Recension

Titre

Jérusalem

Sous titre

Histoire d’une ville-monde des origines à nos jours

Auteur

Vincent Lemire (dir.) ; avec Katell Berthelot, Julien Loiseau, Yann Potin

Type

livre

Editeur

Flammarion, octobre 2016

Collection

Champs. Histoire

Nombre de pages

535 pages

Prix

12,00 €

Date de publication

20 mars 2017

Jérusalem

Jérusalem

 Histoire d’une ville-monde des origines à nos jours

Vincent Lemire[1] (dir.) ; avec Katell Berthelot[2], Julien Loiseau[3], Yann Potin[4]

 

Ce livre inédit, de quatre historiens de la Ville Sainte, est à la fois un défi et une gageure.

Défi d’abord d’écrire une histoire au travers de tant de revendications, d’interprétations, d’appropriations, qu’elles soient identitaires, religieuses ou théologiques. Jérusalem, « une gigantesque carrière d’où chaque camp extrait des pierres pour la construction de ses mythes et pour les jeter sur l’adversaire » selon le mot de l’historien Meron Benvenisti en 1996, cité en exergue de la conclusion. Gageure ensuite, car la ville ne s’appartient pas, encombrée de fantasmes, de projections et d’attentes eschatologiques. « Jérusalem, écrivent les auteurs, est un garde-mémoire, pas un lieu d’histoire ». En ce sens, c’est bien une « ville-monde » vers laquelle convergent tous les regards, tous les mythes fantasmés et toutes les identités revendiquées des trois monothéismes qui y sont nés.

Pour relever le défi et répondre à la gageure, les auteurs vont avoir recours à trois principes directeurs qui charpentent l’ouvrage.

Le premier, naturellement, est celui de l’histoire, au sens rationnel et scientifique du mot. Les chapitres, respectant la chronologie, présentent les différentes époques comme autant d’histoires singulières, celle de la formation d’une bourgade qui deviendra juive, puis l’Aelia Capitolina[5] des Romains, la Jérusalem des premiers chrétiens, l’occupation musulmane, l’irruption des croisades et la longue domination turque jusqu’aux bouleversements du dernier siècle.

Rares seront les mentions des livres historiques de la Bible, des localisations a posteriori des Evangiles et des hadiths réécrits après le Prophète. Au contraire, les auteurs s’appuient essentiellement sur les sources écrites de l’Antiquité et plus encore, pour la partie moderne, sur les archives de l’Empire ottoman. Ils font appel aux plus récentes découvertes archéologiques : Jérusalem fourmille de traces qui ne correspondent que rarement aux indications théologico-historiques que nous avons en tête. Une chronologie « inédite, complète et détaillée » est donnée en annexe de l’ouvrage : c’est un outil précieux pour comprendre la trajectoire de la ville dans l’histoire.

Le second principe est celui de la géographie. Jérusalem n’est pas qu’un mythe ou une vision, c’est d’abord un lieu, avec son relief (collines et vallées), son climat, sa situation. Une dizaine de cartes jalonnent les chapitres et permettent de mieux situer des lieux qui évoluent au cours des occupations successives. Ainsi la terrasse orientale des sanctuaires primitifs deviendra-t-elle le Mont du Temple, puis le Temple de Jupiter, avant l’Esplanade des Mosquées et le Dôme du Rocher. Ainsi encore, les murailles enserrant la vieille ville vont-elles constituer, à quelques déplacements près, un point de repère immuable dans les limites de la cité.

Cette géographie physique, les auteurs la croisent avec d’autres données et disciplines : économie, démographie, sociologie, ethnologie, etc. Jérusalem en devient plus humaine, plus accessible, moins rêvée. On n’y a pas toujours « jeté des pierres », mais il y a eu, au cours des siècles, des échanges, des tolérances, des porosités qui se manifestent jusqu’à la pérennité des patronymes : Colline de Sion, Esplanade du Temple, et ce Soliman, qui reprend la ville en 1187, ne serait-il pas « magnifique » comme le Salomon de la Bible ?

Le troisième principe est précisément celui de la sacralité du lieu à travers l’histoire. Depuis les sanctuaires païens jusqu’au Dôme du Rocher et le tombeau de Jésus, Jérusalem offre une belle continuité dans sa fonction religieuse. Mais la ville, mal située, n’a jamais vraiment joué de rôle politique. Les occupants ont fixé leurs capitales à Césarée, Damas, Le Caire… ou Istanbul. Même au temps des croisades, ce n’était qu’une bourgade comme les chefs-lieux des différents comtés alentour. Or, depuis le début du XXe siècle, Jérusalem se voit propulser au rang de capitale internationale de deux Etats qui cherchent à se construire. Autant dire que les fantasmes et appropriations s’en trouvent renforcés et que le tissu urbain souffre de cette dichotomie.

Ville rêvée ou ville réelle ? Cette passionnante histoire de Jérusalem se lit comme un roman, avec ses épisodes et ses affrontements d’acteurs différents. On saura gré aux quatre auteurs de renouveler les points de vue sur ce long parcours. Sans jamais déflorer ce qui a fait l’âme de la cité, ils y ont introduit un peu de rationalité, et c’est peut-être ouvrir une voie pour construire un avenir plus apaisé.

Claude Popin

 

[1] Docteur en histoire, spécialiste du Proche-Orient (Université de Provence, 2006). Il a publié :

Jérusalem 1900 : la ville sainte à l’âge des possibles.- Armand Colin, 2013 : https://www.chretiensdelamediterranee.com/livre/jerusalem-1900-la-ville-sainte-a-lage-des-possibles/

On pourra l’écouter sur France Inter :

Le coup de cœur des voix d’Inter (durée 3, 59 mn) : https://www.franceinter.fr/emissions/le-coup-de-coeur-des-voix-d-inter/le-coup-de-coeur-des-voix-d-inter-08-decembre-2016

La Marche de l’Histoire / Jean Lebrun, le 12/01/2017 (durée : 28,33 mn)

https://www.franceinter.fr/oeuvres/jerusalem-histoire-d-une-ville-monde-des-origines-a-nos-jours

[2] Chargée de recherches au CNRS (en 2008). – Docteur en histoire des religions (Paris 4-Sorbonne, 2001)

[3] Docteur en histoire (Paris, EHESS, 2004), ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay Saint-Cloud. – Ancien membre scientifique arabisant de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO, Le Caire).

[4] Historien, chargé d’études documentaires aux Archives nationales

[5] Ælia Capitolina (en latin : Colonia Ælia Capitolina) est le nom donné à Jérusalem par l’empereur Hadrien (Ælius Adrianus), lors de son passage dans la ville en 130.