Titre

La toile carcérale

Sous titre

Une histoire de l’enfermement en Palestine

Auteur

Stéphanie Latte Abdallah

Type

livre

Editeur

Montrouge : Bayard, 10/03/2021

Nombre de pages

492 p.

Prix

31,90 €

Date de publication

19 décembre 2021

En savoir plus

La toile carcérale : une histoire de l’enfermement en Palestine

L’épaisseur de l’ouvrage suffit à peine à relater dans le détail la réalité de la vie quotidienne des Palestiniens traqués, incarcérés pour nulle raison ou pour une raison annexe ou pour une vraie raison, mais qui les en blâmerait ?…

Durant la décennie qu’a duré son enquête, l’auteur, Stéphanie Latte Abdallah1, a conversé avec des dizaines de prisonniers dont certains ont été incarcérés, libérés, incarcérés… plusieurs fois, d’où sa réflexion : “ce livre n’est pas uniquement une histoire du Dedans mais de ce lieu tendu entre Dedans et Dehors.” (p.71)

Avec le premier prisonnier de guerre palestinien, détenu à Ramleh, elle évoque le temps où, dit-il, “il ne [se] faisait pas de distinction entre les juifs, les chrétiens et les musulmans”. Mais les choses changent rapidement et bientôt, tous les jours, il y a des dizaines d’arrestations.

Une légère différence est notée entre la période 1948-1967 d’une part, et depuis juin 1967 -après la guerre des Six jours- d’autre part. Notamment l’incarcération de femmes, devenue presque aussi importante que celle des hommes…

Si nous avons en tête les “grandes dates”, elles sont ici reliées à des périodes d’intensification des arrestations liées à des conditions carcérales encore plus dures. Ainsi, c’est après les accords d’Oslo (1993-1995)2 qu’on verra se développer la construction du mur, les checkpoints, les contrôles permanents, les permis de circulation… Un film, Inner Mapping, en témoigne.3

Assistant à des audiences, interviewant des libérés, des familles de détenus, des avocats, des membres d’organisations, l’auteur peut rendre compte de l’incitation au “plaider coupable”, entraînant parfois des acquittements mais souvent liés à la corruption.

Et puis il y a la lourde question du “retour”. Comment vivre/survivre lorsqu’on a subi une incarcération déshumanisante, qu’on ne se sent jamais à l’abri de l’arbitraire. Mais pour certains, cela provoque une politisation, et incite à un engagement encore plus soutenu qu’avant.

L’auteur témoigne également des détentions inter-palestiniennes même si elle a eu du mal à approcher ce système très “verrouillé”.

Autour de la libération du soldat Shalit, détenu pendant cinq ans à Gaza par le Hamas (2006-2011)4, sont évoqués les charniers (restitution de corps morts ou de vivants ?), mais aussi les grèves, de la faim, de la dignité. Avec toujours la même problématique : comment vivre par-delà la détention ?

Même si on lit que “les vrais leaders sont en prison” (p.358), que le “prisonnier libéré est un héros” (p.378), il faut entendre le traumatisme psychologique que certains parviennent à surmonter en démontrant par exemple à l’interrogateur qu’il n’est qu’un sous-fifre à qui on ne peut pas se fier.

Curieusement, l’emprisonnement peut changer le regard de certains sur les femmes, qui sont souvent les seules visites que reçoivent les prisonniers… Mais le plus dur reste “l’impossible intimité” (p.390), l’envie qui taraude tous les prisonniers, quelle que soit la longueur de l’incarcération, d’être enfin seul…

S’il y a des prisonniers à perpétuité, il y a aussi ceux qui sortent après des mois, des années de peine. Pour eux, la difficulté devient de “sortir”, de se retrouver dans un environnement qui n’est plus le même. C’est là que se manifestent les effets de la prison psychologique qu’ils ont subie : horaires contraints, humiliations, tentatives de faire se haïr des hommes qui avaient travaillé ensemble… À cause de tout cela, l’auteur aura parfois des difficultés à établir une vraie confiance avec ses interlocuteurs, ils ont à la fois besoin de parler et, de par leur expérience, mesurent tout ce qu’ils risquent, et pourtant ont envie qu’on sache…

Finalement, le plus dur n’est pas de sortir de prison mais “de faire sortir la prison de soi” (p.446).

Le plus dur pour les prisonniers libérés, c’est sans doute de s’entendre taxer de “doloriste et victimaire”. L’auteur termine sur l’accusation menée par la droite dure israélienne : les Palestiniens en profiteraient pour “se mettre en scène dans ce qu’ils [les Israéliens de cette droite] ont nommé Pallywood 5

La mauvaise foi n’a pas de limites…

Danielle Morel-Vergniol

Membre du CA de CDM

Nota bene : Il aurait peut-être fallu un glossaire en fin d’ouvrage pour permettre, à ceux et celles qui aborderaient la question de l’incarcération massive des Palestiniens pour la première fois, de s’y retrouver dans les sigles et acronymes.

Notes de la rédaction

1 Stéphanie Latte, Chargée de recherche, CNRS (CERI-Sciences-Po). Docteur de l’EHESS, elle est historienne et anthropologue ; spécialiste du Moyen-Orient et des sociétés arabes.

2 13 septembre 1993, la signature des accords d’Oslo  : « un événement historique » selon La Croix, 28/09/2016

3 Voir la présentation de Inner Mapping et sa bande-annonce (3 mn) : film documentaire de Stéphanie Latte Abdallah et Emad Ahmad 

4 Pour mémoire, à propos de la libération du soldat israélien Gilad Shalit, cf. Le Monde, 12-13/12/2011.

5 Cf. définition de Pallywood

Retour à l’accueil