Titre

Les approches chrétiennes de l’islam

Sous titre

Tensions, déplacements, enjeux

Auteur

Michel Younès ; préface de Dominique Avon

Type

livre

Editeur

Paris : Cerf, 19/11/2020

Collection

Patrimoines

Nombre de pages

364 p.

Prix

29 €

Date de publication

2 mai 2021

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Les approches chrétiennes de l’islam, tensions, déplacements, enjeux.

Professeur de théologie à l’Université catholique de Lyon (UCLy), Michel Younès est spécialiste de la théologie islamique ashʿarite1 et enseigne la théologie des religions. Cet ouvrage, publié aux éditions du Cerf, est le fruit de recherches entreprises depuis plusieurs années dans le cadre d’une HDR [habilitation à diriger des recherches] dont le Professeur Dominique Avon est le garant. C’est lui qui en signe la préface. La question fondamentale qu’il pose est de savoir comment théologiquement, il convient d’appréhender l’islam. Cette question a donné lieu dans l’histoire à de multiples appréhensions.

La Pentologie de Youakim Moubarac, prêtre maronite libanais, disciple de Louis Massignon, en donne une présentation précise au cours de l’histoire du christianisme et de ses différentes obédiences (catholiques, orthodoxes, protestantes)2. Michel Younès reprend ainsi en partie ces perspectives plurielles, mais il les enrichit des résultats récents et du renouvellement des hypothèses proposés par l’islamologie. Comme il le définit, “l’islamologie ou les sciences islamologiques se veulent à distance du savoir religieux islamique classique (les ʿulūm al-dīn, ʿulūm al-Qurʾān et autres catégories du fiqh) et indépendantes du sens théologique que cela engage.” (p. 21). Cette indépendance posée et reconnue, les résultats de la recherche sur l’islam des origines et bien sûr l’histoire du Coran, ne sont pas sans incidence sur la manière de penser théologiquement l’islam.

Dans la mesure où la théologie chrétienne a très largement intégré l’approche historico-critique à l’appréhension de ses objets de recherche, on ne voit pas comment une réflexion en théologie chrétienne sur l’islam pourrait faire l’économie de ces données nouvelles. Ainsi, la question axiale que Michel Younès pose revient à se demander dans quelle mesure l’apport récent de l’islamologie conduit à repenser théologiquement le statut de l’islam ? La question se double dès lors qu’il s’agit de prendre en compte les recherches de savants musulmans qui, tout en se revendiquant dans le champ des sciences islamiques, proposent une relecture audacieuse et parfois originale de l’islam, à l’instar du savant Shabab Ahmed3.

Si la pluralité de l’islam est acquise – ce qui induit aussi celle de ses statuts théologiques –, Younès s’interroge sur le fait qu’une majorité d’islamologues chrétiens ait pu privilégier dans le passé un type d’islam, notamment l’islam soufi (p. 22). Mais les temps ont changé et aujourd’hui, les approches, plus éclatées, assument les nouvelles recherches qui viennent enrichir, confirmer ou infirmer certaines hypothèses passées. À la lumière de la distinction posée par le Père George Chehata Anawati entre un courant minimaliste, un courant maximaliste et une via media, Younès s’efforce ainsi de situer les différentes recherches et les positions chrétiennes sur l’islam selon ces trois courants d’interprétation théologique (p. 56)4.

Le plan de l’ouvrage montre la diversité des “entrées” possibles issues des différents domaines de la recherche : dans une première partie Younès étudie l’univers religieux de la péninsule arabique à la naissance de l’islam, le hiatus entre les approches traditionnelles islamiques du Coran et les approches historico-critiques. Théologiquement, il est question de voir dans le Coran comme “une parole révélée de Dieu” avec des auteurs comme Jacques Dupuis, Claude Geffré et plus encore Christian de Chergé.

