Titre

L'Algérie et la France

Sous titre

Deux siècles d’histoire croisée

Auteur

Gilbert Meynier

Type

livre

Editeur

Paris : L’Harmattan, 2017

Collection

La Bibliothèque de l’IREMMO

Nombre de pages

104

Prix

12 €

Date de publication

13 octobre 2018

L’Algérie et la France

Court, dense et original : ces trois qualificatifs semblent devoir s’appliquer à cette étude historiographique d’un spécialiste des relations France-Algérie, publiée par l’Institut de Recherche et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (IREMMO).

L’originalité, c’est de ne pas écrire l’histoire, mais de la transcender pour mieux la comprendre. On ne trouvera donc pas ici une énième relation des faits, des acteurs ou des dates. L’auteur les suppose assez connus et familiers pour se réserver de contextualiser les événements,  les analyser, les inscrire dans le temps. On verra ainsi comment l’Algérie a été insérée, bien malgré elle, dans le « roman français » (on ne l’a fait exister qu’à partir de 1830…) ; comment un certain racialisme a permis de se distancer des « indigènes », de les diviser pour régner en misant sur les « Berbères » (Kabyles) au détriment des « Arabes » ; comment les ancrages culturels de l’Algérie s’inscrivent dans un monde méditerranéen, marginalisé dès le  XVIe siècle. La non reconnaissance de ce qu’ils sont, avec toutes les injustices qui en découlent, conduira les Algériens à se chercher une identité de substitution que beaucoup trouveront dans une islamo-arabité, alors que d’autres seront amenés à envisager l’option militaire : la guerre.

Ces quelques exemples (il y en a beaucoup d’autres) suffisent à dire l’intérêt de ce survol des événements pour les envisager dans leur globalité, expliquer les mouvements profonds et les courants qui les portent. D’où la densité de cette écriture qui ouvre des nouvelles perspectives à presque chaque page. Les faits prennent alors du sens et les « occasions manquées », plus fantasmées que réelles, de plus de deux siècles d’histoire commune se comprennent mieux dans leur complexité. Il y a bien eu des interconnections entre les deux pays : l’Algérie fait partie de l’histoire de la France, et la France a bien ouvert l’Algérie à une dimension occidentale, alors qu’avec l’emprise ottomane, elle était davantage tournée jusque-là vers l’orient. Gilbert Meynier (1942-2017) reprend ici la belle expression de Germaine Tillion (1907-2008) : « Les ennemis complémentaires ». Les deux histoires sont d’ailleurs si imbriquées que l’auteur voudrait voir la réalisation d’un manuel d’histoire franco-algérien, réalisé par des historiens algériens et français.

Tout cela est dit dans une soixante de pages de texte. Cette brièveté contribue à la densité et à la clarté de l’étude. Conscient de ne pouvoir tout développer, l’auteur recourt à une importante bibliographie, insérée dans des notes explicatives et complétée par des cartes de l’Algérie coloniale et des photographies des principaux acteurs de l’histoire.

Un simple regret sur la forme : la difficulté à repérer les numéros des notes, souvent noyés dans la bibliographie, ainsi que l’utilisation d’une police de caractères trop petite sous les illustrations, pour une lecture confortable.

Tel qu’il se présente, voilà un livre bien écrit, clair, renseigné, qui apporte un plus à l’histoire, puisque le point de vue adopté, l’historiographie, consiste justement à écrire « sur l’histoire » et non « de l’histoire ». Et ce n’est pas si souvent qu’on nous propose une telle hauteur de réflexion globale pour la compréhension de « l’entrelacement algéro-français »[1].

Claude Popin

 

[1] L’historien Gilbert Meynier est mort à Lyon, mercredi 13 décembre 2017, à l’âge de 75 ans. Il laisse derrière lui une impressionnante œuvre sur l’histoire de l’Algérie, à laquelle il a consacré plus de quarante ans de recherches.

Né le 25 mai 1942, à Lyon, père de trois enfants – Hélène, Pierre-Antoine et Jean-Luc –, marié à la militante des droits de l’homme Pierrette Meynier, il était professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Nancy-II depuis 2002. L’historien Benjamin Stora a été l’un des premiers à annoncer son décès sur les réseaux sociaux et à lui rendre hommage. « Un très grand historien de l’Algérie contemporaine », « un homme érudit, méticuleux », salue-t-il. « Un humaniste dont la vie se confond avec l’histoire de l’Algérie », pour son ami l’universitaire algérien Tahar Khalfoune.

Parti à la retraite en 2000, celui que ses amis et confrères décrivent comme un homme intègre, entier, « austère, mais en même temps très fraternel », revient s’installer dans sa ville natale de Lyon. Il est alors très présent sur la scène associative lyonnaise, notamment à La Cimade, association protestante d’aide aux migrants – dont sa femme est une figure –, mais aussi avec l’association Coup de soleil  qui favorise les rencontres autour du Maghreb. « Il aimait le peuple algérien, il aimait parler de l’Algérie », dit le père Christian Delorme, de l’archidiocèse de Lyon, très impliqué dans le dialogue interreligieux, qui salue « un passeur ».