Titre
Le pasteur et l'évêque.Sous titre
Lettres pour faire tomber les murs.Auteur
Samuel Amédro et Jean-Paul VescoType
livreEditeur
Genève (Suisse) : Labor et fides, 2023Nombre de pages
127 p.Prix
15 €Date de publication
15 août 2024Le pasteur et l’évêque : lettres pour faire tomber les murs.
Le sous-titre, “Lettres pour faire tomber les murs” donne une grande ambition à ce petit livre. Car, manifestement, il ne s’agit pas seulement des murs entre les Églises des deux correspondants. Et là s’introduit l’éditrice, qui apparaît bien, dans son “Mot” inaugural, comme l’initiatrice de l’échange. Il s’agit de Marion Muller-Colard, théologienne protestante et pasteur, dont les livres ont connu une large diffusion. Ne citons que L’intranquillité (Bayard, 2016)1. Derrière les murs entre les Églises, se profilent ceux qui divisent la société contemporaine et y entretiennent l’animosité.
Le livre est réparti en thèmes sur lesquels le pasteur2 et l’évêque3 se répondent. Passons ces thèmes en revue sans chercher comment ils se suivent et s’articulent.
– “L’Église est-elle en bonne santé” (S. Amédro) a pour écho “Ma sœur la maladie” (J.-P. Vesco). Le pasteur passe en revue tout ce qui est signe de mauvaise santé dans son Église, et constate que ces signes ne lui sont pas propres. Il pose ainsi la question de la (sur)vie de la foi chrétienne dans le monde actuel. Il aboutit à trois traits attestant de sa vitalité dans les traditions protestantes : la pluralité théologique, le fonctionnement “synodal” et l’appel à être semper reformanda, toujours en cours de réforme.
L’évêque lui répond par l’exemple de la maladie grave, vécue par un ami : un cancer. Une fois surmontée, elle ne laisse pas comme avant. Au contraire elle suppose un sursaut de vie. N’en serait-il pas de même pour l’Église ?
– “S’émerveiller”, dit le pasteur. “Donner en vie”», répond l’évêque. Au-delà des constats implacables de la sécularisation, l’Église luthéro-réformée a “soif de vie vivante” (p.40). Dans une rapide esquisse historique, Samuel Amédro voit disparaître un protestantisme rural, poussé au désert par la persécution, et croître un protestantisme urbain, qui retrouve le dynamisme de la Réforme, animé de l’envie de communiquer, par l’imprimerie au 16ème siècle, aujourd’hui par les médias modernes. Avec la responsabilité plus large d’évêque qui lui est incombée, Jean-Paul Vesco évoque cette “en-vie” que doit donner le message du Christ. Il rappelle que le christianisme s’est construit sur le martyre (p.49), le témoignage, et il n’est jamais mieux lui-même qu’en tant que minorité, à l’image de l’Église du Maroc, exhortée, par le Pape François, à “susciter changement, étonnement et compassion” (p.50).
– Dans “Faisons de la Mission notre joie”, Samuel Amédro rappelle le besoin qu’a l’Église de grandir, au-delà des ambiguïtés du terme “Mission”. Cela peut être une réponse à un “appel au secours” (p.56). Y a-t-il compétition entre les modèles missionnaires ? Il faut plutôt penser, avec Yuval Noah Harari que le succès de Sapiens4 dans l’évolution tient à sa capacité de coopération (p.58). Dietrich Bonhoeffer parlait de l’Église comme “transpercement du monde” (p.60), par la présence de Dieu qui transfigure. J.-P. Vesco est conduit par là à une méditation sur “Église et Royaume”, critiquant la tentation prosélyte (p.63) et affirmant : “L’Église est au service du Royaume mais elle n’est pas le Royaume” (p.68), une Église comprenant des chrétiens et des non-chrétiens.
– “Puissions-nous répondre aux questions vitales”, exhorte le pasteur. Et il en cite quatre (p.72) : aimer et être aimé, vivre une vie digne, à quoi ça sert de vivre, que pouvons-nous espérer en lien avec l’absolu (p.84). Pour l’évêque, cela pose la question : “Quête de sens ou quête de repères” (p.89). Jésus a parlé à des personnes assoiffées de sens et notre époque retrouve cette quête. Sa question la plus cruciale est peut-être celle “d’aimer et d’être aimé” (p.93), “le plus haut de l’aspiration humaine, le plus haut de l’aspiration évangélique” (p.94).
– “L’Église comme laboratoire”, pour le pasteur (p. 97), appelle, de la part de l’évêque, à “Faire advenir l’inouï” (p. 103). Le laboratoire est le lieu où apparaît la nouveauté, où est produite la recherche, et l’Église est le lieu d’une expérience de la contemplation. J.-P. Vesco est réticent par rapport à la formule “experte en humanité” pour qualifier l’Église (p. 106), au vu de ses défaillances. Il dit que l’Église a “davantage besoin de témoins que d’experts” (p. 107).
– “Devenir des enfants”, c’est la formule évangélique sur laquelle s’arrête Samuel Amédro, la commentant par Bonhoeffer et reprenant la métaphore de Nietzsche sur le chameau, le lion et l’enfant (p. 109). J.-P. Vesco invite en réponse à “Vivre son présent à partir de son futur” (p. 113).
– Un dernier dialogue vient en conclusion, lancé cette fois par l’évêque, avec cette parole finale du pasteur : “S’accorder pour servir” (p. 121). Il note que leur accord s’est exprimé sur le fond d’un rapport à l’islam qu’ils ont expérimenté l’un comme l’autre : l’accord, en arabe, se dit Al Mowafaqa, et c’est l’appellation de l’Institut œcuménique de théologie5 dont la fondation au Maroc, en 2012, a été saluée par les responsables musulmans (p. 126).
Ce petit livre est sans doute à goûter par morceaux, tant sont denses et parfois foisonnantes les réflexions qu’il porte. Il s’agit bien de théologie, et exigeante. Mais elle est située dans le flux de la vie et dans l’expérience croyante de deux témoins de l’Évangile en notre temps.
Jean-B. Jolly
Membre du Bureau de CDM
Notes de la rédaction
1 L’intranquillité / Marion Muller-Colard.-Bayard, 2016
2 Samuel Amédro est pasteur de l’Église protestante unie de France (EPUdF), et président de son Conseil régional d’Île-de-France.
3 Jean-Paul Vesco est archevêque d’Alger