Le troisième chapitre est consacré au messager de l’islam. Younès pose la question polémique de savoir s’il est un envoyé ou un chef de guerre. Du point de vue théologique, il rapporte les hypothèses d’un “prophète négatif” (Massignon), d’un “prophète directif” (Ledit), d’un prophète monothéiste et humaniste (Küng), d’un prophète partiel (Caspar), d’un prophète biblique (Giulio Basetto-Sani) ou encore d’un prophète qui emprunte la voie des prophètes et aurait joui de lumières prophétiques partielles (Journet).

Dans un quatrième chapitre, il traite de la foi musulmane et de ses points communs ou antagonistes avec la foi chrétienne. Là encore, la via media consiste à dépasser les visions maximalistes et minimalistes. Il la trouve chez Maurice Borrmans dans “l’attitude d’hospitalité spirituelle” du chrétien à l’égard du credo islamique (p. 184).

Parce que l’islam est aussi une praxis, le cinquième chapitre aborde la question des rites et des actes d’adoration. Quelle valeur théologique accorder à l’adoration du Dieu unique, à la prosternation quotidienne, au pèlerinage et au djihād ? À partir de Caspar, de Sanson et de Borrmans, il montre la possibilité d’une appréhension “conjuguant similitudes et différences suivant une logique analogique” (p. 206).

Le chapitre sixième traite de l’anthropologie musulmane : la via media y est plus difficilement perceptible en raison d’une dichotomie marquée entre l’anthropologie chrétienne fondée sur l’incarnation et une théologie musulmane qui tend majoritairement vers l’affirmation d’un volontarisme divin. Mais là encore, les réactions musulmanes à la conférence de Ratisbonne de 20065 et surtout le document sur la fraternité humaine signée par le pape François et l’Imām Aḥmad al-Tayyeb6 ouvrent à une vision anthropologique commune (p. 248).

Le septième chapitre est consacré à l’umma islamique et Younès pose la question de sa nature : est-elle une communauté de croyants ou une organisation politique ? Il montre qu’en règle générale, les théologiens ont toujours abordé cette question en soulignant l’imbrication entre le politique, le religieux, le sociétal et le juridique (p. 282). Mais il est intéressant de rapporter les tentatives récentes de musulmans pour séparer définitivement les dimensions religieuse et politique au sein de l’islam à l’exemple de Abdelrazziq ou Shahrūr.

Enfin, la dernière partie aborde la question du dialogue islamo-chrétien qui est devenue pour certains chrétiens cause d’un “malentendu”. La tension entre dialogue et annonce est parfois mobilisée pour discréditer le dialogue islamo-chrétien. Il reste que le dialogue théologique “à temps et contretemps” (Borrmans) en recourant à l’analogie, reste vital.

Cet ouvrage est une mine bibliographique qui permet non seulement de rendre compte des recherches récentes en islamologie mais aussi de leurs incidences théologiques. S’il ne prétend pas à l’exhaustivité, il constitue néanmoins un panorama précieux pour tout étudiant francophone qui aspire à des clarifications théologiques sur la manière de penser l’islam en vue de fonder un dialogue fructueux avec les musulmans.

Fr. Emmanuel Pisani7

1 L’ašʿarisme est l’école théologique la plus importante du IXe au XIXe siècle au sein du sunnisme. Il affirme que Dieu est tout-puissant, créateur du bien et du mal et que le Coran est incréé.

2 Youakim Moubarac, Pentologie islamo-chrétienne, t.2 et t.3, Beyrouth, Éditions du cénacle Libanais, 1972.

3 Shahab Ahmed, What is islam ?, Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2015.

4 George Anawati, « L’Islam à la croisée des chemins : impasse ou espoir ? », conférence du 15 novembre 1985.

Notes de la rédaction

5 Cf. Discours du pape Benoît XVI : Foi, Raison et Université : souvenirs et réflexions, devant les représentants du monde des sciences, à Ratisbonne, le 12/09/2006.