Titre

Il était une fois la Méditerranée

Auteur

Jacques Huntzinger

Type

livre

Editeur

CNRS Editions, 2014 [2e édition revue et augmentée]

Collection

Biblis. Histoire des idées

Nombre de pages

358 p.

Prix

10 €

Date de publication

26 mai 2015

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Il était une fois la Méditerranée

Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France en Israël et auprès de l’Union de la Méditerranée, réussit la prouesse d’une synthèse magistrale à plusieurs dimensions.

D’abord, celle de l’espace : des confins du Sahara à l’Europe du nord, et de Gibraltar à l’Inde occidentale. Car la Méditerranée, c’est avant tout un repère géographique, une mer intérieure dont les rivages semblent unis dans la même tradition « du thym et de l’olivier », déjà étudiée par Fernand Braudel.

Mais la dimension temporelle de l’histoire prend vite le pas sur la géographie. L’auteur raconte (« Il était une fois »…) les grandes civilisations égyptienne, assyrienne, perse, hébraïque, qui vont constituer le soubassement des « plaques » méditerranéennes, avant les apports essentiels de la pensée grecque et de l’organisation romaine, bientôt transcendées par l’imprégnation du christianisme. Puis l’islam, à partir de 622, va se constituer au sud, face à un nord héritier des grandes civilisations antiques qui ont intégré ceux qu’on appelait les « barbares ». L’histoire a laissé des traces dans bien des comportements d’aujourd’hui…

Et c’est ici qu’apparaît la troisième dimension de Jacques Huntzinger : celle de la profondeur d’analyse des « frottements » civilisationnels et de leurs évolutions. L’auteur rappelle d’abord la « mare nostrum » des Romains, le seul moment où le monde méditerranéen est politiquement unifié en jouant sur la diversité, l’adaptabilité et la complémentarité des peuples. Pour lui, c’est le lieu qui a donné l’essentiel des fondements humains de notre planète mondialisée: naissance de la démocratie et de la philosophie (Grèce), du droit (romain), de la civilisation urbaine (villes et cités), de la communication et du commerce (les Phéniciens ou Venise), des trois grands monothéismes…

Puis l’analyse s’affine autour de questions essentielles. La démocratie, le rôle de la raison, la place des femmes, l’impact ou le « trop-plein » de religion, l’art, la philosophie…, autant de domaines qui se vivent différemment d’une rive à l’autre de la Méditerranée et dont les frictions ne peuvent se comprendre sans recourir au « télescopage des temporalités » : nous ne vivons pas à la même époque. D’où des contacts parfois violents entre une rive nord christianisée en pleine expansion moderne, et une rive sud islamisée en stagnation, sinon en recul, du moins sclérosée depuis près de dix siècles. Sur l’islam et son histoire, Jacques Huntzinger offre une synthèse remarquable, où le passé éclaire le présent. Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est que derrière les conflits, les fractures, les dictatures ou la faillite des nationalismes, des royaumes et des empires, des hommes de chaque rive se sont construits, ont échangé des idées, ont commercé, se sont rencontrés.

Avec les « printemps arabes » de 2011, l’auteur sait discerner, au-delà des apparences médiatisées des « barbus et du voile », les mouvements de fond d’une société musulmane et arabe, travaillée par les besoins de justice, de liberté, de reconnaissance individuelle, de « sortie de la religion », du respect des Droits de l’Homme. Ainsi la Méditerranée pourrait ne plus être ce fossé et cette frontière qui l’empêchent, aujourd’hui, d’être « mare nostrum ».

Avec ce livre qui touche à de nombreux domaines (histoire, religion, sociologie, anthropologie, géopolitique…), Jacques Huntzinger offre à tout public un panorama complet, clair et lucide, des enjeux actuels de l’aire méditerranéenne, telle une clef essentielle pour décrypter et comprendre les événements épars dans nos actualités. Et c’est écrit de telle façon que le lecteur ne peut que se laisser emporter, comme dans ces histoires qui commençaient jadis par : « Il était une fois… ».

Claude Popin