Titre
La Turquie en 100 questionsSous titre
La puissance opportunisteAuteur
Dorothée SchmidType
livreEditeur
Paris : Tallandier, 2023Collection
TextoNombre de pages
320 p.Prix
10,50 €Date de publication
31 décembre 2023La Turquie en 100 questions : la puissance opportuniste.
En 2021, la population de la Turquie atteint 85 millions d’habitants, avec un taux de fécondité de 1,7. 4 millions de Syriens s’ajoutent aux 80% de Turcs ethniques1. La Constitution de 1982 promeut l’égalité entre hommes et femmes mais la Turquie occupe, en 2021, la 133e place [en cette matière] sur les 156 pays du Forum Economique Mondial. Les violences conjugales atteignent 60%, les mariages précoces 20%2.
Les 12 à 15 millions (15 à 20 % de la population) de Kurdes sont discriminés, la Constitution turque confondant citoyenneté et turcité. Le PKK* (1978) d’inspiration marxiste, pratiquant la guérilla depuis 1984, est dirigé par Abdallah Ocalan de sa prison3. En 2014, le Parti HDP** rassemble les Kurdes et la Gauche Alternative mais leurs 67 députés depuis 2018 risquent l’arrestation malgré l’immunité [parlementaire].
La répression des minorités chrétiennes (20%) accélère la chute de l’Empire Ottoman. Les Turcs invoquent en 1915 la légitime défense pour s’en prendre les Arméniens pactisant avec les Russes. Aujourd’hui, réduits à 0,2%, les citoyens chrétiens sont harcelés par les ultra-nationalistes. En 1920, 100 000 juifs résidaient en Turquie. En 2020, réduits à 15 000, ils sont exclus des emplois administratifs.
Les confréries mevlevie et bektachie avaient conservé des rites animistes et chamaniques. Atatürk les dissout en 1925. Les présidents Demirel et Ozal appartinrent pourtant à la [confrèrie] Naqchbandiyé. Puis Fethullah Gülen4 développa sa confrérie qui menaça le régime Erdogan. Les Alévis (15%), chiites dissidents, sont également persécutés
Les succès électoraux du parti islamiste Refah ont permis le succès d’Erdogan. Maire d’Istanbul de 1994 à 1998, il fonde l’AKP*** en 20015. Devenu le premier président de la République élu au suffrage universel en 2014, il impose des changements constitutionnels6. Son style musclé dans les rapports internationaux plaît à son opinion mais les jeunes considèrent l’islam officiel comme une idéologie ringarde. Erdogan perd les mairies d’Istanbul et d’Ankara. La crise économique, la baisse du niveau de vie, la corruption généralisée le fragilisent sérieusement. Le coup d’État en juillet 2016, imputé à Fethullah Gülen, fait arrêter 60 000 fonctionnaires et officiers. L’objectif d’Erdogan est d’éclipser la figure d’Atatürk mais il est desservi par son clientélisme ravageur. Reporters sans frontières classe la Turquie 140e sur 180 pays [pour la liberté de la presse].
Alliés de l’AKP, les 200 000 membres en 1980 des Loups Gris du Parti nationaliste MHP, se sont reconvertis dans la mafia. Ils s’en prennent aux Kurdes en Turquie et aux Arméniens dans la diaspora.
Le PIB de la Turquie la place au 19e rang mondial avec 803 milliards de dollars. Istanbul est devenu un gigantesque hub de communication mondiale. Mais l’économie grise (28% du PIB), à cause de la corruption et de la personnalisation du Régime, entraîne, avec la crise de change permanente, la méfiance des investisseurs étrangers, dont 450 entreprises françaises. La famille Erdogan monopolise la fabrication des drones. L’aventurisme militaire en Syrie, en Libye et le soft power turc au Moyen-Orient, en Asie Centrale, en Afrique de la TIKA (1992), Agence turque de Coopération et Développement, pèsent sur les finances du pays.
La diaspora turque compte 6,5 millions d’expatriés dont 5,5 en Europe en majorité acquis à l’AKP. Ankara fait face à la Russie en Mer noire et dans le Caucase et se heurte à la présence régionale iranienne. Le Prix Nobel Orhan Pamuk7 reproche à l’Union Européenne son manque de fermeté face au régime Erdogan qui multiplie les contentieux territoriaux avec la Grèce et Chypre dans sa volonté de revanche contre l’Occident****.
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer,
Administrateur de Chrétiens de la Méditerranée,
Ancien administrateur de L’Œuvre d’Orient
1 Auxquels s’ajoutent de nombreux Ouzbeks et Kazakhs sunnites et des Azéris chiites.
2 En 2021, la Turquie s’est retirée de la Convention d’Istanbul contre les discriminations de genre.
4 Fethullah Gülen, fondateur de la Confrérie Nourdjou, d’obédience Naqchbandie, créa un réseau d’écoles d’excellence en Turquie et dans les pays turcophones formant des cadres par une pédagogie linguistique et progressiste. Il possédait également un empire médiatique.
5 Erdogan avait étudié dans un lycée religieux (Imamkhatib) refusant d’enseigner la théorie de l’évolution.
6 Démission imposée d’Ahmet Davutoglu en 2016, suppression de la fonction de Premier Ministre, en 2018.
7 Le lecteur consultera avecintérêt la bibliographie (p.319 à 321)
Notes de la rédaction :
* PKK, en kurde, Partiya Karkerên Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan
** HDP, en turc, Halkların Demokratik Partisi, Parti démocratique des peuples
*** AKP, en turc : Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti de la justice et du développement
**** La chaîne Arte a consacré la soirée du mardi 24/10/23, à la Turquie, par deux documentaires de qualité : Turquie, nation impossible (1h30) et La Turquie ou la tentation du pouvoir en Méditerranée (53 mn. Disponible jusqu’au 29/12/2023).
Dorothée Schmid, spécialiste des questions méditerranéennes, dirige le programme ‘Turquie/Moyen-Orient’ de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle a dirigé l’ouvrage La Turquie au Moyen-Orient : le retour d’une puissance régionale ? (2011).