Titre

La mer des califes

Sous titre

Une histoire de la Méditerranée musulmane : VIIe-XIIe siècle

Auteur

Christophe Picard

Type

livre

Editeur

Paris : Seuil, 2015

Collection

L’univers historique

Nombre de pages

439 p.

Prix

26 €

Date de publication

7 septembre 2015

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La mer des califes

Les aventures de Sindbad le marin, comme les périples d’Ibn Battûta, accréditent l’idée, reprise en 1947 par l’historien Maurice Lombard, que la mer, pour les musulmans médiévaux, est à l’est : du côté du golfe persique et de la mer rouge, avec pour épicentre Djeddah, terminus portuaire des pèlerins à la Mecque. La civilisation islamique en construction tournerait le dos à la Méditerranée. Le grand historien Henri Pirenne n’avait-il pas soutenu dans Mahomet et Charlemagne (1937) que la conquête arabe avait rompu l’unité de la Méditerranée forgée par l’empire romain ? C’est contre ces idées reçues que Christophe Picard réagit en s’appuyant sur une lecture très serrée des sources arabes (de Tabari à Ibn Khaldûn en privilégiant les géographes humanistes al-Bakri et al-Idrîsi) et sur les écrits des historiens contemporains.

Il montre que les califes abbassides de Bagdad, omeyyades de Cordoue et fatimides au Caire ont conçu la Méditerranée comme un espace à défendre contre les Byzantins et les cités italiennes, et à traverser pour aller à Constantinople et à Rome. Ce fut le  point cardinal de leur aspiration à l’universalisme. La Méditerranée ne fut pas seulement un espace idéologisé légitimant le califat : le bahr ar-rûm (la mer de l’autre, le romain, le byzantin), la mer du djihâd, avec des marches frontières hérissées de ribat (lieux fortifiés où des « érudits en armes » se préparent au combat sacré). Il fait mesurer l’effort des souverains (émirs, califes) pour fortifier les côtes : ports arsenaux (dâr al-sinâ’a), mouillages (151 dénombrés par Al-Bakri de Massa, au sud du Maroc atlantique, au  rivage anatolien). Le premier homme de pouvoir à élaborer une stratégie navale contre Byzance fut Mu’awiyya, le futur calife omeyyade, qui construisit une flotte et s’empara de Chypre en 645. L’auteur nous montre avec une précision presque lassante les entreprises de guerre marine qui se succèdent jusqu’aux Almohades marocains au XIIe, qui acquièrent la maîtrise de la Méditerranée occidentale jusqu’en 1212. Mais à la fin du  XIVe, Ibn Khaldûn constate que la Méditerranée n’est plus une mer musulmane, mais chrétienne.

La mer oppose, mais elle unit. Le commerce ne s’interrompt jamais entre les deux rives. C. Picard démontre – et c’est l’aspect le plus neuf de son livre – que des ports comme Alméria, Ceuta, Mehdiyya, Alexandrie soutiennent la comparaison avec les fameuses républiques marchandes de Gênes, Pise, Amalfi et Venise. Des fatwas de jurisconsultes traitant du commerce maritime, des correspondances de marchands (juifs au Caire) nous  révèlent que jusqu’au XIIsiècle les marchands musulmans soutiennent la comparaison avec leurs rivaux italiens ou catalans. Mais ici, la documentation se raréfie et un effet de loupe du fait de la surabondance des archives en Italie a incité les historiens, dont Fernand Braudel, à dater du XIIe siècle l’essor d’un précapitalisme marchand latin, qui serait la matrice du capitalisme de l’Europe du Nord.

C. Picard considère, au contraire, que c’est l’État, byzantin et califal, qui a encadré l’essor du grand commerce transcontinental et que les marchands (musulmans ou latins) se sont logés dans une infrastructure matérielle et mentale qui fut fabriquée par les empires. On aurait souhaité que cette hypothèse soit plus longuement affinée et qu’on en sache plus sur les bahriyyûn (les marins). Cet ouvrage savant et important ne sait pas toujours trier l’essentiel de l’anecdotique.

Daniel Rivet