Titre

Le professeur et le patriarche

Sous titre

Humanisme spirituel entre nationalismes et mondialisation

Auteur

Andrea Riccardi ; traduit de l'italien par Bernard Gandelot ; avec la collaboration de Robert Sctrick

Type

livre

Editeur

Paris : Cerf, 2020

Nombre de pages

343 p.

Prix

24€

Date de publication

7 août 2021

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Le professeur et le patriarche.

C’est un livre lumineux, à la vision simple, au cœur pourtant d’une extrême complexité lorsque l’on écoute la multiplicité des voix qui s’y expriment. Il est centré sur l’interaction de trois personnalités marquantes, de générations et d’horizons différents, le patriarche Athénagoras, le professeur Olivier Clément et l’auteur lui-même, historien et fondateur de la communauté de Sant’Egidio. Tous les trois communient dans une vision du christianisme comme ferment d’unité au milieu des sanglantes convulsions de ces deux derniers siècles.

Athénagoras, le patriarche œcuménique de Constantinople, est né dans l’Épire ottomane devenue ensuite l’Albanie. Oriental revendiqué, il s’est plu aux États-Unis, où il a longtemps été évêque dans la diaspora grecque. Décédé en 1971, il est d’une génération qui a connu, antérieurement à la première guerre mondiale, les massacres de la fin de l’empire ottoman et les inexpiables guerres balkaniques, véritables préludes au conflit qui allait ensanglanter l’Europe en 1914 et lui retirer la suprématie mondiale au profit des États-Unis.

Athénagoras, le Méditerranéen, est à un carrefour. Il est élu patriarche œcuménique après la seconde guerre mondiale, dans le contexte de la guerre froide. Son élection tient à des raisons très politiques, son attachement à la démocratie occidentale venant contrebalancer l’influence au sein de l’orthodoxie d’une Église russe étroitement dépendante du pouvoir soviétique. Mais il a toujours une haute estime pour l’Église russe, conscient de la manière dont le communisme, faute d’avoir pu l’éradiquer, la met à son service, et ayant un profond respect pour ses innombrables martyrs.

Le siège du patriarcat œcuménique à Istanbul, le Phanar1, est comme une dernière trace de la présence grecque en Turquie. Les nationalismes turc et grec s’opposent, ce dernier en position de victime. Athénagoras n’a jamais accepté d’entrer dans leur jeu. Oriental, mais citoyen du monde (p.205). Il s’est fait connaître sur la scène mondiale par sa relation profonde et amicale avec Paul VI au long du concile Vatican II. Le pape d’une Église forte de son milliard de fidèles entre en communion avec le fragile patriarche d’une infime minorité chrétienne. C’est à ce moment que 1968 va balayer le monde et ébranler les Églises.

Olivier Clément, le professeur, s’introduit comme l’interlocuteur du patriarche au cours d’une visite qu’il lui fait, précisément, en août 1968, en vue de rédiger un livre de “Dialogues”2.

Né en 1920, Olivier Clément vient d’un milieu ouvrier, de tradition laïque et anticléricale, très éloigné du catholicisme. Il découvre le christianisme au cours des années 1940 à travers la mystique orthodoxe de l’émigration russe. Il est enthousiasmé d’y trouver un spirituel ouvrant sur l’universel.

Professeur de philosophie dans un grand lycée parisien, il se forme à la théologie, l’enseignant à l’Institut orthodoxe Saint-Serge de Paris. Dans la tourmente de 1968, il vit mal la rupture de génération qui s’opère entre lui et ses étudiants. La mise en question de son rôle de professeur le blesse, car il en avait l’idée la plus haute, selon la tradition de l’école laïque française. Il souffre de voir s’estomper une vision à la fois universaliste et émancipatrice issue des Lumières. La crise lui est aussi douloureuse en ce qu’elle est spirituelle, car le rejet du christianisme qu’affiche cette jeunesse lui apparaît comme un malentendu : elle veut détruire ce à quoi, en fait, elle aspire. C’est dans ces dispositions d’esprit que le Professeur va rencontrer le vieux Patriarche à Istanbul. On connaît la suite de son œuvre, jusqu’à sa mort à Paris en 2009.

L’auteur du livre, héritier spirituel d’Olivier Clément, entre alors en scène. Andrea Riccardi n’a pas connu le Patriarche qui est mort juste avant qu’il ne se rende, encore étudiant, à Istanbul. Historien, il est un ami proche d’Olivier Clément. Il lui a rendu visite jusqu’au jour de sa mort. Son ouvrage porte sur le Professeur un éclairage nouveau à partir de témoignages inédits confiés par son épouse Monique, des carnets personnels et des lettres. Il a tiré le meilleur parti de ces sources. Mais il est surtout impliqué dans la démarche spirituelle et universaliste de ses deux aînés, qu’il a reprise en fondant la communauté de Sant’Egidio, précisément en octobre 1968, dans la mouvance des événements en cours, alors qu’il a tout juste 18 ans. Les pensées, les motivations et les actes de ses deux héros sont cela même qui a inspiré sa vie, et qui s’incarne toujours dans la communauté qu’il a fondée3.

Le livre d’Andrea Riccardi4 est une réflexion profonde sur les questions les plus brûlantes de la société contemporaine, mondialisation et xénophobie, action politique et réalités religieuses, islam et christianisme, courants contradictoires du christianisme, sécularisme et spiritualité. Entre Orient et Occident, il met au centre la question sociale, la prise en compte des plus pauvres, un impératif évangélique toujours récusé par une société de la réussite et de l’indifférence.

Le christianisme n’a pas d’ennemi. C’est dans cette conviction, née de l’injonction évangélique : “Aimez vos ennemis”, que communient Andrea Riccardi et les deux grands disciples du Christ dont il se fait le héraut, le Professeur et le Patriarche.

Jean-Bernard Jolly

Administrateur de Chrétiens de la Méditerranée

2 Clément, Olivier. Dialogues avec le patriarche Athénagoras. Paris, A. Fayard, 1969 (réimpr. 1976), 589 p.

4 L’original italien, Il professore e il patriarca, cite de nombreux ouvrages, dont certains sont écrits en français. Ils n’apparaissent en notes que dans leurs traductions italiennes. Une seconde édition pourra sans doute restituer leurs titres et références.

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