Titre
La mort est ma servanteSous titre
Lettre à un ami assassiné, Syrie 2005-2013Auteur
Jean-Pierre PerrinType
livreEditeur
Fayard, 23/10/2013Prix
19 €Date de publication
14 janvier 2014La mort est ma servante
Journaliste à Libération et romancier, J.-P. Perrin raconte ici les horreurs de la guerre civile en Syrie et en propose une analyse géopolitique. Il choisit la forme touchante d’une lettre écrite à son ami défunt Samir Kassir, l’intellectuel arabe « le plus prometteur de sa génération », qui fut assassiné par le régime syrien le 2 juin 2005 à Beyrouth , alors qu’un contretemps venait d’annuler leur rendez-vous au café Casper and Gambinis’s.
Tout le texte, construit en 15 chapitres, faisant voir et goûter la terre, la nuit et l’hiver syriens , est un hommage vibrant à l’ami clairvoyant et prophétique, mort si jeune dans sa voiture piégée : éditorialiste, rédacteur en chef du quotidien an-Nahar, l’un des créateurs du mouvement de la Gauche démocratique, l’une des rares formations à ne pas recruter sur une base confessionnelle, historien, éditeur, essayiste, professeur érudit à l’université Saint-Joseph, homme de radio et de télévision, auteur de romans policiers, Samir Kassir se « montrait toujours cinglant, percutant, impertinent » . Il fut l’un des « démiurges » du « Printemps du Liban » apparu après l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005. A lui seul il représente les vérités multiples et complexe du Moyen-Orient, né palestinien par son père, syrien par sa mère, nourri de culture française, ayant choisi Beyrouth pour s’y enraciner.
À travers le portrait sensible de l’ami avec lequel il partage le goût pour « la consolation de la poésie », J.-P. Perrin évoque les liens inextricables entre le Liban et la Syrie, analyse les relations de haine entre chiites et sunnites, toujours prête à ressurgir, l’importance de la guerre en Syrie, la démocratie ne pouvant, selon lui, s’imposer dans le monde arabe que si elle se construit d’abord en Syrie. Au Liban, depuis les élections de 2005 qui ont mis au pouvoir un gouvernement antisyrien, les assassinats et attentats commandités par Damas n’ont pas cessé, visant à affoler les chrétiens pour les contraindre à réagir par la violence et à engendrer un début de guerre civile ou bien à se tourner à nouveau vers la Syrie sous la tutelle de laquelle ils avaient vécu en relative sécurité.
J-P Perrin décrit ensuite avec passion son infiltration d’un pays à l’autre, avec des passeurs de l’armée rebelle syrienne, pour pénétrer par un long et étroit tunnel dans Homs et son quartier Bab Amro assiégé et bombardé, où il se trouve en compagnie de la journaliste américaine Mary Colvin et du photographe britannique Paul Conroy qui travaillent pour le Sunday Times et qui mourront là-bas. Puis c’est dans la belle ville d’Alep qu’il se rend, cette autre ville martyre dont le vieux centre a été détruit. Il analyse le régime des Assad, père et fils, décrit minutieusement à partir de témoignages qu’il recueille systématiquement, « l’archipel des tortures » dont on parle peu, alors qu’il est sans équivalent dans le monde. Evoquant certaines personnes dont les Mémoires récemment éditées de Roland Dumas font état, il s’interroge sur l’embarrassante ambiguïté des relations franco-syriennes. Il fait le point sur les hétéroclites forces armées rebelles dont il reconnaît que les partisans de la démocratie ont été largement débordés par de dangereux groupuscules islamistes de toutes sortes.
Le livre convoque ainsi l’histoire, la géopolitique et la littérature pour tenter de comprendre comment un pays peut sombrer dans une guerre civile que J.-P. Perrin compare avec la guerre civile espagnole, symptôme du pourrissement du monde et prélude à l’inflammation générale d’une guerre mondiale.
Pascale Cougard