sur l’Histoire, c’est tout l’intérêt de cet ouvrage, issu d’une soutenance de thèse. Qui sait ou se rappelle, en effet, qu’une poignée de juifs, nés sur la terre de l’Algérie colonisée des années 30, a milité et s’est impliquée dans le combat pour l’indépendance ?

Cet engagement, pour minoritaire qu’il soit, méritait d’être scruté et contextualisé, non seulement dans ses origines et ses pratiques, mais aussi avec le recul de plus de cinquante ans après la naissance de l’Algérie d’aujourd’hui. L’auteur[1] a rencontré et interrogé, entre 2005 et 2013, une quarantaine de témoins, acteurs de la lutte contre le colonialisme. Et leurs parcours individuels ou collectifs font l’objet des deux dernières parties de l’ouvrage : leur militance avant 1954 et leur plus ou moins forte participation à la lutte aux côtés du FLN[2]. C’est si bien raconté qu’on se surprend à entrer en grande empathie avec ces « héros » qui sont allés au bout de leurs utopies, avec leur générosité, leur foi en l’avenir, mais aussi leurs échecs, leurs désillusions et leurs regards, teintés parfois d’une ironie amère, sur ce qui est advenu.

Mais c’est la première partie qui ouvre le plus de perspectives intéressantes, aussi bien historiques que géopolitiques, psychologiques, ethniques, etc. En effet, que veut dire « être juif » en milieu musulman colonisé ? Comment cette judéité était-elle vécue ? Le décret Crémieux de 1870, accordant la nationalité française aux Juifs – alors que les musulmans restent des citoyens de seconde zone – va créer un premier fossé entre les appartenances religieuses. Être juif, c’est alors être français, donc du côté du colonisateur. En 1940, sous Vichy, la nationalité française est retirée aux juifs, ce qui les renvoie à leur condition initiale de colonisés. Ces atermoiements vont constituer le terreau de la contestation de ceux qui vont avoir vingt ans dans les années 1950. Judéité ou francité ?

Certains, athées de longue date et déçus de la France, chercheront ailleurs une identité et un idéal qu’ils trouveront souvent dans le Parti communiste.

Avec l’insurrection de 1954 s’ajoutera une troisième pointe du triangle identitaire : l’algérianité. Nés sur le sol algérien, les juifs y sont enracinés parfois depuis plus longtemps que bien de leurs voisins musulmans. Ils rêvent d’une Algérie libre, ouverte et accueillante, un pays où toutes les composantes ethniques, religieuses, sociales… s’attèlent à la même tâche : la création d’une nation nouvelle. Pour la plupart, leur appartenance au Parti communiste – de tendance internationaliste – va les éloigner des sirènes nationalistes et populistes du FLN.

En 1963, après l’indépendance, le code de la nationalité algérienne précisera : « Est Algérien(ne), toute personne dont au moins deux ascendants en ligne paternelle sont nés en Algérie et y jouissaient du statut musulman. » Ce qui revenait à exclure n’importe quel Européen ou Juif. L’un des témoins cités dans le livre, juif mais antisioniste, interpellera le chef du gouvernement algérien, l’accusant de faire le jeu d’Israël, puisqu’avec une référence religieuse, on exclut ceux qui n’en sont pas, donc les Palestiniens là-bas… Et il est vrai que ce code de la nationalité doit être remis dans la perspective de l’époque : montée du nassérisme, conflit israélo-palestinien, obligation pour les Européens – sous la pression de l’OAS[3] – de quitter l’Algérie. En 1970, il n’y aura plus de juifs en Algérie.

L’ouvrage de Pierre-Jean Le Foll-Luciani est donc l’histoire d’une utopie, celle d’une poignée d’hommes et de femmes qui ont cru pouvoir créer une société égalitaire, tolérante et ouverte. C’est surtout une réflexion sur les questions d’identité, de démocratie, de la construction d’un État et d’une Nation. Et la géopolitique reprenant ses droits, on s’aperçoit que ce sont les mêmes que celles de notre actualité où, en Irak, en Turquie, au Liban, en Syrie avec l’ombre de Daech, on risque les mêmes échecs avec les mêmes causes : violences, intolérances religieuses, négation de la démocratie… Pourtant, l’espoir perdure, comme l’exprime, en 2008, l’un des témoins réfugié en France depuis 1962 : « Est-ce qu’on peut être en même temps Français et Algérien ? Oui. Et Juif ? Oui. »

Claude Popin

 


[1] Pierre-Jean Le Foll-Luciani, ancien élève de l’ENS de Lyon (2005-2009), est agrégé (2008) et docteur en histoire (2013). Il a publié en 2012, aux Presses Universitaires de Rennes, un livre d’entretiens avec William Sportisse, Le Camp des oliviers. Parcours d’un communiste algérien. Le présent ouvrage est issu de sa thèse de doctorat.

[2] Créé en novembre 1954 pour obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, le Front de libération nationale (FLN) et sa branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN) commencent alors une lutte contre l’empire colonial français. Par la suite, le mouvement s’organise et, en septembre 1958, le FLN forme le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). C’est avec le GPRA que la France négocie en 1962 les accords d’Évian. Aujourd’hui (en février 2016), le FLN est un parti politique algérien présidé par le président de la république, Abdelaziz Bouteflika.

[3] L’Organisation de l’armée secrète, surtout connue à travers le sigle OAS, est une organisation politico-militaire clandestine française, créée le 11 février 1961 pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme.