Titre
Le milieu des mondesSous titre
Une histoire laïque du Moyen-Orient de 395 à nos joursAuteur
Jean-Pierre FiliuType
livreEditeur
Paris : Seuil, sept. 2021Collection
HistoireNombre de pages
378 p.Prix
25 €Date de publication
28 août 2022Le Milieu des mondes : une histoire laïque du Moyen-Orient de 395 à nos jours
En 395 de notre ère, Théodose partage l’Empire romain entre ses deux fils, Honorius et Arcadius, fondant l’Empire romain d’Orient, qui durera plus de 1 000 ans jusqu’à la prise de Constantinople, le 29 mai 1453. Ainsi, en ce début de IVe siècle, deux empires vont dominer le Moyen-Orient : Byzance et la Perse sassanide. Durant près de deux siècles, ces deux puissances vont cohabiter dans une paix relative avant de se déchirer jusqu’à l’épuisement dans un conflit qui les laissera tellement affaiblies qu’elles ne pourront résister à la formidable poussée des combattants de l’Islam, venus de la péninsule arabique.
A la mort de Mahomet en 632, des conflits éclatent entre les divers prétendants à sa succession, provoquant une scission de l’Islam en deux courants, sunnites et chiites : les Omeyyades sunnites l’emporteront. Amputant l’empire byzantin de la plus grande partie de son territoire, annexant la totalité de l’Empire perse sassanide, ils transféreront le siège du pouvoir de Médine à Damas, dépouillant ainsi l’Arabie de sa prééminence politique. Le Moyen-Orient omeyyade (661-750), sunnite mais à majorité chrétienne, sera remplacé par la dynastie abbasside qui installera le siège du califat à Bagdad, nouvellement construite par Al Mansour. Au Xe siècle, venu de Tunisie un califat concurrent, celui des Fatimides, d’origine ismaélienne (dissidence du chiisme) conquerra une Égypte, majoritairement sunnite, et y fondera une nouvelle capitale, Le Caire. Saladin mettra fin au califat fatimide en 1171 et supprimera le rite ismaélien.
Durant les trois siècles qui suivront, Seldjoukides, au nord, Mamelouks, au sud, se partageront le Moyen-Orient dans un jeu de pouvoir complexe, troublé par un siècle de Croisades ; par la double invasion des Mongols (Hulagu puis Tamerlan1) qui domineront la Perse ; par la peste noire… Au XIVe siècle, les Ottomans, d’origine turque, grignotent peu à peu l’empire byzantin, bientôt réduit à une langue de terre entourant Constantinople qui tombera sous les coups de Mehmet II2, constituant ainsi un empire immense. En Perse, Ismaïl Ier fonde en 1501 la dynastie safavide, proclame le chiisme comme religion officielle et prend le titre de Shah. Ottomans et Perses safavides puis qadjars contrôleront le Moyen-Orient jusqu’à la guerre de 1914.
Le XIXe siècle marque, dans le monde, une ère de modernisation, initiée au Moyen Orient par l’expédition d’Egypte de Bonaparte mais vite bridée par les visées coloniales des puissances européennes niant toutes aspirations émancipatrices à ces sociétés, partant du “diagnostic d’une inexorable décadence des Empires ottoman et perse”. Pourtant l’éveil d’une véritable conscience arabe se concrétise par la Nahda3, mouvement de renaissance culturelle, religieuse et politique, d’où émergent des idées de liberté, de nation, de dignité et d’identité arabe.
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Après la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman disparait, laissant la place à la République de Turquie ; la France et la Grande-Bretagne4 s’en partagent les restes. Une nouvelle dynastie, les Pahlavi, dirige la Perse, devenue l’Iran en 1935. Le demi-siècle qui suit (1922-1971) sera marqué par le cycle des indépendances arabes5 soutenues par leurs élites luttant avec une grande opiniâtreté à se libérer des tutelles étrangères, puis, après 1945, dans le contexte de la guerre froide, par des putschs militaires, par des guerres (Israël, Iran-Irak), par la fondation de la République islamique d’Iran. Le dernier acte, à partir de 1990, se joue avec les États-Unis, entrés sur la scène moyen-orientale en 1945 avec le Pacte américano-saoudien : guerres du Golfe, plans de paix israélo-palestiniens avortés, occupation de l’Irak, etc.
Comment comprendre ces multiples crises qui secouent le monde arabe depuis plus d’un demi-siècle ? Plongent-elles leurs racines dans son lointain passé ? Jean-Pierre Filiu montre, au contraire et de manière convaincante, que ce mélange de la politique et du religieux qui domine aujourd’hui dans cette région ne se retrouve qu’exceptionnellement dans sa très longue histoire : les guerres, nombreuses, opposèrent rarement deux blocs cohérents en termes d’appartenance religieuse ou ethnique et l’antagonisme sunnite-chiite ne se concrétisera que tardivement dans la confrontation entre les Ottomans et les Perses safavides.
On est loin des stéréotypes développés aujourd’hui, loin du “choc des civilisations” cher aux néoconservateurs américains. C’est en cela que le livre très documenté de Jean-Pierre Filiu6, Le milieu des mondes, propose une approche “laïque” de la très longue histoire du Moyen-Orient, changeant notre regard sur une histoire contemporaine faite d’affrontements, de violence mais aussi d’espoirs ténus.
Le livre de Jean-Pierre Filiu est complété par un appareil didactique très complet : vingt cartes très éclairantes retraçant l’histoire de la région, des chronologies en fin de chaque chapitre, et deux index.
Francis Labes
3 Cf. Nahda, la renaissance arabe, en note 1 d’une précédente recension de : Le monde arabe en morceaux
4 La Conférence internationale de San Remo, en 1920 établit les “mandats” de la France et de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient : à la France, le Liban, la Cilicie et le littoral syrien (zone bleue), ainsi qu’une zone d’influence allant de Damas et Alep jusqu’à Mossoul ; à la Grande-Bretagne, le contrôle direct des provinces de Bagdad et de Bassora (zone rouge), en plus d’une zone d’influence allant du Jourdain jusqu’à Kirkouk.
5 Indépendance (formelle) de l’Égypte en 1922 et de l’Irak en 1932, du Liban en 1943, de la Syrie en 1946.
6 Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po (Institut d’Etudes Politiques de Paris) et chercheur au CERI, anime depuis 2015 sur le site du quotidien Le Monde le blog “Un si proche Orient”.