Titre

Ils ont fait l'Égypte moderne

Auteur

Robert Solé

Type

livre

Editeur

Paris : Perrin, Oct. 2017

Nombre de pages

384

Prix

22,90 €

Date de publication

6 septembre 2018

Ils ont fait l’Égypte moderne

C’est à travers une série de portraits que Robert Solé[1] nous invite à mieux comprendre Égypte, en nous décrivant vingt personnages qui en ont fait un pays moderne. Cette fresque débute par l’expédition de Bonaparte, pour  couvrir ensuite les grandes étapes de la construction de Égypte comme nation et comme état, jusqu’à la période actuelle.

Le canal de Suez, qui a offert le thème d’une exposition en 2018 à l’Institut du monde arabe[2] , est bien sûr très présent dans ces évènements : avec Ismail Pacha (1830-1927) qui le fit édifier, Nasser (1918-1970) qui en le nationalisant le « rendit aux Egyptiens », et jusqu’à son tout récent doublement par le président al-Sissi.

A côté des portraits d’hommes,  gouvernants,  militaires ou politiques, de leurs réussites et de leurs errements ou de leurs échecs, une belle place est également réservée à  la société égyptienne.

D’abord grâce à quelques hautes figures d’intellectuels, dont l’étonnant Rifa’a al-Tahtawi (1801-1873), « le passeur des Lumières » qui découvrit comme boursier à Paris dans les années 1830 à la fois la France et sa propre égyptianité, réforma l’enseignement en Égypte, y développa les traductions, et posa ainsi les bases de la Nahda, la renaissance intellectuelle de la fin du siècle[3]. Après lui, de belles pages sont consacrées à Taha Hussein (1889-1973), le doyen aveugle de la faculté des lettres au milieu du 20e s., ami de Massignon et de Maritain, qui célébra la synthèse « méditerranéenne » que réalise Égypte, entre culture gréco-latine et civilisation musulmane[4]. Et, bien sûr, au prix Nobel de littérature,  Naguib Mahfouz (1911-2006), qui a su décrire comme nul autre la société arabe dans sa vie quotidienne comme dans ses questions existentielles[5].

Les réformateurs religieux sont là, eux aussi : Mohamed Abdou (1849-1905), avocat d’un retour aux sources de l’islam[6] et Hassan al-Banna (1906-1949), fondateur des Frères musulmans.

Les femmes ne sont pas absentes, avec la féministe Hoda Chaarawi (1879-1947)[7] au début du 20e s. et Oum Kalsoum (1900 ?- 1975)[8], « la voix des arabes ». Mais aussi toutes celles qui, comme Suzanne, épouse française de  Taha Hussein, ou les épouses des présidents Sadate et Moubarak, jouèrent un rôle essentiel au côté de leur  époux, qu’il soit discret ou officiel.

Dans ce livre très vivant, qui sait associer la grande histoire à des tableaux de la société et des mœurs, nous assistons à l’émergence de la nation égyptienne et à son affirmation progressive. Tout à la fois sous l’influence et au profit de puissances étrangères (Grande-Bretagne, France), et en développant contre elles  une réelle conscience nationale tout en engageant de profondes transformations économiques et sociales, éducatives et culturelles.  Plusieurs de ces hommes et femmes  ont voulu réaliser une synthèse originale et  féconde entre Occident et Orient, entre histoire et modernité.

Et Robert Solé sait à merveille nous faire partager les grandes journées qui ont façonné la conscience nationale, en sachant parfois transcender les différences d’origine sociale comme de religion. Ainsi avec le dirigeant nationaliste Saad Zaghloul (1858-1927), lors de la « révolution de 1919 » contre les Anglais où la Pâque copte fut émaillée de scènes de fraternisation entre chrétiens et musulmans. Et, contre la « corruption à tous les étages » qui s’était développée sous Moubarak, lors de l’insurrection de la place Tahrir avec son climat de ferveur nationale et d’union civique, début 2011.

Une chronologie détaillée, une bibliographie et un petit lexique complètent utilement cet ouvrage, dont la lecture confirme à quel point Égypte moderne occupe une place originale au carrefour des cultures de l’Occident méditerranéen et de l’Orient.

Bertrand Wallon

 

[1] Ecrivain et journaliste, Robert Solé était l’invité de Pierre Weill, sur France Inter, dans l’émission Un jour dans le monde, le 20/02/2018 : (durée : 41’15).

[2] L’épopée du canal de Suez. Des pharaons au XXIe siècle, du 28 mars au 5 août 2018, exposition à l’Institut du Monde Arabe, Paris 5ème. Ecouter aussi, sur France Culture, l’émission d’Emmanuel Laurentin, La Fabrique de l’histoire, sur le Canal de Suez (durée 52mn).

[3]  Voir article d’Anne-Laure Dupont sur la Nahda  in Monde diplomatique, août-sept. 2009.

[4] Écouter l’hommage à l’écrivain Taha Hussein, sur France-Culture (durée : 1h15).

[5] Écouter La vie réglée de Naguib Mahfouz, dans l’émission La compagnie des auteurs sur France-Culture, le 25/04/2018 (durée : 58 mn) et Naguib Mahfouz : trouver un style, le 26/04/2018 (durée : 59 mn).

[6] Cf. Mohamed Abduh, sa vie, ses idées

[7] Cf. article de Denise Ammoun sur Hoda Charaoui, dans La Croix du 09 10 2011

[8] Écouter Oum Kalsoum, « l’astre d’Orient » racontée par Ysabel Saïah Baudis dans l’émission de Ghaleb Bencheikh, Questions d’islam, sur France Culture, le 15/07/2018 (durée : 55 mn).